Kaamelott
7.9
Kaamelott

Série M6 (2005)

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Kaamelott ou Alexandre Astier et la vraisemblance

Dès qu'il s'agit de parler de la série d'Alexandre Astier, il est de rigueur d'en souligner son côté décalé et l'humour implacable. Et peu de chroniques enjouées qui ne lancent pas ce genre de sentence : « On peut enfin répondre quelque chose à ceux qui disent que les Français ne savent pas créer de bonnes séries. » C'est bien gentil, mais c'est souvent oublier une caractéristique majeure de Kaamelott : c'est-à-dire sa vraisemblance.
Si l'on a lu Le Monde selon Garp de John Irving, on se souvient peut-être d'un passage où le personnage de Garp, lui-même écrivain (et évidemment double fictif de l'auteur) donne quelques conseils à une jeune aspirante. Il y est précisément question de vraisemblance. Qu'importe, dit Garp, que les évènements soient plausibles ou réalistes, qu'importe que cela ait pu se dérouler ainsi ou pas dans la réalité. Ce qui importe, c'est de créer les conditions qui rendront ces évènements crédibles, vraisemblables, dans l'espace propre de la fiction écrite.
Qu'importe d'ailleurs qu'Alexandre Astier ait lu ou pas Le Monde selon Garp, la même idée étant développée ailleurs par quelqu'un d'autre – puis par encore quelqu'un d'autre – et que, plausiblement, il est d'ailleurs tout à fait possible qu'il l'ait fait.

Prenons en compte ce fait, au sujet de Kaamelott, que tant ont plaisir à souligner : ici, notant que la série est « bourrée d'anachronismes déjantés », ou là, se réjouissant des « dialogues modernes à contre emploi » qui donnent ce piquant particulier. Étonnamment personne ne se demande pourquoi, en dépit des « faits historiques qui ne tiennent pas la route », tout fonctionne si bien, ni ce qui fait qu'à aucun instant le spectateur ne puisse penser ne pas se trouver au moyen-âge.
Un certain nombre de tatillons ont eux relevé les « erreurs et incohérences » : notamment les costumes portés par les personnages, semblant dater du XVIème siècle, tandis que l'action se déroule au Vème siècle. Dans la sixième saison de la série (une séquence flashback se déroulant quinze ans avant les saisons précédentes), l'on se retrouve au cœur de l'Empire Romain peu avant sa chute, vers l'an 460. La scène a lieu à Rome et Arthur rencontre Jules César en personne. Historiquement , à cette époque la capitale a été transférée à Ravenne et, bien plus important, César est mort quelques 500 ans plus tôt.
C'est pourtant face aux épisodes de cette sixième saison que j'ai eu un déclic : lors d'une scène précise, un personnage haut placé, que l'on a jusqu'alors vu en toge à plusieurs reprises, en pleines discussions géopolitiques avec des confrères, se retrouve marchant avec le jeune Arturius de la garde romaine. Ils remontent la place publique et, tous deux portent de simples vêtements de toile, entre le gris et le marron sac à patates. Ce qui n'est certes pas gênant pour le jeune soldat qui a certainement droit à des périodes de repos, me semblait soudain étrange pour l'autre personnage, si haut placé. Puis je me suis souvenu avoir lu quelque part que les toges n'étaient portées que dans certains endroits pour des raisons précises. Tout comme de nos jours, les juges ne portent leurs robes que siégeant à la cour, et non pas dans la vie courante.

C'est cette scène qui a mis en lumière à mes yeux deux éléments fondamentaux de cette série médiévale : celle-ci semble en fait suivre deux mouvements contraires, qui pourtant se renforcent. D'une part, l'on sait pour avoir entendu son créateur lors de quelques interviews, qu'elle est extrêmement documentée, tant d'un point de vue légendaire qu'historique. Étonnamment, pour certains détails attestés et clairement identifiables, tels le port de la toge, ou encore les usages en vigueur à la cours française de l'époque, voire les mets à la mode, il semble qu'il ait été décidé d'opter pour un certain réalisme presque documentaire.
Dans ce cas comment expliquer le grand nombre « d'erreurs » qui parsèment la série ? C'est bien simple : d'une part (et Alexandre Astier le souligne dans une interview ) la légende des chevaliers de la Table Ronde et d'Excalibur n'est pas figée. Elle se situe plus ou moins au sein d'une période historique donnée, mais elle brode très librement sur des faits et des personnages ayant peut-être existés. Or, en aucun cas elle ne peut être considérée comme faisant partie de l'Histoire et surtout, si ses différentes versions ne s'accordent pas toujours, toutes valent autant et ne sont pas moins vraies qu'une autre.
Ensuite – et c'est là ce que je crois capital – si l'on regarde aujourd'hui n'importe quel péplum, western ou fil médiéval datant de quelques décennies, on reste frappé par le côté kistch des décors et des costumes, le grossier des intrigues et le désuet des dialogues. Pourtant à l'époque où ceux-ci étaient réalisés et diffusés, certainement que le spectateur ne pensait pas un instant ne pas avoir affaire aux époques évoquées. C'est qu'elles s'étaient avec le temps re-construites dans l'imaginaire de cette façon. Longtemps, il aurait été impensable de faire un film se passant à la cour de Louis XIV sans faire parler les personnages autrement que dans une pièce de Molière ou de Corneille. Aujourd'hui, cela semblera daté ou surfait. Et pour cause : il y a en vérité peu de chances que quiconque dans la « vraie vie » ait jamais parlé comme dans une pièce de théâtre.

Le choix d'Alexandre Astier face à l'impossibilité de rendre aujourd'hui la langue orale d'hier, bien plus judicieux que celui des nigauds ayant tourné une série en latin (!), est d'avoir inventé une langue propre, faite de vieilles expressions et d'un oral ressemblant au nôtre. Étonnamment ce langage est bien plus vraisemblable que n'importe quelle tentative grossière de faux réalisme copiant – mal – une langue écrite et donc déjà mensongère.
Au-delà du simple gag, c'est là la force majeure du travail d'Alexandre Astier : avoir réussi à déjouer les pièges des clichés attendus quant à un récit médiéval. Et ce, sans non plus succomber à la facilité de l'absurde totalement décalé, tels que les Monthy Python (à qui on compare trop souvent Kaamelott par un raccourci trop facile et de fait biaisé) ont pu le faire. Façon qui trahit – certes, très volontairement – le fait d'avoir affaire à une fiction écrite et produite de nos jours. C'est en définitive, au contraire du décalé qu'on invoque systématiquement, cette utilisation de la langue, de l'Histoire et de la légende qui cale parfaitement la série dans un univers vraisemblable et crédible.
colville
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le 23 janv. 2012

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colville

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