Doctor Who
7.7
Doctor Who

Série BBC One (2005)

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Perhaps when we're all dead, out they'll come a-slithering, from underneath the bed ...

… Par où commencer ?
Non, parce que Docteur Who, avant d’être une série, c’est surtout un mythe, un univers, et une fanbase incroyablement présente et bruyante, capable de consacrer des articles de milliers de mots sur des questions aussi provocantes que les marques des pantalons portés par Jenna Coleman.
Mais c’est quand même une putain de bonne série.
Aussi.
Commençons donc par une présentation générale, avant de s’attaquer à un critiquage saison par saison qui spoilera sa race, soyez prévenus.



I. DE QUOI CA CAUSE ?



Donc, ça raconte l’histoire du Docteur, un extraterrestre voyageant à travers l’espace et le temps dans une boîte bleue plus grande à l’intérieur, qui au moment de mourir change de visage et de personnalité, ce qui veut dire qu’il est incarné successivement par Christopher Eccletson (le vétéran de guerre traumatisé), David Tennant (l’aventurier hyperactif et légèrement connard), Matt Smith (l’homme-enfant-vieillard oh so british) et Peter Capaldi (le type froid et calculateur en apparence qui est en fait un gros nounours complètement barge), tous les quatre géniaux. Après une guerre terrible contre une race de poivrières de l’espace appelées les Daleks, sa race a disparu et il vagabonde donc, s’acoquinant avec des compagnons (plus souvent, de jeunes compagnes) qu’il va entraîner dans des aventures excentriques et fantasmagoriques.


La première et principale qualité de cette série, c’est que n’importe quoi peut arriver. Et souvent, n’importe quoi arrive. Il est littéralement impossible de savoir dans quelle direction telle saison ou tel épisode va aller. Docteur Who peut tout faire et il fait tout, parfois bien, parfois mal, mais toujours avec une ambition, une gaité et côté à la fois fou et cheap tout à fait réjouissant. En fait, Docteur Who, c’est un peu comme ces séries fleuves de romans pulps, que des dizaines d’auteurs reprennent chacun à leur tour, apportant chacun leur propre patte et leur propre regard sur un concept de départ. Genre le mythe de Cthulhu post-Lovecraft. Mais avec une cabine téléphonique.
D’où aussi un problème : l’écart entre les bons épisodes et les mauvais est aussi large que le Grand Canyon. Mais vraiment. Prenez la saison 4, où en deux épisodes on passe d’une histoire policière chiante comme la pluie (The Unicorn and the Wasp) à un truc complètement expérimental et assez génial (Silence in the Library !). Et clairement, il faut avoir un peu de courage pour passer certains épisodes parfois assez consternants ; surtout, vous qui commencez par la saison 1 (ce que je recommande au demeurant, ne serait-ce que pour la performance géniale de Christopher Eccletson), sachez que la série met du temps à démarrer.
Mais quand la série est bonne, on atteint des sommets d’ivresses conceptuelles. Docteur Who peut vous faire pleurer devant un embouteillage. Docteur Who peut vous coller pour toujours la phobie des statues. Docteur Who peut tout faire, et tout faire avec grâce.
Et beaucoup de ça vient du fait que, derrière son pitch assez barré, la série est avant tout centrée sur des personnages très réalistes, très humains ou, dans le cas du rôle-titre, très inhumainement humains, soutenus par des acteurs en général de très haute volée, tant dans le casting récurrent que dans de petits caméos (et non de Dieu, comptez, COMPTEZ le nombre de têtes connues qui ont traversé les huit saisons, c’est assez hallucinant). Sans vouloir faire une énumération stérile et obscure au néophyte, je suis quand même obligé de tirer mon chapeau ne serait-ce qu’à Catherine Tate et à Alex Kingston, qui campent deux des plus beaux personnages féminins que j’ai jamais vus.
Et ce sont ces personnages, tout autant l’espace et le temps, qu’on explore, avec toujours un sens du grandiose, de l’émotion et de la folie absolument admirable.


Et puis il ne faut pas non plus oublier que Docteur Who version 2005, c’est deux séries en une : après les quatre premières saisons signées Russel T. Davies, épiques et extrêmement variées, c’est Steven Moffat, le papa du génialissime Sherlock, qui a repris la main, pour orienter l’ensemble vers un délire spatio-temporel barré et avec plus de cohérence dans chaque saison. Et les débats entre les fans des deux sont d’une violence impossible à imaginer à ceux qui ne s’impliquent pas dans le schmilblick.
Je vais prétendre être objectif et ne pas être vendu à 200% à la cause de Moffat pour cinq minutes pour causer un peu des différences entre les deux ères, parce que le sujet est quand même bien intéressant.


Russel Davies est loin d’être un incompétent, et il peut écrire de vraies merveilles (Turn Left, à tout hasard), mais le moins que l’on puisse dire est que j’ai de gros problèmes avec ses saisons – c’est à l’origine un scénariste de drames sociaux, et notamment de Queer as Folk, dont on m’a dit beaucoup de bien. L’énorme avantage, de ce côté-là, c’est qu’il sait ancrer ses scénarii dans une réalité concrète, et qu’il parvient à dessiner des personnages humains, complexes, émouvants. Il joue aussi beaucoup plus avec le kitsch, le côté surprenant et aléatoire, que Moffat – ses saisons, si elles ne sont (VRAIMENT) pas meilleures que les suivantes, sont probablement plus variées dans les cadres (et dans les qualités, au demeurant) des épisodes; de même, il y a une multiplicité de changements de tons, parfois dans le même épisode, qui, si il ne contribue pas nécessairement à la qualité desdits épisodes, au moins donne un cachet bien particulier, très old school et évoquant la bonne vieille série originale, au point que Moffat, voulant moderniser la série, a souvent (non, EST souvent, et même souvent dans ce lieu hautement respectable qu’est Senscritique) été accusé de la dénaturer.
Mais, et c’est là que je vais me faire des amis, je trouve que la partie science-fiction, au mieux constitue une toile de fond efficace qui nourrit bien les personnages, au pire les cannibalise complètement, surtout quand on monte continuellement les enjeux jusqu’à se retrouver systématiquement coincé dans une impasse narrative dont le deus ex machina est la seule sortie. Et puis des fois, il y a un rouage qui se coince, et la série, qui balance continuellement entre le kitsch mais passionnant et le complètement ridicule, bascule du mauvais côté : hommes-cochons dans les égouts de New York, aliens verts péteurs, un personnage pétant la classe se retrouvant réduit à l’état de mort-vivant en (mauvais) CGI fluo bouffant du poulet avec les mains et faisant des bonds de lapin. Et même si les compagnons de Davies sont généralement une grâce salvatrice, je ne suis mais alors pas du tout convaincu par son écriture du Docteur à partir du moment où l’on a plus Eccletson en face : étant donné que dire plus reviendrait à spoiler comme un goret, je renvoie mes considérations à plus bas dans la critique, mais pour résumer, je dois être la seule personne à être à la fois fan inconditionnel de la série et à ne pas pouvoir blairer le Dixième Docteur. Bref.


Moffat, lui, est de loin un des plus beaux enfants de ce phénomène fascinant qui n’a pas vraiment de nom, mais que j’appelle pour me la péter le dimorphisme critique : ces variantes dans la réception d’une œuvre culturelle qui font, par exemple, que le Batman Returns de Tim Burton est considéré comme un petit chef-d’œuvre par nos vertes contrées, et un truc bizarroïde et passablement raté en Américanie. Je crois bien que tout le monde ou presque en France (le ou presque étant, à ma connaissance, composé de moi, d’un ami philosophe – non, ceci n’est pas une référence à la Classe Américaine –, et d’un senscritiqueur appelé Kiraboshi, ayant publié une excellentissime critique que je vous invite à consulter ici : http://www.senscritique.com/serie/Doctor_Who_2005/critique/37692515) lui préfère RTD, alors pourtant qu’en Angleterre, et encore plus en Amérique, le consensus semble être qu’ils se valent, avec un léger avantage à Moffat peut-être (les sondages effectués par le site DWTV en 2015 le mettaient à 0,05 au-dessus, sur une échelle de 10).
En fait, le meilleur moyen de décrire le travail de Moffat, c’est de dire que sous sa direction, Docteur Who est devenue, possiblement plus que jamais auparavant, une série d’auteur. Moffat A DES CHOSES A DIRE, OUI MONSIEUR ! Et il va s’assurer que vous le sachiez, OUI MONSIEUR ! Plus sérieusement, on sent qu’il a réfléchi et suranalysé cette série pendant très, très, très longtemps, que son cerveau d’ex-professeur devenu enfant prodige de la télévision bouillonne d’idées, de concepts, de jeux de mots, de clins d’oeils, de références et de private jokes qu’il veut tous caser dans ses scripts, quitte parfois à frôler l’indigestion, et risquant dans tous les cas de polariser l’opinion : RTD – et ce n’est pas moi qui dit essaye de justifier mes opinions par un délire paranoïaque, le bouquin qu’il a écrit sur son expérience de showrunner le dit clairement – essayait de faire une série qui puisse plaire au maximum de monde, ou en tout cas semblait extrêmement concerné par la pérennité de la série qu’il avait contribué à ressusciter, au point de souvent réfréner son écriture qui semble s’épanouir et atteindre des sommets dans les épisodes les plus sombres et les plus désespérés (je me réitère : Turn Left, cette merveille, contient quand même en 45 minutes un bombardement atomique et des références aux camps de concentration). Steven Moffat n’a pas, mais alors pas du tout ce genre de préoccupations, et passe son temps, dans un double effet kiss cool assez déconcertant, à approfondir continuellement ses thèmes et ses obsessions (ce qui bien sûr implique que certains vont prendre pour du manque d’imagination ce qui n’est que de la cohérence …) tout en changeant pratiquement tous les ans le format de la série – changement dans la continuité, qui fait râler mais en même temps maintient la série en vie.
Mais ce statut d’auteur qu’il a vraiment imposé à la série, si il a le désavantage d’aliéner les gens qui n’aiment pas l’écriture de Steven Moffat, et d’en faire, comme tout auteur avec un univers très marqué et une identité très forte, une cible facile pour divers moqueries et critiques faciles, a aussi l’avantage de justifier beaucoup mieux ses propositions, même ratées : Moffat se plante – il s’est même planté de façon très régulière dans cette zone rouge de sa tenure en tant que showrunner, entre le début de la saison 6b et l’épisode des 50 ans –, mais derrière chacune de ses erreurs on voit une bonne idée avortée, ou mal exécutée. Et il ne faut pas non plus oublier ce fait essentiel : quand Moffat est lancé à pleine capacité, il est absolument génialissime, capable de jongler avec vingt fils narratifs différents tout en développant excellemment ses personnages et, surtout, en créant une série agréable à regarder, fun et divertissante.
En fait, je vais renoncer à l’objectivité maintenant : je trouve que Moffat, malgré ses multiples boulettes et ses faiblesses occasionnelles en tant que showrunner, est un génie et le fait que je soit très conscient de ses faiblesses ne m'empêche pas d'adorer pratiquement tout ce qu'il écrit ; et ça m’énerve considérablement qu’on pose l’ami Russel sur un piédestal alors que ses saisons sont tout sauf intouchables – ou peut-être ne suis-je qu’un hipster mou du bulbe qui se laisse fasciner par le style et oublie la substance. Bah. C’est mon opinion, faites-en ce que vous voulez.


Mais dans tous les cas et à travers ses différentes équipes créatives (la nouvelle prendra ses fonctions en 2018, avec le remplacement de Steven Moffat par Chris Chibnall), le Docteur Who nouveau est une série dense, passionnante, riche, pleine d’émotion, qui mérite bien d’être vue, ou, pour ceux qui se sont laissés décourager par la vision d’un ou deux épisodes, approfondie
Et si il n’y avait qu’une raison pour ce faire, je vais laisser l’ami Steven vous la donner :
A lot of our heroes depress me. But you know, when they made this particular hero, they didn't give him a gun, they gave him a screwdriver to fix things. They didn't give him a tank or a warship or an X-wing fighter, they gave him a call box from which you can call for help.”
Amen.


Nous entrons maintenant en zone spoiler. Be waaarned.



II. RUSSEL T. DAVIES : BLAGUES SUR LES GROS ET ANGOISSE EXISTENTIELLE



1) SAISON 1 :
Tout le mal que je peux dire de Russel ne s’applique pas à la saison 1. J’adore la saison 1.
Paradoxalement, je suis absolument et complètement sûr que si vous commencez par la saison 1 (ce qui est, encore une fois, souhaitable) vous n’allez mais alors pas du tout l’adorer. Le meilleur moyen de la décrire, c’est de dire que c’est une très bonne saison mais une très mauvaise introduction, et que le néophyte va passer au moins les 5 premiers épisodes, et plus probablement toute la saison, à se demander : c’est quoi ce truc ?
Christopher Eccletson est mon Doc’ préféré, souriant, cachant le poids de son âge sous un accent manchunien, mais pouvant dégager à certains moments une intensité absolument incroyable (la scène de l’interrogatoire dans l’épisode 6 est un des moments les plus soufflants que j’ai vu à la télévision, oui monsieur). Il est secondé par Billie Piper en Rose, qui est probablement une des raisons qui peuvent gêner ceux qui commencent à regarder la série : pourtant, derrière le côté un peu blonde niaise, il y a un vrai personnage, qui si il n’est pas toujours beau, est toujours juste – soyons honnête, beaucoup de personnes réagirait exactement comme Rose si ils étaient brusquement initiés aux joies du voyage temporel.
Et puis surtout l’arc, l’évolution de ces personnages est suprêmement bien géré, chaque épisode amène quelque chose à leurs personnalités, et derrière le côté super cheap des décors (et parfois des histoires – trois mots : aliens, verts, péteurs) se cache une vraie histoire, humaine, superbe, qui culmine dans un final très réussi, qui si il repose sur un Deus ex Machina absolument colossal, est simple, et beau. Comme cette saison, et comme les meilleurs scripts de l’ami Russel.
8/10


2) SAISON 2 :
Sauf qu’Eccletson se barre. Alors on aura beau dire que Tennant est génial et tout et tout, mais son arrivée, si elle a apporté un dynamisme bienvenu et a largement contribué à populariser la série, n’a pas du tout fait du bien à la narration.
Les problèmes qui se matérialisent dans cette seconde saison ne viennent pas tant du côté du Docteur : j’ai dit que j’étais pas fan de 10, et je maintiens. Mais la faute n’en revient pas à cette saison : j’aime beaucoup Tennant quand il reste dans la zone « aventurier flamboyant », ce qui est généralement le cas ici (à part une très malheureuse scène à la fin de The Christmas Invasion, qui me donne envie de défoncer mon écran à chaque fois que je la vois, mais passons). Notons aussi un énorme point positif au niveau du travail fait sur les personnages secondaires, Mickey Smith et Jackie en tête, qui acquièrent des dimensions supplémentaires bienvenues.
Nan, le problème c’est Rose. Rose marchait excellemment bien avec Eccletson ; mais elle n’a pas été du tout conçue à l’origine pour complémenter Tennant, et ça se voit. Enfin, le début de la saison semble toucher un début d’arc intéressant : développer leur relation tout en montrant ses effets négatifs.
A ce titre-là c’est assez magistral, peu importe la qualité des épisodes en eux-mêmes : le premier établit qu’ils forment maintenant un couple, le second montre qu’ils font ressortir le pire de chacun, le troisième dénonce discrètement les non-dits et l’hypocrisie un peu latente de leur couple, et le quatrième, le magistralissime Girl in the Fireplace, montre ce à quoi ressemblerait une relation amoureuse plus saine impliquant le Docteur (tout en créant un scénario assez génial à base de France du XVIIème, de vaisseau spatial et de cheval nommé Arthur).
Mais cette trame est complètement larguée à partir de l’épisode 5, et on nous demande alors d’accepter qu’ils forment une sorte de couple parfait de super badass, tellement pris dans ses aventures que le spectateur se sent limite de trop : c’est une plaie qui revient hanter tous les épisodes de la fin de saison, aussi bons soient-ils, comme le fantastique The Impossible Planet, qui, si il reste un des meilleurs épisodes de la série tout entière, doit malheureusement composer avec un monologue très lourd sur le caractère exceptionnel et quasi-divin de Rose (« I BELIEVE IN HEEER ! »).
La saison est un peu à l’image de son final : bonne, mais elle aurait pu être TELLEMENT PLUS ! (si vous avez chopé la référence, vous avez gagné un câlin virtuel). C’est du travail très bien fait, mais qui manque un peu de personnalité : Rose a une très belle (et absolument cultissime) scène d’adieu, mais je ne peux pas m’empêcher que le personnage n’en sort pas beaucoup plus intéressant qu’à la fin de la saison 1 et qu’on est, au final pas très loin de la manipulation émotionnelle. C’est encore plus frappant avec l’arc scénaristique de la saison : l’Institut Torchwood, que Russel avait passé la saison à teaser, a le droit à trente minutes de temps d’écran avant d’être oblitéré par les Cybermen, et tous les questionnements qu’il aurait pu apporter sur le comportement et le rôle du Docteur sont ignorés (ce qui est d’autant plus étonnant que le début de la saison semblait suggérait un arc centré sur les abus de pouvoir fréquemment commis par le Docteur ; sans arc pour adresser ces … crises, il reste juste des moments insupportables ou 10 se conduit comme le dernier des connards ; et ça, ça n’est que le début …).
Autre fissure qui apparaît : on commence à voir des épisodes vraiment, vraiment mauvais, notamment le doublé Love & Monsters / Fear Her, qui occupent généralement les deux premières places des sondages cherchant à déterminer les pires épisodes de Docteur Who (le premier étant une expérience intéressante gâchée par une fin d’une connerie abyssale, et le second un filler sans la plus minuscule, la plus infinitésimale étincelle d’inspiration). Mais dans l’ensemble ça reste plutôt très bon.
7/10


3)SAISON 3
Et c’est là que les ennuis commencent …
Les saisons 3 et 4 sont probablement les plus populaires dans nos vertes contrées – et même si je suis mais alors en complet désaccord avec ce statut, je comprends tout à fait pourquoi. C’est en effet à partir de ce moment que la série a commencé à multiplier les épisodes-concepts, à davantage expérimenter avec son canevas narratif, et, en général, avec succès. La saison 3 collectionne les morceaux de bravoure, les épisodes parfaits ou presque : il y a Blink, bien sûr, l’épisode le plus culte de la série (et accessoirement, le plus effrayant) ; il y a 42 qui développe son histoire en forme de course-poursuite en temps réel ; il y a Gridlock, qui est une sorte de petit conte moral absolument superbe ; il y a Utopia qui fait un travail de développement de personnage incroyable et qui se conclut par un twist qui retourne bien le cerveau comme il faut.
Et, paradoxalement, la saison 3 est complètement foireuse.
Déjà, il y a Martha. Martha, Martha, Martha …
Martha a autant de personnalité qu’une plante en pot. Voilà, c’est dit.
Honnêtement, les deux ou trois premiers épisodes de la saison font un travail honnête avec elle, la dépeignant comme une femme beaucoup plus solide psychologiquement, débrouillarde et intellectuelle au sens technique que Rose. Mais après, elle disparaît complètement, joue les figurants même quand sa famille est intégrée à l’épisode (The Lazarus Experiment), et, à part un morceau de bravoure (42), tout son arc scénaristique est relégué à l’épisode final. Même pas – aux dix dernières minutes de l’épisode final. Alors certes, ce sont dix bonnes minutes, mais Martha est un boulet que se traîne cette saison, continuellement restreinte par le souvenir de Rose (que l’on rappelle TOUT LE TEMPS) et par la comparaison que le spectateur peut faire avec la Donna de Catherine Tate, qui fait ici sa première apparition avant d’être promue premier rôle dans la saison 4 (et qui, comme toujours, est géniale). Le fait que Freema Agyeman n’aie pas le talent d’actrice pour transcender des partitions faibles (comme le feront si bien Tate et Jenna Louise Coleman, et comme l’avait fait Billie Piper dans la saison 2), et qu’elle soit contrainte par une direction d’actrice faiblarde à être complètement éclipsée par David Tennant n’aide pas. Du tout.
Ah, oui, et si je ne hais pas encore le Dixième Docteur à ce niveau-là, c’est avec cette saison que je commence à trouver son personnage complètement inconsistant d’un épisode à un autre, changeant de personnalité au gré des caprices des scénaristes – heureusement que David Tennant est excellent, parce que bon ... La façon assez désagréable dont il traite Martha, aussi, si elle n’est pas nécessairement un mauvais carburant dramatique pour la saison, aurait bien mérité un peu de recul, parce qu’on en parle jamais avant le premier épisode de la saison 4. Encore une fois, je suis au plus haut point énervé par la façon qu’à Russel T. Davies de proposer des dilemmes moraux sans jamais avoir le courage de les développer convenablement, comme par une espèce de peur bizarre que la série devrait s’effondrer si jamais on remettait en question la coolitude extrême de David Tennant. A ce sujet, il est indispensable de parler du double-épisode Human Nature / Family of Blood, qui propose une exploration très poussée du personnage et reste, pour le meilleur et pour le pire, la somme de tout ce qui fait les années Tennant : ne serait-ce que cette dichotomie qui serait fascinante si les scénaristes ne la prenaient pas pour un dilemme, entre un Docteur trop humain et un Docteur Dieu vivant. Le sujet est vaste, et pour ne pas ajouter trop de lignes à cette bafouille qui s’annonce déjà être un pavé monumental, je me contenterai de dire que si l’épisode reste bon, sa prémisse n’a absolument aucun sens, qu’il y a beaucoup trop d’intrigues qui s’y entrecroisent, et que si Tennant est très bon pour dépeindre le côté humain, il se prend les pieds dans le tapis dès qu’il passe en mode Dieu vengeur, la faute à un concept qui n’a pas été convenablement présenté, appuyé dès son introduction dans le rôle et qui semble venir un peu de nulle part – l’écriture ne le soutient pas assez. D’ailleurs, ce que je dis au sujet de cette dichotomie est franchement valable pour toute la fin de l’ère Tennant, jusqu’à The End of Time en 2010.
D’ailleurs, quand on parle de dieux, parlons un peu du final en trois parties, qui commence très, très fort et qui s’étale ensuite lamentablement avec un Docteur transformé en ersatz de Gollum avec un maquillage dégueulasse, qui parvient à détruire ses ennemis en se transformant en Jésus super sayen grâce au pouvoir de la foi humaine. Passons sur le fait que ça n’a aucun sens scénaristiquement (donc, pour se libérer du joug d’un Seigneur du Temps maléfique qui veut que vous lui vouiez une foi aveugle, il faut … accorder une foi aveugle à un autre Seigneur du Temps ? Okéééé …), et insistons simplement sur le fait que c’est totalement con. Heureusement, Martha a pour une fois un développement pas trop dégueulasse, le merveilleux capitaine Jack Harkness fait son grand retour, et, ultime grâce salvatrice, le Maître fait sa première apparition, sous les traits complètement allumés de John Simm. Le personnage est génial, l’acteur est génial, et j’applaudis à chaque fois quand il se met à hurler « HERE COME THE DRUUUUUUUMS » en détruisant le monde sous fond de techno merdique. M’enfin, dans l’ensemble, c’est complètement raté.
Cette série se trimballe aussi un sacré peloton d’épisodes complètement cons et passablement foireux (Des Daleks à Manhattan, L’Expérience Lazarus), mais passons.
Un bon point : l’arc scénaristique se fait plus subtil que de simples mentions récurrentes d’un terme, et est très, très bien mené, même si au final il est plus ou moins résolu dès la première partie du final. M’enfin.
5/10


4) SAISON 4 :
Alors déjà, coupons court : la saison 4 est meilleure que la 3, ne serait-ce que parce qu’ils ont viré Martha, et qu’ils ont enfin réussi à trouver un compagnon qui a une vraie alchimie avec 10, et une vraie présence face à Tennant, en la personne de Donna, jouée par l’humoriste Catherine Tate (pour vous situer le niveau d’improbabilité de ce choix de casting, c’est comme un peu comme si on collait Anne Roumanoff dans Star Wars … et qu’elle y était comme un poisson dans l’eau).
Donna est vraiment un personnage sublime, très drôle et émouvante ; et c’est vraiment au niveau de ses personnages humains que cette saison atteint ses sommets – Martha est bien plus intéressante, j’ai juste envie de faire un câlin à papy Wilfred à chaque fois qu’il entre en scène, et surtout arrive LE meilleur personnage de la série, le professeur River Song, dans un très bon épisode en deux parties qui se permet quelques fantaisies métanarratives assez jouissives (notamment au niveau de l’usage de la musique). Comme dans la saison 3, il y a une bonne pelletée d’épisodes-concepts absolument cultes, notamment les deux plus grands chefs-d’œuvre de Davies, Midnight et Turn Left ; ce dernier constituant quarante-cinq des meilleures minutes de télévision de tous les temps, essentiellement parce que Catherine Tate prend les commandes et que David Tennant fait le mort pendant tout l’épisode.
Car en effet, ça y est, on est arrivé au point où Tennant me soûle. Le fait qu’on veuille absolument en faire un héros parfait en dépit de tous ses innombrables défauts me soûle ; le fait qu’il passe son temps à monologuer et à faire de grandes déclarations morales sans que le script essaye de transformer cette pédanterie en sagesse me soûle à un point difficilement imaginable (soyons sérieux – comment peut-on encore croire à une quelconque cohérence dans l’écriture du personnage quand l’homme qui a déclaré dans sa première aventure qu’il était le genre d’homme qui n’offrait pas de secondes chance se retrouve plongé dans une colère noire quand quelqu’un supprime pour lui une flotte entière d’aliens dégénérés, cinglés et génocidaires ?). Le personnage principal est passé en autopilotage ; non, d’ailleurs, les scénaristes en général, excepté Moffat et occasionnellement Davies, sont tous passés en autopilotage. Y a peu de mauvais épisodes cette saison, mais alors il y en a beaucoup qui sont très oubliables ; on a d’excellents personnages pour servir de catalyseurs aux aventures, mais guère d’aventures. On réutilise les aliens d’une précédente aventure (Planet of the Ood), on balance un max d’effets spéciaux sans se soucier une seconde de la cohérence du script (Voyage of the Damned, un sérieux concurrent au titre de pire épisode de la série), on oublie complètement d’écrire une intrigue (The Unicorn and the Wasp), on régurgite l’histoire d’invasion extraterrestre qu’on nous a déjà servi à chaque saison précédente (The Sontaran Stratagem/The Poison Sky). Et puis bien sûr, il y a le ratage annualisé, ici sous la forme de The Doctor’s Daughter, sur lequel on passera miséricordieusement.
Et puis y a le final.
Alors il commence très bien. C’est épique, un peu boursouflé, oui, peut-être, mais tellement fun. Par contre, la fin … Elle n’est pas aussi stupide que celle de la saison précédente, mais en revanche elle affaiblit terriblement le travail d’écriture que Davies a lui-même accompli. Rose se retrouve finalement avec tout ce qu’elle a toujours voulu, annulant toute sa progression en tant que personnage et privant son arc de toute ampleur dramatique ; les questions sur la moralité finale des actions de 10 (transforme-t-il ses compagnons en armes, et caetera …) sont encore une fois éludées ; et surtout, SURTOUT, toute une saison de développement de Donna se retrouve retconnée, renvoyant le personnage à son point de départ et rendant en fait les 13 épisodes précédents complètement inutiles. Cette scène finale a été décrite comme bouleversante, elle est juste insupportable ; c’est de la manipulation psychologique basique, un personnage magnifique massacré pour générer artificiellement de l’émotion dans une tentative assez pitoyable de recréer le final de la saison 2 et son impact. Qui plus est, le fait que notre bon Docteur se permette de réarranger les pensées d’une humaine sans son consentement envoie plein plein plein de signaux rouges dans mon cerveau, et je trouve extrêmement surprenant (quoique, pas tant que ça au fond, vu leur nature en général assez putassière) que les articles se proposant d’analyser le traitement des personnages féminins dans cette série éludent complètement ce moment un peu gênant.
Au final, la saison va quelque part – c’est déjà une amélioration par rapport à la précédente, je suppose. Mais à ce stade, j’avais très, très envie que Davies parte. Hélas, il reste encore un an …
6/10


5) LES EPISODES SPECIAUX DE 2009
Davies aurait dû partir après la saison 4. Cette déclaration n’est pas une expression de rage aveugle ; simplement un constat – malgré tout ce que je viens de lui reprocher, le final de la saison 4 reste dans l’ensemble un bon épisode (c’est juste qu’il m’énerve ; qu’il m’énerve beaucoup) et aurait été une excellente manière de clore l’ère Tennant-RTD. Ça aurait même justifié le côté épique jusqu’à l’excès, et sûrement contribué à rendre la saison 4 plus cohérente. Mais à la place, il y a eu ça …
On passera sur les deux premiers specials, qui sont d’un ennui mortel et ne servent en fait qu’à filer une dose réglementaire de Who aux spectateurs ; on passera aussi sur The Waters of Mars, dont je ne peux que reconnaître la très grande qualité quand bien même j’en suis pas spécialement fan (la faute probablement à la thématique de « base assiégée », déjà bien essorée par les saisons précédentes, et à un format un poil trop long).
On va surtout parler du chant du cygne de Tennant, The End of Time. C’est un peu le résumé parfait de cette période, avec un épisode qui fait le grand écart entre le génial (le cliffhanger de la première partie, la révélation de l’origine des tambours, le sous-texte religieux ENFIN utilisé de manière pertinente, la Femme, Wilfred plus choupi que jamais, le twist des quatre coups) et le complètement débile (le plan du Maître, les nouveaux pouvoirs du Maître, chaque scène ou presque où le Maître apparaît, les aliens verts, la scène en pseudo-hommage à Star Wars, etc. …).
Pourtant, malgré le côté très irrégulier du machin, force est de constater qu’il fonctionne inexplicablement bien, surtout quand il s’attarde sur 10 et ses émotions. Enfin, ENFIN on s’attaque aux contradictions du personnage, on accepte de le prendre comme un héros malgré lui, destiné à sauver l’univers mais gardant en lui une part profonde d’égoïsme, d’arbitraire, d’orgueil – cette part qui trouve son origine dans le traumatisme qu’il a subi pendant la Guerre du Temps, Guerre à laquelle il est confronté, pour finalement abandonner cette personnalité, ce corps, qui a servi son office dans le chemin qui doit le conduire vers une sorte de rédemption.
Tu vois, Russel, quand tu veux, tu peux écrire des arcs scénaristiques intéressants …
Ç’aurait été bien que tu nourrisses les saisons précédentes avec plutôt que d’infliger au spectateur ce diverticule mal fagoté que sont les « épisodes spéciaux », mais bon. Sans rancune, tu as quand même créé une série sacrément singulière, même si bourrée de défauts. J’irais pas jusqu’à dire que je te regretterais, mais je regarderais ces années 2005-2009 avec un peu de nostalgie, si, si, quand même.
4/10
(si il n’y avait que The End of Time et The Waters of Mars, on monterait à 6, mais bon, hein, il y a quand même deux heures complètement inutiles avant)



III. STEVEN MOFFAT PREMIERE PERIODE (5-7) : ALIENS SILENCIEUX ET FOUTOIR GENERAL



1) SAISON 5 :
Est-ce que la saison 5 est vraiment une saison 5 ?
Oui, un peu, quand même, mais c’est aussi la première saison d’une série assez différente, au personnel créatif presque entièrement renouvelé.
Et déjà, ça se voit à la tête des épisodes. Le style très téléfilm, volontairement cheap de l’époque Davies disparaît dès le premier épisode ; la réalisation est vachement plus soignée, vachement plus présente aussi.
Mais surtout, ça se voit avec la tête d’affiche. Matt Smith.
Nom de Dieu, Matt Smith. Cet homme est très, très bon. D’un point de vue purement subjectif, Eccletson reste mon chouchou, probablement parce qu’il bénéficie de l’écriture la plus précise, la plus riche aussi, et qu’il a montré peut-être pour la première fois à quel point le Docteur pouvait être un personnage riche et complexe. Mais c’est indéniable : tous les acteurs qui reprendront le flambeau seront jugés à l’aune de la performance de Matt Smith, qui est ahurissante non seulement par son énergie, sa physicalité (il donne une allure, une attitude inimitable à son personnage), mais aussi par la manière dont elle correspond parfaitement à la série elle-même, avec son côté constamment sur le fil entre l’ancien et le jeune, l’improvisation la plus complète et le calcul le plus stratégique. Qui plus est, Smith, contrairement à son prédécesseur, parvient vraiment à faire ressentir les parts les plus sombres du personnage, sans que le script se sente obligé de surcompenser derrière : le meilleur exemple reste cette scène, dans ‘The Hungry Earth’ (pas franchement un épisode de référence, soyons honnête), où, avertissant avec un sourire un humain de ne pas prendre des armes avec lui dans sa fuite, il parvient peut-être à donner le conseil amical le plus menaçant que j’ai pu voir.
Et d’ailleurs, Moffat fait une chose très sensée avec cette performance : il lui laisse de l’espace – il construit la série autour d’elle. Chez Davies, les personnages principaux ont toujours été les compagnons, avec le Docteur toujours présent, mais son développement restait une sorte de ligne continue, bien présente mais discrète, plutôt que le ciment de l’intrigue. La cinquième saison, c’est la saison du Docteur, et ça se voit dès son premier épisode, The Eleventh Hour, un mastodonte blockbuster d’1h05 – soixante-cinq minutes de Matt Smith, sans interruption ou presque, qui font un travail monumental pour redonner au personnage un nouveau souffle, un nouveau mystère, une nouvelle énergie. La sentence tombe en fin d’épisode : « I am the Doctor ». Pouf. On y est, on y croit, une nouvelle vision a chassée l’ancienne, bienvenue à Moffatland.
Je ne crois pas que The Eleventh Hour, malgré le plébiscite qu’il a reçu, soit un chef-d’œuvre incommensurable, mais force et de constater qu’il donne à cette saison un élan qu’elle a un peu de mal à rattraper ensuite. On en reviendra toujours là avec l’ère Moffat : les problèmes avec ses saisons sont en majorité structurels, et le plus gros tort de celle-ci, c’est de suivre trop fidèlement la structure que Davies a su imposer en quatre ans, de trop miser sur ses épisodes-concepts et de négliger un peu ce qu’il y a autour. Les auteurs commettent là une erreur, puisque ce genre de cadre est pas trop compatible avec les exigences d’une narration sérialisée. Cette saison, quand bien même ses enjeux les plus importants sont complètement différents des précédentes, n’expérimente qu’un peu, reste sage même dans ses excès : ça lui a valu une très grande popularité (elle est généralement considéré comme la meilleure), mais malheureusement, y a quand même beaucoup d’épisodes un peu moyens, un peu trop outrancieusement fonctionnels. Victory of the Daleks n’est là que pour réintroduire les Daleks sans avoir à les re-tuer à chaque épisode. The Hungry Earth n’existe que pour son twist final. La saison 5 fait figure de reboot nécessaire, mais un peu laborieux.
Mais pourtant, il y a des changements fondamentaux : la saison 5 s’offre une vraie intrigue, assez touffue, à la limite de l’incompréhensible, mais qui offre un dynamisme tellement bienvenu à l’ensemble, et l’intrigue globale permet de créer une vraie cohérence, un vrai ton, une vraie ambiance, alors que l’ère Davies avait parfois plus souvent l’air d’un patchwork de cadres, d’intrigues et d’influences. Docteur Who prend des allures de conte de fées – il n’en est pas devenu plus niais pour autant, mais il rechigne davantage devant l’épique, et le côté sombre reste caché, comme dans son interprète.
Qui dit conte de fées dit aussi protagoniste. Arrive Amelia Pond, interprétée par Karen Gillan, et c’est là que le bât blesse : Gillan a beaucoup plus de présence que Freema Agyeman dans la saison 3, et une bien meilleure alchimie avec son Docteur, mais le personnage est pas franchement intéressant. C’est le contrecoup d’avoir choisi de focaliser la série sur le Docteur : le compagnon a moins de matériel dramatique, et se voit plus souvent traité comme un mystère à résoudre qu’une personne à part entière. Les choses s’améliore, cela dit, quand son petit ami Rory entre dans la danse : les conflits qu’il apporte sont intéressants, l’acteur est bon, le trio fonctionne très bien. Mais il manque un petit supplément d’âme là-dedans, et vu à quel point le final requiert, dans ses derniers moments, un investissement émotionnel de la part de son audience … Ouais. Ça aurait pu être mieux.
Mais c’était quand même génial. Le final, complètement fou, excepté pour sa fin bizarroïde, est le meilleur de toute la série, impressionnant de maîtrise narrative, montrant enfin ce que l’on peut faire quand on utilise le voyage temporel comme argument principal de sa série et non pas comme un moyen facile de se déplacer vers le lieu de l’action ; fou, Amy’s Choice l’est aussi, avec ses histoires de rêves superposés ; et puis il y a cette rencontre sublime avec Vincent Van Gogh, qui va faire pleurer dans les chaumières (TU VOIS RUSSEL ? CA ! CA C’EST DE LA VRAIE EMOTION !).
Et puis y a River, que j’aime d’amour et d’eau fraîche, qui vole chacune de ses scènes, et qui en fait s’impose comme le vrai compagnon de cette saison 5, quand bien même elle n’apparaît que dans 4 épisodes sur 13. A ce sujet, Alex Kingston, si tu me lis, je pourrais être ton petit-fils, mais j’aimerai bien que l’on aille prendre un café et qu’on se raconte des histoires salaces en riant comme des collégiennes.
Ne me jugez pas.
7/10


2) SAISON 6
C’est avec la saison 6 que Moffat commence à diviser. A diviser son public, s’entend, mais pas seulement, puisque les saisons 6 et 7 adoptent le modèle américain d’une saison coupée en deux, séparée par un « mid-season final ». On peut se demander si c’est une bonne idée, tant les deux moitiés de cette saison semblent désarticulées – à la première, lourdement sérialisée, très dense scénaristiquement et généralement génialissime répond une seconde qui semble se contenter de batifoler dans une série de stand-alone ne rejoignant l’arc préétabli que très rarement. Et l’ensemble en souffre : le début est si fourmillant d’idées et si intense que la seconde ne peut se décevoir, notamment dans l’usage très anecdotique qu’elle fait des antagonistes fantastiques que sont le Silence (respirant la classe tout en étant parfaitement dérangeants) et dans les intrigues qu’elle bazarde en l’espace d’une réplique ou d’un deus ex machina – si à cet égard le final parvient à être vaguement satisfaisant, les évènements de la Retraite du Démon auraient vraiment mérités un développement plus poussé. Non, pas plus poussé – un développement, tout court (Amélia, pas traumatisée par la perte de ta fille ? non ? t’es sûre ?), parce que dans l’état, l’arc scénaristique fait plouf.
La saison 6 veut redoubler d’intensité et de rigueur du côté de la narration tout en conservant le côté improvisé et aléatoire de Doctor Who. Évidemment, on ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre, la crème et le cul de la fermière (ou du fermier, ne soyons pas sexistes), et ce pari improbable n’est pas rempli.
On peut même dire, si on ne se sent pas l’âme charitable, que la saison 6 est un échec, et l’on aura pas forcément tort ; mais si la saison 6 est un échec, c’est un de ces échecs qui sont aussi fascinants à regarder qu’à analyser, qu’on aime pour leur ambitions, pour la volonté qu’ils ont eu de repousser les limites.
Et puis quand même, même si il y a de gros bas dans cette cuvée 2011, il y a aussi de sacrés hauts. La parenthèse américaine des deux premiers épisodes est le meilleur moment de la tenure de Matt Smith, épique et touchante tout en entretenant des enjeux épiques et colossaux (soit dit en passant, le principe du meurtre au lac Silencio et de l’Impossible Astronaute est un des plus gros coups de génie de l’histoire de la télévision) ; notons aussi la réinterprétation très originale que fait des codes de la série l’auteur américain Neil Gaiman dans l’épisode 4. Et puis bien sûr, il y a le Conte de Noël de Steven Moffat, une fantaisie dickensienne absolument délicieuse et suprêmement bien écrite.
Sans compter cet argument qui pèse très lourd dans mon acompte : la saison 6 est celle où River a le plus de présence. Alex Kingston est proprement divine, et si les révélations sur les origines de son personnage peuvent décevoir, elle parvient presque à tout faire marcher à la force de son charisme.
En résumé, la saison 6 prend tous les aspects de la saison 5, ses trouvailles scénaristiques folles comme ses faiblesses structurelles, et les démultiplie – on aime ou l’on déteste, mais on devrait dans tous les cas respecter ce projet un peu fou.
Si, tout de même, une amélioration notable par rapport à la saison précédente, les compagnons. Si encore une fois, la première partie tend à reléguer Amy à un rouage du scénario, la deuxième, et c’est bien là son plus grand mérite, approfondit beaucoup le personnage, et a notamment le courage très caractéristique de Moffat de pointer la nature malsaine sa relation avec le Docteur, notamment à travers le très beau diptyque The Girl Who Waited / The God Complex. Un aperçu de ce qui nous attend plus loin, quand Moffat commencera à déconstruire ses propres stéréotypes et scénarios …
Malheureusement, si les faiblesses structurelles de la série n’ont ici pas empêché de telles avancées de voir le jour, ce ne sera pas toujours le cas …
8/10
(cette note est subjective as fuck)


3) SAISON 7
La saison 7 est un bordel monstrueux. A la fois dans le sens où le résultat final est confus comme pas deux, mais aussi dans celui où elle a dû être un enfer à produire : étalée sur deux ans (pour des raisons que je n’ai vu confirmées nulle part mais qui ont probablement eu à voir avec les préparatifs du cinquantième anniversaire en 2013), devant à mi-parcours gérer le départ de Karen Gillan et Arthur Darvill, puis introduire un nouveau compagnon, fêter le demi-siècle de la série en fanfare et servir de chant du cygne à Matt Smith.
Faire un machin cohérent dans ces conditions allait être délicat ; encore plus délicat lorsqu’on considère le nouveau format des épisodes, qualifiés de « blockbusters-of-the-week » par la rhétorique bébécéenne. En clair, il s’agit de continuer sur la lancée de la deuxième moitié de la saison 6, de faire de chaque épisode un mini-film en mettant l’accent sur les effets et le spectaculaire, et de garder la sérialisation au strict minimum. Alors certes, cette saison a de la gueule, encore plus que les précédentes, et certes, c’est une décision qui a été prise en partie en face du mécontentement bien réel d’une partie de la communauté face à la nature lourdement sérialisée des deux dernières saisons.
Mais ça marche pas. Déjà, et surtout, ça commet le plus grand crime que Docteur Who plus connaître : ça uniformise les épisodes, ça fait perdre une quantité tangible de cette précieuse folie qui a porté et fait vivre le programme (d’autant plus dommageable en une année anniversaire !), et empêche la série d’atteindre de vrais sommets , d’avoir des épisodes qui vous font vraiment vibrer de la première à la dernière minute (sauf The Rings of Akhaten, ce chef-d’œuvre sous-estimé).
Mais aussi, ce traitement nuit considérablement aux tentatives qui sont faites pour assurer une cohérence à la série.
Car il y a des choses à ce niveau. Chez le Docteur, les questionnements apportés par l’imminence du cinquantième anniversaire sont assez bien amenés, et subtilement avec ça, énormément d’épisodes mettant en effet en scène des confrontations entre notre héros et une sorte de double, de reflet d’un aspect de sa personnalité et de son identité (le contrebandier de l’épisode 2, le médecin du 3, et ainsi dans les 7, 8, 9, 12 et 13), mais ces parallèles intelligents sont noyés par le némésis éternel de Moffat, le format.
Et les compagnons en souffrent aussi. Enfin, pas tellement le couple Amy/Rory – en fait, ils sont probablement ce qui rend la première moitié de la saison bien supérieure à la seconde ; les scénaristes ont trouvé (enfin, pourrait-on dire) un angle intéressant pour les traiter. Si leur sortie est un peu décevante, probablement parce qu’elle retombe un peu trop dans le côté grandes orgues et « pas-de-la-manipulation-émotionnelle-mais-presque » cher à RTD, elle est très bien préparée, et l’on comprend véritablement la place et l’importance de ces personnages.
Nan, celle qui se mange tous les problèmes structurels dans la gueule, c’est la nouvelle venue, Clara. Et ce malgré son interprète, Jenna-Louise Coleman, absolument excellente, surtout en ce que son style de jeu beaucoup plus théâtral, plus « joué » que celle de ses prédécesseresses est un très bon catalyseur pour les dialogues très vifs et très écrits de Moffat. Malgré aussi un nuage de bonnes idées autour du personnage (que l’on développera plus tard). Mais voilà, c’est bien le problème, Clara version saison 7, c’est un personnage-concept, une ébauche presque. L’arc scénaristique de la Fille Impossible (encore une fois, tendant à faire d’elle un engrenage scénaristique) semble n’exister que pour transformer le final en un gigantesque hommage aux compagnons du passé, avant la célébration du Docteur dans l’épisode spécial des cinquante ans. Son background, s’il est très intéressant d’un point de vue thématique, n’est presque jamais utilisé. And so on …
Et du coup (oui, la saison 7, c’est un peu l’effet boule de neige), tout ça entraîne des problèmes avec Matt Smith. Ce n’est qu’une fois qu’Amy est partie qu’on réalise à quel point elle était importante dans l’équilibre de la série : peu importe ses vertus en tant que personnage, sa relation avec le Docteur, mélange de respect inconditionnel et de crainte plus ou moins consciente par rapport au danger qu’il représente (rappelons qu’il a bousillé son enfance et l’a privé de sa fille) permettait d’ancrer la performance de Matt Smith, de lui poser un cadre. Sans elle, 11 tend à passer en mode « regardez-moi regardez-moi regardez-moi je suis tellement fantaisiste ! » bien trop fréquemment ; la saison 7, c’est le Matt Smith Show, avec tout ce que ça a de bon (ai-je mentionné The Rings of Akhaten ?) comme de mauvais – le mauvais prenant ici la forme du démon de la lassitude qui guette le spectateur …
Et, comme si ça suffisait pas, signalons en plus, que pour la première fois peut-être chez Moffat, il y a des épisodes vraiment ratés, qui s’effondrent sous les poids des contraintes formelles et finissent par ressembler à des ensembles de scènes et d’idées mal connectées entre elles (The Bells of St John, et Nightmare in Silver, je vous regarde …)
Toutefois, la fin de l’année 2013 apporte un dynamisme nouveau, enfin. Après un final qui, passé le fait qu’il n’a absolument aucun sens, est en fait plutôt très bon (et ceci, mes amis, est une excellente façon de résumer Docteur Who), arrive l’épisode des 50 ans.
Bien que pas exempt de défauts (les deux intrigues principales se mélangent pas forcément trop bien), il redistribue vraiment les cartes, fait repartir la série sur de nouvelles bases, ce qui est tout ce qu’on pouvait lui demander après le cul-de-sac qu’était cette saison 7. La densité thématique et l’intelligence de ces 75 minutes sont impressionnantes : Moffat parvient à créer une sorte de méta-arc englobant tous les Docteurs de la nouvelle série, chaque incarnation comme un pas de plus vers la rédemption – ou en tout cas, une vérité intérieure symbolisée par cette question récurrente du « Docteur Who ? ». La fuite, ce motif récurrent des 7 saisons précédentes, s’arrête là, il est temps de se confronter à la réalité.
[Parenthèse : je trouve assez étrange que l’on considère que Steven Moffat défait ici le travail de RTD – Doctor Who vit et se nourrit de retcons depuis 1963, celui-ci n’est ni le premier ni le dernier. Et puis qui est allé se plaindre que la guerre du temps rendait les 26 saisons originelles nulles et non avenues ?]
En comparaison, l’adieu de Matt Smith, The Time of the Doctor, est un peu faible, surtout à cause … ? Oui … ? Vous avez deviné ? De problèmes structurels ! En l’occurrence un format beaucoup trop étriqué pour l’ampleur épique de l’histoire qu’il veut raconter. Encore une fois, Moffat gère la fougère en termes de sous-texte thématique (avant une nouvelle chance prenant la forme d’un nouveau cycle de régénérations, le Docteur doit passer par une planète-purgatoire, lui, cette incarnation définie dès The Eleventh Hour par sa tendance à fuir aux moments les moins opportuns, doit rester statique, et assumer les conséquences de ses actes en protégeant la ville de Noël), mais néglige un peu ses mécaniques scénaristiques.
Reste que la scène finale de Matt Smith est absolument bouleversante, magnifique. Ces trois saisons auront été complètement folles, bizarres et irrégulières, fragiles comme une grosse boule pleine de « wibly, wobly, timey, wimey stuff », mais elles résument tellement bien l’esprit de la série, limitée seulement par l’imagination de ses auteurs, qu’on peut leur pardonner beaucoup, et surtout qu’elles gardent un impressionnant pouvoir de fascination.
5/10



IV. STEVEN MOFFAT SECONDE PERIODE (8-10) : ECOSSAIS EN COLERE ET ORGIES METANARRATIVES



1) SAISON 8


Je comprends qu’au bout de 10 ans de Docteur Who, dont 5 de Moffat, on puisse éprouver une certaine lassitude.
Je comprends qu’on ne soit absolument pas réceptif à l’écriture dudit Moffat.
Mais alors, que la saison 8 soit aussi détestée dans nos vertes contrées (6,4 de moyenne SC, soit largement moins que la médiocre saison 7), c’est une aberration cosmique.
Disclaimer : la saison 8 est la meilleure de la série.
Je répète : la saison 8 est la meilleure de la série, et vous ne me convaincrez pas du contraire.
Aussi, cette bafouille va plus être une lettre d’amour qu’un véritable argumentaire. Mais tant pis.
Déjà, il y a la qualité des épisodes en eux-mêmes – 2014 est une année sans véritable ratage pour Docteur Who. Même les histoires les moins convaincantes ont quelque chose pour elles (l’oubliable Robot of Sherwood a une très belle scène finale, qui s’intègre très bien aux thèmes de la saison ; Time Heist a plein de bonnes idées mêmes si elles sont mal exploitées ; et In the Forest of the Night est tellement bizarre et original qu’on lui passera d’être aussi passablement foireux) ; et de plus, non seulement les bons épisodes sont très bons, mais il y en a beaucoup. C’est de très loin la saison la plus consistante, non seulement en termes de qualité, mais aussi de cohérence thématique globale – la seule concurrente vraiment sérieuse est la 1. D’ailleurs, ce parallèle est intéressant, parce que l’on sent que Moffat, tout en continuant à poursuivre un style d’écriture qui est indubitablement le sien (voir à ce titre Listen, l’épisode le plus Moffatesque au monde – et accessoirement un de ses meilleurs, supplanté dans mon cœur seulement par The Impossible Astronaut et The Empty Child), essaye de radicalement changer ses habitudes, le cadre de la série : il y a un retour aux années Russel T. Davies, d’une certaine manière, avec à nouveau un partage des tâches égal entre le Docteur et son compagnon, une attention plus grande à la vie privée des personnages, et même un final centré sur l’invasion de la Terre ; mais l’équilibre entre développement de personnages et science-fiction est bien mieux géré, en tout cas que dans les années Tennant. Moffat assume cette transition, s’excuse même, d’une certaine manière, pour les défauts des saisons précédentes et trouve un moyen de les intégrer à celle-ci. Un nouveau décor pour un nouveau Docteur.
D’ailleurs, oui, deux mots sur Peter Capaldi. Enfin, deux fois deux mots : très bien – choix fédérateur. Très bien, parce qu’il maîtrise impeccablement sa performance, il n’y a rien à redire, et là où ses prédécesseurs suggéraient seulement le côté sombre du personnage, il se roule dedans allégrement sans jamais abandonner une sorte de vitalité un peu diabolique, d’énergie bizarre. Moitié Merlin, moitié adolescent dans un corps d’homme âgé (là où Matt Smith était un vieillard dans un corps d’adolescent). D’ailleurs, le parallèle avec Matt Smith est intéressant, tant Capaldi semble être écrit comme le miroir inversé de son prédécesseur (au point qu’on ramène carrément Matt Smith dans le premier épisode !) : Smith était une apparence de bonté excentrique et primesautière cachant un cœur sombre, plein de remords et manipulateur à souhait ; Capaldi a des apparences extrêmement déplaisantes, et pourtant cache un cœur d’humanité et de compassion. C’est le docteur nounours, en fait. Sauf que faut pas oublier qu’un ours, ça vous arrache facilement la tête d’un coup de patte. Par contre – et c’est pour ça que je le décrivais comme un choix fédérateur –, je ne suis pas convaincu (pas encore, en tout cas) que sa performance soit aussi forte que celle de Smith : elle est plus classiquement réussie, mais n’a pas la richesse incroyable et les multiples niveaux qu’il pouvait intégrer à une seule scène.
Par contre, si Capaldi n’est pas mon Docteur préféré, force et de constater qu’il est vraiment un des mieux écrits. J’aime vraiment que l’on s’attarde un peu sur l’intimité du personnage, sur la quête existentielle qu’il poursuit après sa dernière régénération, pour retrouver en lui ce qui fait l’essence du Docteur. Ça passe par des confrontations avec le passé (soit-dit en passant, la plus grande de ces confrontations, la scène finale de Listen, était préparée dès The Empty Child et The Girl in the Fireplace, dans les deux premières saisons – six saisons de build-up, donc – Moffat est un génie, je vous dit ! un génie !), et surtout avec Clara.
La saison 8 a instantanément catapulté Clara tout en haut de ma liste de compagnons favoris. Déjà, parce qu’il y a une vraie cohérence, cette fois, au niveau de son personnage et de son background (et Dieu sait que c’était nécessaire après la saison 7 !), mais surtout à cause de sa progression à travers la saison, un vrai arc dramatique, plus dense que celui de n’importe quel compagnon depuis la Rose de la saison 1, qui en plus construit très intelligemment autour de tous les éléments qui entouraient déjà le personnage dans la saison précédente.
On avait un personnage défini dès le départ par son amour des histoires – des histoires de voyage surtout (cf. The Bells of Saint-John), qui se retrouvait catapultée dans une histoire, au côté d’un charmant héros, et qui vivait une idylle plus ou moins tacite avec lui ; qui avait tellement bien assimilé les principes narratifs de l’univers qu’elle parcourt (on y reviendra, parce que la saison 8 c’est un peu la foire à la métafiction) qu’elle pouvait faire corps avec le passé et l’avenir dudit univers (en se jetant dans le flux dans le final de la saison 7), et corriger ce qu’elle percevait comme des erreurs dans le schéma narratif de l’histoire (elle était incapable de croire que le Docteur soit capable de génocide dans The Day of the Doctor, ou qu’il puisse périr dans The Time of the Doctor, et a réussi par deux fois à changer son destin). Et du coup, la saison 8 fait office de réveil brutal pour elle : elle croyait avoir un héros de conte de fées à ses côtés, elle se retrouve avec un être (in)humain autrement plus complexe et moins abordable. Et du coup, ben, il y a de la friction. Beaucoup de friction. Mais, derrière leurs engueulades quasiment systématiques, il y a un véritable chemin vers une compréhension mutuelle. A chaque épisode ou presque, Clara apprend quelque chose sur le Docteur ; le Docteur apprend quelque chose sur Clara ; le Docteur et Clara en apprennent davantage sur eux-mêmes. Et à la fin de la saison, Clara est presque devenue le super-compagnon, celle qui peut se faire passer sans difficulté pour le Docteur, son égale plus qu’autre chose : et c’est tellement plus sympathique de regarder une relation d’égal à égal ! Nonobstant tout ça, simple constat : nom d’une coccinelle borgne, Jenna Coleman est magistrale. Extrêmement drôle et attachante, tout en réussissant à maîtriser de bout en bout ses scènes dramatiques (non, mais, sérieusement, la première partie du final, quoi), et à transmettre les aspects les moins agréables du personnage (car, oui, les personnages de la saison 8 ont des défauts ! beaucoup, même – je prends ça comme une preuve d’écriture de qualité, très franchement : tout le monde n’a pas besoin d’être parfait, et ça ne fait que rapprocher la série du réel et apporter plus de punch aux enjeux dramatique)
Cette reconstruction des personnages passe aussi, parallèlement, par une déconstruction de la série. A un niveau purement scénaristique, d’abord : des épisodes comme Listen, et surtout Last Christmas, sont presque entièrement construits sur la reprise d’éléments classiques et de clichés de la série, pour mieux les subvertir (sondage : est-ce que quelqu’un a vu venir le coup du « it’ s a long story … » dans Last Christmas ?). Mais aussi à un niveau thématique – la plupart de ces questionnements sont incarnés par le personnage de Danny Pink, sur lequel il convient de s’attarder un instant, déjà à cause de l’étendue de sa présence dans la saison (11 épisodes sur 13 !), mais aussi parce qu’il est un peu controversé. D’accord – le style de jeu de Samuel Anderson est très naturaliste, ce qui n’est pas mauvais en soi, mais qui fait un peu étrange en face d’acteurs beaucoup plus théâtraux : vous le mettriez en face de Billie Piper, personne dirait rien, mais devant Jenna Coleman, y a un truc qui cloche un peu, au début en tout cas (on s’y habitue, et puis ils ont en fait une assez bonne alchimie). Mais quand même, j’apprécie beaucoup ce qu’ils ont fait du personnage : quelqu’un qui peut avoir raison contre le Docteur. C’est très rare : à chaque fois ou presque que quelqu’un s’est opposé à la vision du monde qu’entretient le Docteur, ça a été un ennemi (Davros dans la saison 4 restant le meilleur exemple), rendant les reproches trop facilement imputables à la malfaisance de l’adversaire. Ici, Danny n’est pas intéressé par ce que le Docteur représente, par ce qu’il offre, par ce qu’il incarne : c’est un peu l’équivalant du type qui regarde trois ou quatre saisons de Docteur Who avant d’arrêter définitivement et d’expliquer pourquoi il n’aime pas. C’est une bonne chose que la série admette qu’il est normal que tout le monde ne soit pas un voyageur temporel à la limite du surhumain : ça rend tout le schmilblick plus réaliste, plus moralement complexe, plus adulte.
Adulte – c’est vraiment le mot pour désigner cette saison. C'est le mot qui ressort, même malgré un arc scénaristique global pas forcément génial, et un final un peu décevant. Adulte dans son ton et son contenu, parfois, avec des moments assez sinistres ou choquants, notamment apportés par le retour du Maître sous les traits de Michelle Gomez (excellente dans la façon qu’elle a de continuer dans le côté mesquin et complètement givré de Simm tout en mettant en-dessous une vraie profondeur émotionelle). Et surtout, adulte dans ce qu’elle raconte, et met en scène.
Mais ce n’est pas parce qu’on entre dans l’âge de raison qu’il faut renoncer aux plaisirs du voyage temporel …
A bon entendeur, salut.
9/10


Cette critique étant beaucoup trop longue pour les standards de Senscritique, je te propose, cher lecteur, de finir ta lecture dans cette direction générale : https://tiberiantravels.wordpress.com/2016/06/25/une-presentation-pour-senscritique-fr/. Bisous.

EustaciusBingley
9

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Créée

le 15 juil. 2015

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