Phédon
7.4
Phédon

livre de Platon ()

L’âme, ou ce qu’il y a de divin en chaque homme

Il y a plus de 2500 ans, Socrate fut condamné à mort à 70 ans par l’aristocratie athénienne pour « corruption de la jeunesse et discours calomnieux ». Celui qu’on reconnaît comme le premier maître de la philosophie antique n’a pourtant laissé aucun écrit, et aura passé sa vie à se dresser contre l’ignorance et la présomption des faux érudits de son temps. S’étant lui-même retiré de la vie politique depuis longtemps, il avait rapidement compris que la manière la plus efficace et (relativement, car il en est mort) moins dangereuse de défendre la vertu et la justice était encore de discuter avec chaque personne se prétendant sage pour juger de sa véritable valeur d’esprit. BHL, face à Socrate, aurait certainement souffert plus que d’une tarte à la crème : d’une grande leçon d’humilité et d’humanisme. Tout cela, le philosophe l’accomplit sans prétendre lui-même à la sagesse et la reconnaissance, il vivait dans la plus grande pauvreté et n’exigeait rien de ses nombreux disciples. Dernière partie de la trilogie écrite par Platon et consacrée à la mort de Socrate, ce « Phédon » est d’une bien autre ambition que ses deux prédécesseurs « Apologie de Socrate » et « Criton ». Relatant les derniers moments de la vie de Socrate, dans sa prison à débattre avec ses amis et disciples avant de boire le poison qui l’enverra dans l’Hadès, le dialogue expose ni plus ni moins que l’essence même de la philosophie platonicienne.


Procédant comme d’habitude par un raisonnement rigoureux, Socrate développe l’éternelle dualité entre le corps et l’âme, en démontrant que la perfection ne peut être atteinte qu’après la mort. En effet par l’exercice de la raison le philosophe s’efforce de se détacher du corps pour ne se fier qu’à son esprit : les sens comme la vue et l’ouïe sont alors trompeurs et superficiels, tout comme la recherche du plaisir. Mais l’esprit étant prisonnier du corps, ce n’est que par la mort que le philosophe trouve une délivrance et un repos complet. Socrate vivant ses dernières heures, on pourrait y voir un moyen pour lui d’adoucir l’attente de l’exécution en s’auto-persuadant d’une vie après la mort. L’idée pourrait d’ailleurs paraître désuète, surtout depuis la réhabilitation des sens entamée déjà à l’époque par Epicure puis par des philosophes comme Merleau-Ponty à notre époque, mais chaque paragraphe déploie des arguments métaphysiques non dénués de sens et d’exemples concrets, bien au contraire.


L’idéalisme de Platon exhorte peut-être chaque homme à une castration du corps, mais d’autre part à une prise de recul sur une définition strictement biologique, anatomique et mathématique du monde. Pour un philosophe dont l’école avait pour slogan : « nul n’entre ici s’il n’est géomètre », cela montre finalement une grande ouverture d’esprit, ne se cantonnant pas seulement au savoir scientifique ou à la recherche de la vérité mais aussi notamment à l’appréciation du Beau. Le dialogue permet aussi plus que jamais dans les écrits de Platon une lucidité à toute épreuve, puisque chaque argument de Socrate est contrecarré, nuancé par ses disciples jusqu’à ce que Socrate reprenne la parole pour approfondir son étude. La lecture d’un seul bloc de ces 80 pages particulièrement dense relèverait presque du trip psychédélique tellement les images apportées en renforts des arguments relèvent parfois du surréalisme le plus abstrait, et la déambulation des idées s’enroulent avec une grâce hypnotisante et jamais aboutie. Personnellement, je recommande une pause par heure pour rafraîchir la cervelle.


Nous voilà en tout cas peut-être devant une des plus belles réflexions sur la mort et l’immanence de l’âme : c’est de loin l’écrit de Platon le plus exigeant et complexe qu’il m’a été de donné de lire, avec quelques passages fastidieux et une logique du salut de l’âme élitiste qui ne me plaît pas complètement, mais avec aussi quelques traits de génie. Le portrait que brosse Platon de son maître et ami Socrate est certainement idéalisé et tient plus du mythe que de la réalité, mais qu’importe : l’esprit prévaut, lui et les errances de la réflexion, qui mènent souvent aux jardins les plus somptueux.


Ma critique de l'essai "Le Banquet" : http://www.senscritique.com/livre/Le_Banquet/critique/61560353

Créée

le 10 août 2016

Critique lue 620 fois

8 j'aime

4 commentaires

Marius Jouanny

Écrit par

Critique lue 620 fois

8
4

D'autres avis sur Phédon

Phédon
Syderen
8

La Passion de Socrate

Le parallèle entre Jésus et Socrate a été fait de nombreuses fois. Tous deux ont existé, mais tous deux sont connus par la légende qu'ont forgée les disciples enthousiastes. Socrate puis Jésus quatre...

le 24 juin 2022

6 j'aime

Phédon
Joejoe
6

Critique de Phédon par Joejoe

Socrate est mort. Phédon présent lors de ses dernières heures fait part à Echecrates, le dernier discours que Socrate leur a tenu à lui, Simias, Criton et Cébès. Platon rapporte le tout dans...

le 8 oct. 2013

4 j'aime

3

Phédon
Powerpuff
5

La mort, c'est pas si grave

Socrate, condamné à mort, vit ses derniers instants en compagnie de quelques amis qui sont venu lui rendre visite dans sa cellule et taper un brin de causette autour de verre de ciguë. Ses amis ont...

le 15 mars 2011

4 j'aime

2

Du même critique

L'Impasse
Marius_Jouanny
9

Le dernier des Moricains

Il faut le dire, ce jour-là, je n'étais pas au meilleur de ma forme. Allez savoir pourquoi. Mais dès les premières secondes du film, j'en ai vu un qui portait toute la fatigue et l'accablement du...

le 4 août 2015

46 j'aime

12

All Things Must Pass
Marius_Jouanny
9

La sublime diarrhée de George Harrison

1970. Un an après Abbey Road, George Harrison sort ni plus ni moins qu’un triple album de presque deux heures. Un ouragan d’inventivité et de registres musicaux, en grande partie l’aboutissement...

le 22 avr. 2016

43 j'aime

6

Les Proies
Marius_Jouanny
6

Sofia's touch

Difficile de dissocier "Les Proies" de Sofia Coppola du film éponyme dont il est le remake, réalisé par Don Siegel en 1971. Au-delà de constater la supériorité de l'original, ce qui est assez...

le 28 août 2017

37 j'aime

4