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Série HBO (2002)

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SAISON 1 :


J'avais déjà vu les trois premières saisons, empruntées à la médiathèque du coin. Puis, on m'a offert pour mon anniversaire le coffret de l'intégrale. Aussi allons-nous nous lancer dans une revoyure en règle d'une série marquante à bien des égards.


En grande partie, elle doit d'abord sa notoriété à l'incroyable finesse d'écriture, à David Simon, le "créateur".


Cette série propose de nous immiscer dans le monde de la drogue à Baltimore, grande cité du Nord-Est américain. Nous y pénétrons grâce à un gang de dealers qui règne dans son quartier, grâce à d'autres qui essaient de s'y faufiler, grâce aux toxicos qui tentent ou pas d'échapper à leur addiction, grâce enfin aux flics, aux politiques, aux gens de justice qui sont plus ou moins propres vis à vis de l'argent qui circule. Face au clan du dealer Avon Barksdale, système ultra organisé, une équipe hétéroclite de flics venant de différents services (stups et criminelle essentiellement) se met en place malgré le manque d'investissement de leurs supérieurs. Dans des locaux pourris, presque oubliés de tous, se réunissent des petits jeunots pas encore très futés, enthousiastes et un brin naifs, de vieux croulants, incapables de cacher leur alcoolisme et la hâte qu'ils ont à partir à la retraite, quelques bons éléments passionnés par leur boulot et peut-être trop intègres, quelques pistonnés planqués là pour boucher les trous et un supérieur le cul entre trois chaises : la résolution de son affaire, des ambitions carriéristes personnelles et les bâtons que ses propres chefs lui mettent dans les roues.


Car l'argent de la drogue touche toutes les couches de la société, même les plus hautes sphères. Ce qui est formidablement mis en avant par l'écriture, c'est que les frontières entre le bien et le mal sont ténues. Certains flics sont ripoux, certains dealers ont une conscience. Tout n'est pas noir ou blanc. Chacun essaie de survivre avec ce qu'il a, de trouver sa place, tout en faisant ce qu'il peut avec ses capacités d'adaptation morale aux situations parfois les plus éreintantes sur ce plan. Et finalement la série ne juge pas ses personnages principaux, et j'ai même envie de dire que le spectateur non plus. Les portraits qui nous sont proposés ne le sont pas de façon à ce qu'un jugement moral du spectateur soit titillé. On est au delà de ça.


C'est plutôt à une véritable immersion qu'on est convié, avec ce que cela signifie d'implication dans l'évolution des personnages principaux et donc au delà, avec le phénomène d'identification chez le spectateur.


On entre facilement en empathie parce que l'écriture et la mise en image sont ultra réalistes, grâce à un scénario qui prend le temps et entre dans le détail du quotidien. Le spectateur a le temps de s'investir. Bien entendu, le format sériel est idéal pour ce genre d'entreprise. Il laisse une grande liberté, non seulement aux scénaristes pour élaborer une toile de trames et ainsi tisser un univers bien concret, mais également aux réalisateurs.


On ne sent pas de grandes différences entre les épisodes. Tous reprennent plus ou moins le même style, très marqué par le film noir. Comme il s'agit d'aller fouiner dans le caniveau, d'aller renifler là où la société parait la plus sale, le "noir" convient parfaitement. Peut-être notera-t-on sur les tous premiers épisodes une esthétique pas tout à fait encore maîtrisée, notamment à cause de moyens moins élevés? Dans les derniers épisodes, l'image semble en effet beaucoup plus léchée. Y a sans doute plus de matos pour jouer sur les ombres et les lumières?


Comme de bien entendu, cette série pavée des meilleures intentions n'aurait pas eu autant de succès sans ses comédiens. Certains sont excellents. C'est toujours étonnant de découvrir de nouveaux acteurs, de recevoir ce petit cadeau, éternelle surprise, charmante. Sur cette première saison, les noms ne manquent pas.


A titre personnel, je mettrai d'entrée sur le podium Michael K. Williams (Omar), la terreur du quartier, en franc-tireur homo. Mais dont l'homosexualité n'est pas non plus une marque de fabrique ; il aurait été hétéro que cela ne changeait rien à son parcours, à sa dégaine, à tout ce qu'il inspire. Michael K. Williams a ce charme qu'on certains acteurs, ce petit quelque chose dans l’œil qui fleure bon l'intelligence, la force de caractère. J'aime beaucoup son jeu très sobre. Un comédien que j'ai vu récemment, mais trop peu, dans "Boardwalk Empire". Ici il donne la pleine mesure de son talent en plaçant peut-être même son personnage à un niveau presque métaphysique, mythologique, charriant son lot de souffrances. Vengeance, justice, cynisme, amour, fidélité, il est très attachant tout en transcendant des thèmes universels et centraux.


Avec Andre Royo (Bubbles), on est beaucoup plus dans l'émotionnel pur et dur. Son personnage de Bubbles est un indic junky, perdu entre sa came et sa recherche de sens. Le comédien a là un rôle en or, mais qui aurait pu peser bien plus lourd, un rôle casse-gueule, difficile à tenir sans tomber dans la caricature. Et Andre Royo assure grave. C'est une performance continue avec quelques scènes stupéfiantes. Grande découverte que ce comédien!


Idris Elba, j'avais dû le voir dans un film ou une série british, sa tête me disait quelque chose, mais c'est sur "The wire" qu'il devient pour moi comme une évidence. Ce mec là, c'est une masse, un regard, une posture, en plus d'une diction parfaite, une attitude qui sont comme une réalité intangible, un menhir, une grosse chose qui prend pas mal de place, une statue indéboulonnable. Il est naturel, minéral. Jeu simple, netteté jusqu'au bout des doigts. Une sorte de Lino Ventura english. Pas de simagrées, ni fioriture dans son jeu : ça coule de source. Idriss Elba est un formidable Stringer Bell ici.


Voilà pour ceux qui m'ont époustouflé. Ensuite, on a encore de très bons comédiens, qui ont des personnages plus ou moins attachants.


Wendell Pierce (Bunk) est une sorte de gros ours adorable, un Balou. Il lui en faut peu pour rendre heureux. Avec sa face de petit garçon, quand il a 24 verres dans le nez, personne ne peut lui résister.


Sonja Sohn (Greggs) est elle aussi une homosexuelle qui ne la joue pas clicheton, en l'occurrence "camionneur". Son personnage reste discret malgré son importance.


Clarke Peters (Lester Freamon) incarne la grande classe. Facile, propre, son jeu respire l'élégance, la prestance naturelle. Sa voix l'y aide, suave, un peu traînante, chaude. Beau gosse à rides, ses petites lunettes avec chaînette pour les retenir, son personnage se cache pour petit à petit mieux sortir de son trou, avec le panache, l'expérience et l'intelligence qui irradient tout le monde, y compris la petite strip-teaseuse myope. Papy fait plus que de la résistance. Clarke Peters assure un maximum! Au dessus de la mêlée, son personnage est très charmeur, plein de sagesse et de roublardise. Et difficile d'échapper à ses filets.


Lance Reddick (Lt Daniels) joue un rôle compliqué. C'est le boss intermédiaire, celui qui voudrait être "major" et à qui on refile des rats crevés pour bâcler son enquête. Mais ça lui coûte un rein, parce qu'il est intègre et veut terminer son travail correctement. Donc taraudé entre sa hiérarchie et ses hommes, il joue une partie plutôt difficile. Le comédien parvient à merveille à exprimer cet étau perpétuel, cette pression qui s'exerce sur lui. Vraiment très bon!


Dominic West (McNulty) pourrait être considéré comme le personnage principal. En effet, tout tourne autour de lui. Son ego surdimensionné le réclame. Hyper moralisateur, jusqu'au boutiste, il incarne très bien avec sa face de boule-dogue le type qui ne lâche pas son os tant que toute la moelle n'a pas été suçotée. Souci avec l'autoritarisme, difficultés relationnelles avec les femmes, foutraque avec la vie familiale hors-boulot, tout cela forme cette espèce de paquet d'emmerdes qu'il aime à se coltiner. A tel point qu'il peut saouler même les plus patients et paraître un poil connard sur les bords par moments.


Wood Harris (Avon Barksdale) est le parrain de sa cité. L'acteur n'a rien d'un Marlon Brando cependant. Sec comme un coup de trique, il peut parfois montrer les dents, mais souvent il apparaît caché derrière son rempart Stringer Bell.


Lawrence Gilliard Jr. (Dee) a un personnage sans doute plus à même d'offrir à l'acteur de quoi briller. Neveu d'Avon Barksdale, il émerge tout le long de la série. Peu à peu, il sort de l'adolescence. C'est très bien rendu par le comédien, cette lente maturité qui se fait jour chez le personnage, cette lente découverte morale. Les conséquences de ses actes, sa famille, son existence prennent sens progressivement à ses yeux. Personnage fragile, en gestation. Lawrence Gilliard Jr. a de quoi faire. Parfois, il y parvient avec bonheur, avec une certaine grâce même, et par moments c'est un peu plus compliqué.


Ensuite, on a tous ces rôles secondaires, mais qui réussissent à se rendre indispensables et sur deux ou trois épisodes peuvent même impressionner. Le jeune Michael B. Jordan (Wallace) par exemple est assez bien tenu. John Doman (Rawls) en impose. Seth Gilliam (Carver) et Domenick Lombardozzi (Herc) font les clowns dans cette saison pour donner un peu de cette douceur que la naïveté et l'insouciance de leur jeunesse répandent.


J'ai évoqué plus haut l'écriture de David Simon, mais je me rends compte que de citer un seul nom provient d'une affligeante paresse de ma part et que cela relève de l'injustice la plus éclatante. Evidemment, surtout pour une série, une oeuvre filmée doit autant à ses producteurs, qu'à ses scénaristes, ses réalisateurs et ses comédiens. "The wire" est le produit d'un travail de groupe où la part de responsabilité de chacun est difficile à pointer avec certitude, se dispersant dans le nombre. Par conséquent, si j'avais un peu plus de mémoire, il faudrait citer la foule de noms qui sont dans la salle des machines à faire tourner cette très grande série.


Reste que c'est là l'essentiel : "The wire" est un ouvrage collectif superbe, un classique désormais, qui vous happera, vous rendra moins con aussi (quand on rencontre des personnages et des situations aussi réels, ils finissent toujours par vous interpeller et vous faire grandir). Comme un grand roman naturaliste, "The wire" parle de notre époque, mais ne reste pas isolé sur ce petit temps, cette seconde d'humanité à Baltimore. Cette série parle en effet d'amour, d'espoir, de pouvoir, de morale, d'ambition, de désir, de peur. Elle parle de ce qui fait marcher les hommes depuis la nuit des temps. Elle ne le fait pas vite fait mal fait, elle pose ses petites graines, une à une, avec soin et récolte ses fruits à la fin de la saison, tranquillement mais sûrement. Bon, j'arrête là les métaphores agronomiques, j'en ai assez pondu aujourd'hui.


http://alligatographe.blogspot.fr/2013/12/the-wire-season-1-sur-ecoute-saison-1.html




SAISON 2:


J'ai bien plus pris de plaisir à revoir cette saison 2 que lors du premier visionnage. Et j'avais déjà beaucoup aimé! Je mesure aujourd'hui pleinement le très haut niveau d'écriture de cette série. Cette série va sans doute s'ancrer davantage comme une des toutes meilleures séries que j'ai vues.


Je suis baba d'admiration devant la qualité scénaristique de cette saison. La trame n'est pas des plus compliquées a priori, mais la façon dont les auteurs tracent la route de leur récit est à la fois complexe et d'une lisibilité effarante.


Peut-être doit-on ce prodige en partie à la nature tragique du parcours de nombreux personnages? D'ailleurs à ce propos, j'ai le sentiment que cette deuxième saison place les personnages dans un canevas narratif peut-être plus émotionnel, touchant à des problématiques plus sensibles, en même temps que plus universelles. C'était effectivement déjà le cas avec la première saison, ses questionnements, ses cas de conscience et ce constat amer sur une espèce de fatalité héritée des origines des personnages, le déterminisme social pipant les dés de l'existence. Mais ici, c'est à la décrépitude de l'économie, autre pan du rêve américain, que les personnages se trouvent confrontés.


Nous sommes parmi les dockers du port de Baltimore. La mondialisation et ses corollaires technologiques déshumanisants (conteneurisation, automatisation accrue des tâches) enlèvent aux bras des ouvriers leur gagne pain. La paupérisation de ce milieu entraîne une autre marginalisation, d'autres échappatoires périlleux qui débouchent sur l'illicite, puis sur les mêmes violences mafieuses auxquelles la flicaille tente de répondre.


L'aspect "film noir" est donc une nouvelle fois très prégnant. Une lente mélancolie s'impose peu à peu, jusqu'aux tragédies de fin de saison. Et celle-ci est riche en démonstrations de fatalité. Les scripts compliqués nous permettent de relier cette histoire de docks à celles des rues ainsi qu'aux arcanes du pouvoir politique qu'on avait abordés dans la saison 1.


On a donc l'opportunité de retrouver tout au long de cette saison tous ceux qui ont survécu à la première, ce qui donne une distribution faramineuse. Bien entendu j'insisterai davantage sur les nouvelles têtes, celles des dockers et des "grecs". Quelques belles découvertes!


En premier lieu, Chris Bauer qui règne sur un monde en perdition et qui refuse de l'admettre, luttant fiévreusement au renouveau de l'activité portuaire. L'acteur a un rôle prépondérant, une sorte d'assise sur laquelle tout le monde s'appuie avec plus ou moins de bonheur. Un rôle difficile, vraiment bien tenu.


A ses côtés, celui qui joue son fils écervelé et complexé, James Ransone, est étonnant, d'abord très irritant par la bêtise qui le caractérise et le plombe, puis par l'extrême souffrance qu'elle engendre. Là encore, un rôle casse-gueule qui est plutôt bien maîtrisé.


Dans la famille, on trouve Pablo Schreiber qui joue le neveu poussé par son environnement et la tentation vers les dealers. Quelques scènes difficiles à la clé, et il se démerde plutôt pas mal, sans non plus être éblouissant.


J'ai bien aimé la petite fliquette locale des docks (Amy Ryan) tout en retenue qui, un peu à l'image d'une spectatrice, découvre la fine équipe de flics durs au mal, en même temps qu'un monde de malfrats qu'elle croyait, naïve, loin des quais. Elle est sans doute la plus à même de juger de l’extrême cruauté de l'univers décrit.


Des acteurs qui m'avaient tapé dans l’œil lors de la première saison, peu sont véritablement mis à l'épreuve sur celle-ci. Andre Royo (Bubbles) par exemple ne fait que très peu d'apparitions. Michael K. Williams (Omar) lui aussi est beaucoup trop rare. Clarke Peters (Freamon) est en retrait, moins flamboyant. Son association avec Wendell Pierce (Bunk) n'est pas aussi satisfaisante qu'elle le promettait. Rigolote mais sans plus.


Finalement, cette saison met en valeur d'autres comédiens. Certes les petits nouveaux se taillent la part du lion, mais chez les anciens certains parviennent avec peu à continuer de creuser un peu plus leur personnage.


Sonja Sohn (Greggs) a quelques scènes importantes évocatrices de ce dilemme amoureux qui taraude son couple et son investissement professionnel.


Dominic West (McNulty) dépeint encore un personnage assez con, très infantile et parfois touchant.


J'aime de plus en plus le jeu très contenu de Lance Reddick dans le rôle du Lieutenant Daniels.


Bien entendu, le Stringer Bell d'Idris Elba a pris encore de la couenne avec son jeu également dans la retenue.


Pour résumer sur le jeu des comédiens, c'est encore une fois du haut niveau, voire de l'exceptionnel. La série n'est pas non plus prise en défaut sur cet aspect-là.


Si le ton est volontiers sombre, sur le fond comme sur la forme, la série ménage quelques éléments plus légers dans la mise en scène ou chez certains personnages (des traits plus comiques) afin d'aérer un peu un propos sinon trop désespérant. C'est ce qui est bien avec cette série, cette capacité d'équilibrer les tonalités, et qui lui donne une teinte tellement réaliste, avec une grande crédibilité.


Connaissant déjà la teneur de la troisième saison, que j'ai foutrement hâte de revoir, j'ai pu apercevoir que les scénarii mettaient déjà en branle des événements majeurs futurs, en même temps qu'ils bâtissaient sur les ruines de la précédente saison. Cette maîtrise de la continuité est si nette, fonctionne si bien que l'on ne peut qu'être admiratif. Les rênes du récit sont toujours tenus avec une adresse et une facilité qui laissent pantois.


http://alligatographe.blogspot.fr/2014/02/the-wire-season-2-sur-ecoute-saison-2.html


SAISON 3:


J'aborde là ma dernière saison en revoyure. Au terme de la saison 2, nous laissions la série sur une très belle conclusion, celle d'une aventure humaine complexe, une tragédie sur les quais, une société à la dérive mangée par le manque de travail et les opportunités interlopes. Cette 3e saison s'ouvre sur un retour dans les rues, au cœur de la zone, celles des dealers. Les tours sont détruites, mais les toxicos sont toujours aux coins des rues.


On retrouve les clans, les personnages de la saison 1. On en apprend un peu plus sur eux. On avait déjà le sentiment de bien les connaitre grâce à l'écriture précise et le jeu remarquable des comédiens. Or, cette 3e saison n'est pas moins avare que les précédentes en terme de subtilité.


Au contraire, elle encore plus dans la chair, dans le détail intime des personnages. Pour une large part, elle donne des conclusions et continue de proposer de nouvelles pistes pour l'avenir. Comme dans la vie!


Cette saison se tourne peut-être plus nettement encore que les précédentes vers une sorte d'introspection sociale et morale en même temps. En effet, avec l'initiative de Colvin (Robert Wisdom, tout en épure dans son jeu) qui institue une zone de tolérance de la drogue pour apaiser les autres quartiers, la série se pose politiquement la question de la pénalisation des drogues.


Le lien entre la délinquance, la violence et la vente illégale des stupéfiants est ici clairement établi. La réponse n'est fort heureusement pas donnée. La réflexion est juste ouverte, avec une illustration astucieuse, montrant les bienfaits et les inconvénients de cette mesure. On voit se dégager néanmoins une légère préférence pour la tolérance.


Sur cette intrigue principale viennent se greffer, comme on en a l'habitude maintenant, les petites et grandes aventures humaines.


Cette année la relation entre Stringer Bell (Idris Elba) et Avon Barksdale (Wood Harris) atteint son apogée critique, tragique. Difficile de s'y étendre sans spoiler mais disons qu'elle se révèle cruciale et pathétique.


Un personnage comme McNulty (Dominic West) demeuré, très limité, fait finalement preuve d'un peu de bon sens. Jusqu'à quand?


Les autres personnages sont un peu en retrait. Greggs (Sonja Sohn) n'a que quelques scènes conjugales qui ne font guère de doute sur son évolution. De même pour le lieutenant Daniels (Lance Reddick). Les petites affaires de couple se nouent et se dénouent. Ainsi va la vie. Décidément, cette série serait-elle aussi réaliste? Ma foi, oui.


Bubbles (Andre Royo) continue de survivre. Mais tous sont plus ou moins en retrait par rapport aux saisons précédentes me semble-t-il.


D'autres personnages apparaissent de plus en plus importants. Déjà découvert lors de la saison 2, Carcetti (Aidan Gillen) prend son envol carnassier. Son rôle est bien traité, avec finesse. Complexe aussi, il est encore difficilement lisible. Totalement cynique? Pas sûr.


Cutty (Chad L. Coleman) est également important sur cette saison mais son jeu me parait trop systématique, lisse, monochrome. Sympathique mais sans plus, peut-être un personnage intéressant plus tard?


L'arrivée de Marlo (Jamie Hector) en ange noir, sociopathe ultra-violent et glaçant amène une sorte d’antéchrist sur les quartiers Ouest de Baltimore. Ambiance fin de règne, apocalyptique, cela promet une nouvelle donne pour la saison 4.


On a également une grosse surprise pour Rawls (John Doman), peu exploitée, pour ne pas dire pas du tout, je suppose que c'est pour la saison future?


Reste Omar Little (Michael K. Williams) qui s'offre quelques scènes goûteuses encore, notamment une avec Bunk (Wendell Pierce) qui n'est pas piquée des hannetons. Presque chaque épisode possède une grande séquence sur le plan du jeu.


Admirable série qui offre ces moments de bonheur, "The wire" reste à un niveau très supérieur. Il n'y a que le dernier épisode qui déçoit : le discours politique de Carcetti et la conversation entre Bubbles et Colvin semblent écrits à la va-vite, peu appropriés, peu réalistes, un peu trop appuyés. Néanmoins, cette saison 3 laisse la barre encore très haut.


J'avais déjà vu les trois premières saisons. Sous peu je vais entamer la 4e avec l’œil tout neuf, un peu inquiet, appréhendant une déception non encore survenue. J'ai du mal à imaginer qu'ils puissent renouveler les thématiques. Je crains que sur la longueur ce soit toujours la même chose. Jusqu'ici évitée, la redite est une épée de Damoclès. Jusqu'à présent, j'ai été estomaqué par l'athlétique adresse des auteurs à retomber sur leurs pattes, tout en proposant des visions soit différentes, soit approfondies, subtiles du quotidien mafieux, ouvrier, policier ou politicard de Baltimore. Mais où iront-ils à l'avenir?


http://alligatographe.blogspot.fr/2014/06/the-wire-season-3-sur-ecoute-saison-3.html




Saison 4 :


Au sortir de la saison 3, je me demandais sur quoi les auteurs allaient bien pouvoir causer. Hé bien, cette année, ils nous font retourner sur les bancs de l'école! Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le niveau a baissé à Baltimore!


Si l'on avait la secrète envie d'un poil de légèreté ou d'une petite respiration, d'un rai de lumière dans le portrait au vitriol de cette Amérique que la série nous a dépeint jusqu'à maintenant, il faudra faire une croix dessus cette fois-ci encore : la saison est tout aussi noire, peut-être même davantage que les trois premières. Et ce sont les gamins qui prennent cher cette fois. Dès le plus jeune âge, entre les couloirs du collège et les coins de rue, le combat semble perdu d'avance pour la plupart.


Et la série montre parfaitement la déliquescence du système scolaire acculé à de basses manœuvres statistiques pour mettre la poussière sous le tapis. Les profs blasés essaient de faire comprendre aux débutants l'inanité de toute tentative de rébellion face à cet abandon pédagogique. Il n'y a pas que la police qui ne vit plus que pour le chiffre.


Par son écriture toujours aussi fine, la série prend un grand soin à exposer son propos. Elle montre très bien comment l'enseignement et la sécurité sont en quelque sorte gangrenés par les contingences politiques, que ce soit en terme de compétences, de budgets, d'ambitions électorales ou de magouilles entre les différents échelons représentatifs de la société complexe de la ville. Je craignais de la redite, or, une nouvelle fois, les scénaristes parviennent à renouveler leur discours.


Épatants, ils le sont également dans leur liberté et leur capacité à prendre leur temps. Dans une série lambda, un problème comme Marlo Stanfield aurait été réglé en une saison. Ne serait-ce que la mise en retrait de McNulty, ou bien l'explication de l'absence de cadavres, ce genre de "problème" aurait été résolu en une demi-saison, voire moins. Ici, cela prend du temps, le temps du quotidien, celui de ces flics, de ces dealers, de ces profs et de ces politiciens pour vivre les événements, presque en temps réel si je puis dire. Pour le téléspectateur, ce parti pris qui respecte un rythme naturel, ultra-réaliste est un bonheur. C'est le signe d'une qualité, d'une prise de distance avec les formats traditionnels des séries d'antan, donc également d'une appropriation, d'une maîtrise totale du récit, comme du genre. Très compliqué à mettre en en place, car il faut absolument rendre tout cela à la fois crédible et surtout pas emmerdant. Et ils mettent dans le mille, encore une fois!


Bien entendu, le trait a beau être le plus délicat possible, notamment en ne dépeignant pas des personnages trop ceci ou pas assez cela, en nous préservant de la caricature, il n'en demeure pas moins vrai que ce spectacle est très noir. Après, peut-on dire que l'exagération romanesque de la trame nuit à la description ou à la réception du public? Y a-t-il une sorte d'outrance, d'abus dans le pathétique? Je ne crois pas. Je pense au contraire que ce que nous montre cette série est très proche de la réalité, même si elle condense évidemment sur 13 épisodes un certain nombre de trajectoires marquantes.


A ce propos, on est comme d'habitude subjugué par l'aptitude des scénaristes à jongler avec autant de personnages, tout en maintenant une cohérence éclatante de l'ensemble. Au risque de la redite par rapport aux critiques des saisons précédentes, je clame bien haut mon admiration pour ce travail d'écriture. Ça me sidère à chaque fois qu'ils arrivent à tisser ce réseau de personnages sans qu'il s'en dégage un quelconque sentiment de confusion ou d'excès.


Sur le plan de la distribution, les grandes nouveautés sont à chercher chez les petits jeunots. C'est plutôt bon, efficace. On n'est pas trop gêné par les petites maladresses de jeu des gamins. Mais évidemment, ce n'est pas aussi jouissif que le jeu des adultes. Sur les saisons précédentes, on est souvent impressionné par de nouveaux personnages grâce à la richesse des acteurs. Là, ce n'est pas trop le cas. Par contre, les anciens s'offrent quelques très beaux moments.


Michael K Williams par exemple, voit son rôle d'Omar briller de mille feux. Omar est toujours et plus que jamais dans la place! Le King de Baltimore représente l'atout romanesque n°1, sorte d'Arsène Lupin, grande classe, intelligence au-dessus de tout le monde et au fond très bon gars.
Dans un autre registre, chez les flics, Clarke Peters (Lester) est un de mes chouchous, un Sherlock élégant et indécrottable flic moral.
Seth Gilliam dans le rôle de Carver fait prendre du galon, humainement parlant, à son personnage.
Je suis très heureux de retrouver Robert Wisdom en un Bunny Colvin qui s'essaie à la pédagogie musclée.
Comme à son habitude, Andre Royo incarne un excellent Bubbles, il a même quelques scènes difficiles et très bien exécutées sur la fin de saison.
Surprise du chef avec les dons comiques de Robert F. Chew (Proposition Joe)!
Et puis pour finir, je m'en voudrais d'oublier J.D. Williams dans le rôle de Bodie, dont la relation avec McNulty prend un tour étonnant et finalement fort utile. L'acteur est plutôt bon dans la représentation de la fidélité au clan Barksdale et donc à une certaine éthique en perdition.


Voilà les noms que j'ai retenu pour cette très belle saison, très riche. Elle promet une ultime saison succulente. J'ai hâte, même si je vais prendre un peu de temps pour bien la siroter.


http://alligatographe.blogspot.fr/2014/08/the-wire-sur-ecoute-season-saison-4.html




SAISON 5:


Et voilà, c'est fini ! Cette saison particulière, la dernière, obéit à deux ambitions : celle de nous faire découvrir le monde de la presse et celle de conclure tous les enjeux jusque là en suspens avec la très chouette possibilité de retrouver, même par un rapide clin d'œil, les personnages de toutes les saisons passées.


Pour ce qui est du monde de la presse, après avoir mis les deux pieds dans les barres d'immeubles et les coins de rue avec les dealers, les toxicos, les flics, après avoir arpenté les couloirs des tribunaux avec les avocats, les procureurs et les juges, après être allé jusque sur les quais du port pour côtoyer les dockers et leurs syndicats corrompus, après avoir suivi le difficile sacerdoce des enseignants confrontés à l'échec scolaire des collégiens, après avoir suivi dans la coulisse comment les carrières politiciennes se font et se défont, il ne manquait plus que les journalistes sur le tableau de chasse de cette série pour finir de comprendre comment le petit monde de Baltimore tourne.


C'est chose faite. Et rondement mené, dans le sens où cette dernière saison, comme les précédentes, montre très bien à quel traficotage de la réalité, à quelles basses manœuvres sont capables d'arriver certains journalistes en mal de sensations. A l'image des flics capables des pires malversations pour pouvoir faire leur boulot ou juste pour qu'on leur paye leurs heures supplémentaires, des journalistes inventent l'information, à défaut de la débusquer.


Quand le faux rencontre le faux, le plus gros canular qu'ait connu la ville devient quelque peu vrai et mobilise tout le monde. Il n'y a pas qu'au Danemark qu'il y a quelque chose de pourri. On le sait depuis la toute première saison de "The wire". Cette 5ème et ultime saison ne déroge pas à ce cynique adage.


Et encore une fois, il ne faudra jamais cesser de le répéter : dans "The wire", il n'y a pas toujours des méchants et des gentils. A part peut-être Marlo Stanfield (Jamie Hector) qui est pourri jusqu'à l'os, de A à Z, les autres sont encore des êtres humains. Et l'on se prend d'affection pour la racaille ou l'on nourrit de l'antipathie pour ceux qui représentent si mal l'ordre et la justice. Tout n'est pas noir, tout n'est pas blanc.


"The wire" n'est pas écrit à la truelle, on le savait, ce n'est pas un scoop mais ce camaïeu de nuances est un plaisir de lecture renouvelé, qu'on désire souligner avec insistance. C'est un gage d'éternité. "The wire" sera vue et revue dans cent ans, aucun doute là-dessus ! Elle marque son époque, elle raconte l'Amérique de l'entre deux siècles, elle raconte aussi la fabuleuse aventure de l'écriture scénaristique, sans doute même celle d'HBO.


Comme cette dernière saison est un au revoir programmé défilent devant la caméra un nombre impressionnant de seconds rôles. Je n'ai jamais eu autant de captures à faire et à éditer pour mon trombi : record battu! On appréciera l'astuce qui préside à l'insertion de chaque personnage dans cette dernière enquête.


Le scénario ne pâtit pas de ces quelques artifices, l'intrigue restant solide. Et puis au bout de cinq saisons, on est déjà fortement attaché à cette saga flicarde. Par conséquent, retrouver un peu tout ce petit monde de "rescapés" est agréable. Surtout cela permet de bien mesurer la profondeur des intrigues (la principale et les annexes), l'incroyable complexité et l'intrication des personnages entre eux.


La série forme au final un objet intellectuel et émotionnel monumental dont la fascination qui en résulte ne cesse de m'interroger. Il est clair que je reverrai plus d'une fois cette série.


http://alligatographe.blogspot.fr/2015/11/the-wire-season-5-sur-ecoute.html

Alligator
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le 27 déc. 2013

Modifiée

le 29 août 2014

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août 2012: "Holly motors fuck!", ai-je envie de dire en sortant de la salle. Curieux : quand j'en suis sorti j'ai trouvé la rue dans la pénombre, sans un seul lampadaire réconfortant, un peu comme...

le 20 avr. 2013

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Sharp Objects
Alligator
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Critique de Sharp Objects par Alligator

En règle générale, les œuvres se nourrissant ou bâtissant toute leur démonstration sur le pathos, l’enlisement, la plainte gémissante des protagonistes me les brisent menues. Il faut un sacré talent...

le 4 sept. 2018

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