Girls
6.6
Girls

Série HBO (2012)

L'amour et la Ville [Critique de "Girls" saison par saison]

Saison 1:
Quand on attaque les premiers épisodes de "Girls", une série à la réputation grandissante, on se demande un peu ce qu'on fait là, à perdre son temps devant ce qui semble une citation / reconstruction de "Sex and the City", actualisée mais surtout trivialisée. L'humour "slacker" de Lena Dunham nous arrache certes quelques sourires, mais la galerie de "freaks" et les intrigues assez ineptes qui semblent constituer le cœur de "Girls", pas particulièrement non plus bien réalisé par Dunham elle-même, génèrent plus de l'irritation que de l'enthousiasme (sans même mentionner la vision assez déprimante du sexe que semble véhiculer "Girls")... Ce serait pourtant une grave erreur d'abandonner là la série, parce que le plan de Dunham (soutenue par Apatow, ce qui est quand même une sacrée référence, non ?) est beaucoup plus retors qu'il n'y paraît : au fil de scènes soit banales, soit ridicules, on assiste - assez médusés - à la construction minutieuse (et brillante d'intelligence) de personnages complexes, ambigus, qui dépassent peu à peu les stéréotypes barrés qu'ils semblaient destinés à illustrer. C'est particulièrement vrai bien sûr des personnages masculins - je pense à Adam, dont la relation avec Hannah (Lena) s'enrichit de manière stupéfiante, interprété par un Adam Driver réellement fascinant, ou encore à Ray, hilarant dans son cynisme, qui se révèle assez surprenant -, mais les quatre filles elles-même finissent, même si c'est à travers une sorte de "rupture générale", par trouver le chemin de notre cœur en dépit (ou à cause) de leurs déficiences émotionnelles profondes, exactement comme les héroïnes de "Sex and the City" l'avaient fait. Les derniers épisodes de cette première saison sont très impressionnants, et nous laissent à la fois saisis et irrémédiablement touchés, prouvant que Lena Dunham savait parfaitement ce qu'elle faisait. [Critique écrite en 2013]


Saison 2:
Le saut qualitatif entre la première et la seconde saison de "Girls" doit être l'un des plus remarquables de la récente histoire des séries TV. Sans rien abandonner de l'abrasiveté de son sujet - la vie amoureuse et sexuelle de jeunes new yorkaises intellos et désargentées -, Lena Dunham a appris à user en sa faveur des codes de la narration cinématographique, et cette seconde saison est un parcours stimulant entre la comédie de mœurs à l'humour typiquement new yorkais (la névrose est omniprésente, comme chez Woody), la comédie romantique classique et la chronique indie déjantée, arrivant épisode après épisode à définir de plus en plus finement ses personnages déphasés, en souffrance dans un univers urbain finalement assez hostile pour qui n'est pas riche ou bien né. La famille n'est plus un refuge, le travail s' est fait rare - sauf à accepter humiliations et compromissions -, l'amour reste un idéal in-atteignable, avec le sexe comme alternative largement frustrante : "Sex and the City" n'est pas si loin que ça de "Girls", à condition d'inverser ses piliers... le glamour a laissé place au sordide, et l'ivresse du succès a été substituée par la profonde dépression qui résulte d'une interminable succession d'échecs. Impossible aussi de ne pas admirer le masochisme avec lequel Lena s'exhibe, corps et âme, bien déterminée à montrer la vérité de sa génération derrière l'image polie des media. "Girls" est devenu un vrai petit miracle. [Critique écrite en 2014]


Saison 3 :
Après la maturité atteinte à la seconde saison, on ne peut échapper d'abord à un léger sentiment de sur-place avec cette troisième livraison de "Girls", augmentée de 2 épisodes par rapport aux précédentes, preuve que Lena Dunham a de plus en plus de choses à nous raconter sur la vie de ses quatre héroïnes new yorkaises se débattant au milieu des problèmes universels des jeunes adultes occidentaux du XXIème siècle : comment gagner sa vie dans un monde à l'hostilité de plus en plus prégnante, sans pour autant renoncer à sa part d'innocence, ses rêves ou ses principes, et partant de là, comment vivre en couple tout en ménageant le peu d'amitié qui a survécu des années d'adolescence insouciantes. Rapidement, cependant, le bonheur est de nouveau au rendez-vous pour le spectateur : on rit beaucoup, et on a le cœur régulièrement serré devant cette succession de frustrations, de contre-temps, d'incompréhensions qui répètent évidemment les mécanismes éternels de la comédie (romantique ou non), mais qui sont surtout d'une justesse considérable. La mort d'une grand-mère, un succès professionnel qui met en péril sa propre intégrité, une réussite artistique qui change profondément la dynamique d'un jeune couple, et bien d'autres situations intelligemment mises en scène par Lena Durham nous rappellent constamment ce que vivre veut dire, quel combat c'est, même si, à la fin, il vaut souvent mieux en rire ! [Critique écrite en 2015]


Saison 4 :
Après la réussite absolue qu'avaient constituée les saisons 2 et 3 de notre très chère série "Girls", force est de constater que la création de Lena Dunham marque le pas : sans doute consciente du risque de tourner en rond dans son microcosme new-yorkais, Lena emmène Hannah dans l'Iowa... pour se rendre compte (rapidement) que la formule magique de "Girls" fonctionne bien mal hors de son univers urbain et loin de la dynamique du petit groupe que nous avons appris à aimer. Autre erreur flagrante d'écriture, "la trahison" d'Adam, bien peu crédible par rapport à son personnage, et que Driver peine d'ailleurs à représenter (à moins qu'Adam - l'acteur à succès - ne soit désormais en décalage par rapport à l'univers de "Girls"). Mais heureusement, la dernière ligne droite de la saison permet à Lena de retomber sur ses pieds, et de retrouver cet équilibre magique entre réalisme un peu crasse et théâtralité joyeuse qui est la plus belle qualité de "Girls". Cette saison mitigée se clôt par un épisode hilarant qui voit néanmoins nos héroïnes prendre (enfin ?) le chemin d'une certaine (mais indéniable) émancipation. Notre niveau d'attente reste très haut vis à vis de la cinquième saison... [Critique écrite en 2016]


Saison 5 :
... Mais on pouvait compter sur Lena Dunham pour se reprendre après le petit passage à vide la quatrième saison et nous offrir une cinquième collection de 10 épisodes qui s'avère sans aucun doute la meilleure depuis les débuts de la série. Car "Girls" devient ici bien plus tragique, simplement parce que les petits - ou gros - travers de nos héroïnes et de leurs mecs paraissent de moins en moins charmants au fur et à mesure que les années passent et que s'accumulent les défis de la vie "adulte". Car "Girls" est aussi de plus en plus drôle, avec des répliques qui font mouche, voire qui font mal, et une frontalité de plus en plus complète vis à vis de tout ce qui peut paraître honteux, gênant, impudique dans l'existence. Oui, Lena Dunham a écrit pour cette cinquième saison ses meilleures punchlines, avec plus de méchanceté et aussi plus de générosité, ce qui n'est pas incompatible. Et elle s'est aussi montrée ici encore plus nue que nue, elle qui n'a jamais craint cet exercice pourtant périlleux... et si rare dans le cinéma ou dans la série TV (un exercice qui traduit finalement pleinement la nature "littéraire" du travail de Dunham...). Oui, cette saison 5 est la meilleure, parce qu'on y voit pour la première fois comment on peut tout rater de sa vie - ses amitiés, sa vie de couple, sa vie professionnelle, sa vie sociale - tout en continuant à penser qu'on est encore à l'âge où faire des erreurs n'est pas si grave. Et que tout cela est aussi tragique qu'hilarant ! [Critique écrite en 2017]


Saison 6 :
C'est toujours avec une certaine crainte que l'on aborde la dernière saison d'une série aussi "importante" que "Girls", qui même si elle n'a jamais été immensément populaire, et si elle provoque des réactions épidermiques chez nombre de téléspectateurs, a considérablement redéfini la forme et le fond du récit "féministe" contemporain... Et a fait de Lena Dunham une artiste qui compte au sein de sa génération, ce qui était l'objectif avoué de son alter ego fictionnel Hannah... Sans même mentionner qu'elle a placé le délicieux Adam Driver sur la liste des jeunes acteurs à suivre ! Aucune crainte à avoir, car Lena (et Judd Apatow, co-auteur de l'épisode le plus "important" ici, "What Will We Do This Time About Adam?") tiennent les commandes d'une main ferme. Se recentrant sur le personnage d'Hannah, "Girls" fait donc ici le deuil de l'Amitié et matérialise le passage à une autre phase de la vie d'Hannah (dont le récit ne saurait donc faire partie du projet de la série) par l'arrivée d'un bébé. Il est évidemment illusoire de parler de "maturité" ici, et c'est plutôt l'apparition de nouvelles angoisses, de nouvelles crises potentielles qui caractérise l'épisode final de la série (cet épisode permettant à Lena de pousser encore un cran plus loin l'exhibition "décomplexée" et assez radicale de son corps, qui est l'une des composantes les fortes de la série...) : une partie de la vie d'Hannah a pris fin, et nous quittons notre héroïne avec beaucoup de regrets, mais bien conscients que rien n'est jamais joué, ni pour elle, ni pour ses amis et amies, ni bien sûr pour nous-mêmes. Il nous reste maintenant à essayer de convaincre tous ceux qui ignoré cette belle réussite de la série TV contemporaine de s'y plonger.


PS : Soulignons pour le plaisir un tour de force scénaristique de cette sixième saison, qui forcera nombre d'entre nous à revenir en arrière pour en vérifier la nature : avons-nous été victime d'une ellipse particulièrement brutale, ou bien s'est-il joué quelque chose dans la bouleversante scène de "demande en mariage" entre Hannah et Adam que nous n'avons pas su voir ? C'est tout simplement brillant !

EricDebarnot
8
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le 20 janv. 2014

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Eric BBYoda

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