Tout a déjà été dit sur la meilleure série de l'histoire de la télé. Il faut quelques temps pour la digérer, comprendre ses symboles, son tragique, son humour, interpréter les fortunes diverses de ces mafieux de bas-étage du New Jersey qu'on a petit à petit aimés comme des grands-oncles originaux.
Pourquoi la dépression frappe-t-elle quand on a tout pour être heureux ? Un pavillon dans les suburbs, une femme aimante, deux beaux enfants, de l'argent aussi... "Try and remember the times that were good", disait-il en trinquant avec les siens, un soir heureux au restaurant avec une sagesse teintée d'une inévitable nostalgie.
Rien ne délivrera Tony Soprano de sa mélancolie, car son malheur provient de sa condition. Tony n'a pour lui, ni un honnête succès à l'américaine et son cortège de louanges, ni un monde duquel il partagerait les références : il n'est que le prolongement d'une famille sur le déclin, comme refoulée aux portes de New York, symbole du monde moderne et mondialisé. Ce n'est pas le premier échec d'intégration au mode de vie américain ; tout a déjà été dit aussi sur le "melting pot". Mais Les Soprano l'illustrent brillamment : impossible pour un gangster épousant les codes d'honneur du Naples criminel du début du 20ème siècle, de comprendre et tolérer les états d'âme amoureux de son fils, la terrible psychanalyse qui le met à nu, l'homosexualité d'un capo, l'autodestruction de son neveu, la fièvre du jeu, les idéaux hippie de sa soeur... Comme étranger à ces deux mondes, Tony Soprano est placé dans une position inconfortable et même inextricable : il paraît maladroit, vulgaire, irascible, misogyne, raciste, mais il est au bout du compte élucidé et en somme pardonné.
Le dernier épisode, "Made in USA", éclaire les 6 saisons d'une terrible cohérence. Little Italy est réduite à quelques blocks et l'ex-glorieux parrain Corrado rêvasse en regardant les oiseaux, libres derrière la fenêtre à barreaux de l'hôpital, comme ressassant un vieux rêve alors que le souvenir immédiat de ses activités mafieuses est déjà effacé. Le clan Soprano a lui aussi réduit comme peau de chagrin, amputé de ses lieutenants et barricadé dans une baraque inoccupée. Avec la mort de Tony entraînant celle, immédiate, de la série, c'est bien un destin américain, mais tragique et non exemplaire, que nous donnent à voir ses créateurs.