Shakti
8.1
Shakti

livre de Stefan Platteau (2016)

La course aux astres continue

Le voilà enfin ce deuxième volume tant attendu. L’auteur donne le ton dès le départ : il se joue de nous (on l’imagine même jubiler à cette idée) en plongeant dans l'action et en faisant ainsi durer un rien encore le méchant cliffhanger de la fin du premier tome. L’écriture reste aussi riche et soignée mais l’action est bien plus présente ; la tension est passée pleinement de la fin de Manesh au début de Shakti. Elle ne lâchera plus vraiment le lecteur tout en laissant toujours la place pour de profondes scènes plus contemplatives et descriptives, celles-là mêmes qui rendaient le monde de Manesh si vivant, riche et épicé. Préparez-vous pour l'action!



Nous contemplons, fascinés, l’ardeur surnaturelle qui palpite dans les prunelles de Manesh, et consume le cadavre à ses pieds. Voir jaillir la vertu solaire de la sorte, en fait de guerre, est un privilège rare ; une prouesse digne de Souranyar et des grands héros d’autrefois. Le fils de l’Antique nous fait face, dressé au bord de la rivière, ruisselant de limon et de sang ; ses yeux ambrés nous toisent avec un calme impressionnant. Pendant un court moment, tout est sur le point de basculer.



Je fais référence à Manesh et c’est bien normal car l’histoire se poursuit là où nous l’avions quittée (moyennant une ficelle d'intro et un flash-back pour combler l'artifice). Et le récit nous promet deux histoires parallèles comme c’était le cas dans Manesh. Pourtant la formule diffère, et surprend même, car la narration de Shakti ne surviendra qu’assez tard dans les pages, formant un bloc presque uniforme dans la deuxième partie du récit. Il y a aussi plus d’interventions de l’auditoire pendant que Shakti se livre, ce qui, en plus du changement de lieu et d'action, donne un ton et une couleur différente à cette partie contée. Nous sommes dans la suite mais point de répétition à craindre.


Voilà pour la forme.



Typique de mon peuple : jamais une borne ou une indication qui ne soit tournée en poésie à décrypter. Les épigrammes de l’Héritage sont moins chantants… nous avons disserté un peu sur ce que signifiait "à trente mules ou davantage" et "sans Recroquevillés pour compagnie" , avant d’y voir un signe encourageant : le chemin devait être assez bien taillé pour permettre le déploiement de grandes caravanes.



Question contenu ça envoie du lourd avec des confrontations directes menant à quelques combats trépidants. Puis le monde se dévoile toujours un peu plus au fil des pages, augmentant d'autant cette palette époustouflante de complexité et de vie. La forêt, la magie (les magies ?), les êtres surnaturels et puis à nouveau ce peuple teule tellement étrange, distant et si proche à la fois. Encore une fois l’auteur nous offre en substance un merveilleux original et détaillé, peuplé de créatures bien vivantes, à l’histoire et aux règles bien établies. Et quand démarre le récit de Shakti, alors que la jeune Nisu dévoile son Kenatahaal et son vanemathar (son récit fondateur et le récit de ses actes), on sent tout de suite que ce monde n’a pas fini de s’ouvrir à nos yeux et nos esprits. La forêt du Lempio à elle-seule serait déjà digne d’une série de fantastique de qualité avec ses vieux esprits, ses règles, ses interdits et les rituels chamaniques apportés par les hommes.


Un second opus au moins à la hauteur de Manesh. L’écriture évolue, le style également, mais la richesse demeure. Puis on comprend, petit à petit, en se remémorant ce qu’on a lu, comment on l’a lu, que Stefan Platteau, en plus d’avoir une imagination incroyable et une belle maitrise de l’écriture, prend un malin plaisir à se jouer de nous, à faire pleinement du lecteur un acteur de cette belle aventure littéraire. Et à bien y réfléchir, tout en ayant vécu et accumulé bien des faits, en fermant Shakti, les mystères de cette quêtes du Roi Diseur restent entiers. Et considérez cette "Shakti", qui donne pourtant son titre à ce livre : elle n’a fait que raconter une partie de sa vie, celle-là même où elle ne porte pas encore ce nom ! On s’est fait piéger, à nouveau, avec bonheur et consentement. Et on en redemande !


Mention spéciale à tous plein de trucs, en vrac et dans le désordre : La sorcière du Harfang (personnalité incroyable), le Lempio, la nouvelle forme de géants entr'aperçus dans ce tome, Volilo, les papillons, Charogne, Appou (fan de goupil inside), les blessures diverses, les baleines, Manesh, Matram Toram, et puis cette incroyable et surprenante sortie du timide barde; le chant primordial. Bluffant!



Les Chants primordiaux, c'est l'or mystique des bardes : nous passons la moitié de nos vies à les rechercher, et l'autre moitié à les maîtriser. Ils sont les poèmes originels, les tout premiers qui furent faits par le verbe et la note, quand l'homme n'était encore qu'une bête balbutiante. Ils narrent les primes aurores du monde, l'émergence des forces élémentaires, et ces temps mythiques où les planètes emplissaient le ciel de leurs orbes gigantesques.



A souligner également la question de la femme au sein d'une société culturelle donnée et le chant vaste et complexe de la rencontre des cultures, déclinée ici sur deux, trois, quatre, voire plus de niveaux (quand on y réfléchit bien). Tout cela distillé en filigrane dans tout le récit. Ces points mériteraient bien une critique à part entière.


Si je devais trouver des points qui m'ont laissé quelque peu perplexe... j'en citerais deux et finalement assez mineurs. Le côté un brin Legolassien de Cwail. Certes il ne fait rien d'impossible pour un maître archer mais ses enchainements sont juste parfois, biiin, un rien legolassiens. Et puis l'Outre-Songe, ce monde qui est derrière les brumes, qui m'a paru tellement chaotique... Mais j'imagine qu'il doit poser un jalon important pour la suite du récit, tout confus qu'il ait pu apparaître ici.


Je prendrai le temps de relire et compléter cette critique sous forme d'impression / mise en bouche (vous avez compris que je n'aime pas trop dévoiler les histoires en elles-mêmes) et l'agrémenter/completer au besoin.



Croque, craque, mords et ronge !



Griffes d'ébène et crocs de fer,



Parfum de tombe et patte en pierre,



A l'heure où les ombres s'allongent.



-



Souffle, racle, grogne et gronde !



Gueule saisit, mâchoire enserre,



S'offre la chair au croque-cerf



La mort qui rôde dessous l'onde.



-



Je plie bliaux sur mes genoux



J'incline front, et ploie le cou



Pour saluer comme il se doit



L'ourse seigneur de ce bois.



.



« Ah, l’ignorant qui réprimande le sssage ! Il y a richhe bramynn et pauvre bramynn, homme niais que tu es ! Le richhe, il arrive tout paré de belles étoffes, nanti d’un nom fameux, alors il offre ses sservices à des princes, qui le reconnaissent comme l’un des leurs. Ils le paient grasssement pour sson art, et le gavent de bonne mangeaille, slrrr, slrrrrp… Le pauvre bramynn, il doit faire avec sse qu’il a : d’autres pauvres, à qui offrir sses mantras. Est-ce qu’il en tire beaucoup d’argent ? Nennaï ! Est-il moins bon bramynn pour autant ? Non ! Mille fois non ! Plus courageux, plus opiniâtre. Mais jamais richhe, ssa non, jamais bien vêtu ni nourri ni torchhé de soie ! Pour faire bombansse à la fin, il faut naître dodu au début ! Voilà toute la vérité de la chhhose… »


Fredk
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le 25 mai 2016

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