Dr. Stone
6.8
Dr. Stone

Manga de Riichiro Inagaki et Boichi (2017)

Boichi, voilà un nom qui m’intime à retrousser les babines. Son dessin, immanquablement, me rappellera toujours à ses œuvres passées. À l’une d’entre elles en particulier. John Wayne disait qu’on pouvait laisser une deuxième chance à un homme, mais qu’il fallait le garder à l’œil. Et l’œil grand ouvert, rivé sur le dessin, je constate que Boichi, quand on l’exempte de la rédaction du scénario, est un auteur parfaitement respectable. Un peu à la manière d’une femme magnifique mais au verbe envenimé à qui on aurait judicieusement tranché la langue. L’encre, quand elle s’étale sur le papier de sa seule initiative, n’a vocation qu’à servir le dessin et pas une ligne de texte. On appréciera – moi le premier – qu’il se soit effacé pour ce qui est de l’écriture, nous épargnant ainsi une nouvelle calamité. Car l’homme-là avait beau s’être adonné jadis à la rédaction d’un Seinen, le contenu d’alors était plus mature que celui de l’œuvre présente, mais autrement moins intelligent et recherché.


Son dessin, parce qu’il aura cheminé du Seinen au Shônen, se sera adapté. J’ignore si l’on pourrait dire de celui-ci qu’il s’est renouvelé. De par le fait, c’est une nouvelle facette de son trait qui nous apparaît à la lecture, tout en restant exactement le même. Boichi a en effet modelé sa patte graphique pour mieux qu’elle corresponde à une parution hebdomadaire attribuée à de jeunes lecteurs. Le terme « abâtardi », pour ce qu’il a de connotations péjorative, ne serait alors pas le plus idoine, bien que l’idée derrière soit la même. Il a simplifié son dessin, sans pour autant compromettre son style, rendu son trait plus juvénile sans qu’il ne devienne enfantin. Du détail dans les esquisses, on en a moins sous les yeux, mais on en aura toujours bien assez. Son style en tout cas, est franchement distinctif dans le paysage Shônen et se démarque sans peine de la concurrence, celle-ci s’étant abonnée à un format consensuel qui ne cherche jamais à innover.


Et pour qui prête-t-il sa plume ce brave homme ? Mais, au service de monsieur Riichirô Inagaki figurez-nous. « Qui ? » demanderont les plus jeunes. À ceux-là, je leur répondrai – non sans avoir omis de leur briser la nuque préalablement – qu’il est question de l’auteur de Eyeshield 21.

Mes lecteurs les plus réguliers – qui sont pénalement mes complices – le savent, j’aime à vomir la quasi-intégralité des nouveaux titres de Shônens parus depuis le début de la décennie 2000. J’aime à le faire, mais je n’aime pas avoir à le faire. Et qu’on se le dise, au milieu de ces Shônens parus durant cette époque et gisant aujourd’hui dans le sang après avoir été abondamment couverts par ma bile, le titre Eyeshield 21 en est absent. Il n’y a eu que de bien rares exceptions à cette époque, de minuscules taches de propre sur un panorama bien sali, et Riichirô Inagaki en était la cause. Cet auteur, quand il écrit, sauve l’honneur de sa profession dès que son stylo effleure une planche. Il n’est ni un génie, ni un virtuose ; simplement un mangaka consciencieux à même de se pencher attentivement sur son œuvre.


Ce n’est pas tant les scénarios qu’il a à proposer qui soient susceptibles de nous estomaquer, mais son sens de l’ingéniosité. De même que les stratégies et tactiques de jeu sur le terrain étaient fort appréciables du temps d’Eyeshield 21, la focale placée ici sur le milieu de la science nous offrira un paysage pour le moins ragoûtant. Dans un cas comme dans l’autre, la trame n’était finalement que très secondaire comparés à ces atouts scripturaux. Elle en est chaque fois si insignifiante qu’on ne lui prête que rarement la moindre forme d’attention, trop content que l’on est à se pencher sur ce qu’accomplissent les personnages, sans pour autant s’intéresser à la portée de leurs actes ou aux enjeux derrière ceux-ci.


Dr. Stone s’augure ainsi comme un Shônen très Shônen. Des personnages au caractère étriqué – mais marqué – se présentent à nous sans trop de subtilité. Il y a même une phrase fétiche propre à un personnage qui, aux oreilles des lecteurs, pourrait résonner comme un slogan « j’en suis sûr à 10.000.000.000 % ». Celle-là, je ne l’avais lue que deux fois qu’elle me gavait déjà.

Une fille qui ne sert à rien si ce n’est à être désirée par l’un des personnages principaux : check. Pas de doute, Inagaki et Boichi ont mis en commun tout ce qu’ils avaient de respect pour les personnages féminins afin de nous céder une plante décorative. Les personnages brossés ici, en règle générale, ne cassent pas trois pattes à un canard. Ni même deux, et pas même une pour tout dire. Ils ne sont flamboyants que d’une lueur factice, bruyants et faussement extravagants pour laisser à entendre qu’ils ont des choses à exprimer. Je considère que c’est manquer de bon goût que de se trouver un personnage favori dans le lot en ce sens où tous ont très peu de personnalité à mettre en avant. La mise en scène couvre plus ou moins les carences de fond.


Pour le scénario… un beau jour, l’humanité entière se transforme en pierre. La nature reprend ses droits après 3700 ans passés sans présence humaine puis, nos deux personnages principaux, sans trop qu’on sache pourquoi, ne sont finalement plus frappés de cette malédiction qui transforme les gens en pierre. Il se mettent alors en quête de, je cite « Devenir les Adam et Ève de ce nouveau monde ». Je précise qu’il s’agit de deux hommes.


Je vous avais prévenu, le scénario ne pisse pas très loin et ne s’approfondira que bien peu, mais c’est encore ce qu’il permettra d’accomplir par la suite qui justifiera amplement qu’il soit advenu. Il fallait un prétexte pour que l’humanité, réduite à un groupe de personnages très restreint, reparte de zéro sur le plan civilisationnel afin d’user de la science pour progressivement renaître. Le prétexte – d’ordre surnaturel – fut trouvé à l’envolée, peut-être griffonné sur un coin de nappe la veille et l’aventure put alors s’enclencher.


Dr. Stone n’est pas une œuvre foncièrement didactique à proprement parler. On ne nous fait pas réviser le corpus de base des sciences élémentaires pour ensuite nous aider à comprendre le fonctionnement exact. La science qu’on nous présente ici se rapporte davantage à l’alchimie qu’à la chimie. On nous présente les ingrédients, on nous explique ce qu’ils peuvent produire quand on les combine, mais on ne s’appesantit pas sur le tableau périodique des éléments afin que nous ayons une idée précise de ce qu’impliquent chacun d’entre eux. Du reste, ces recettes scientifiques sont géniales et, bien que parfois extrapolées pour les besoins de l’intrigue – car tout ne se synthétise pas facilement, même avec les ingrédients. Les plus jeunes comme les plus vieux se plairont à découvrir le travail de recherche colossal effectué dans le milieu de la physique et de la chimie. Taiju sera la caution narrative ignare – comme nous autres – à qui Senkuu expliquera chaque aspect scientifique de ce qu’il accomplit.


C’est d’ailleurs à cet élément, et à cet élément seulement que Dr. Stone devra son salut sur le plan critique. À ça, et à l’aventure que suggère la quête d’ingrédients distillés dans ce monde qui, bien que devenu sauvage, n’est finalement pas tant un problème que ça au niveau de la faune. La nature d’un Japon civilisé du début du vingtième siècle paraît plus menaçante que celle laissée ici en friche pendant des millénaires. Ils ne croiseront un prédateur sérieux qu’après une année passée au beau milieu de la pampa ; et bien peu par la suite. Tsukasa, un lycéen, parviendra par sa seule force de ses muscles à mater une meute de lions.


Quand je vous disais qu’il ne savait pas écrire ses personnages non plus le petit père Inagaki, je ne plaisantais pas. Pour le décorum, on acceptait que Kurita et les linemen de Eyeshield 21 aient une force absurde, mais là où le contexte se veut autrement plus terre à terre et réaliste – il faut quand on parle de science à tout bout de champ – la chose passe autrement moins bien.

L’antagonisme avec Tsukasa n’avait pas franchement lieu d’être scénaristiquement parlant. La nature omniprésente et omnipotente était un vivier d’adversité suffisamment garni pour ne pas avoir besoin d’y avoir recours avant un certain temps. C’était prématuré. Mais il fallait une figure de méchant assez tôt car la convention induite des Shônens semblait le commander. Un méchant qui n’est d’ailleurs pas ambiguë – en plus d’être mal fondé dans ses espérances – mais simplement incohérent. Le fait de ne pas avoir tué Taiju et Senkuu – pourtant résolument opposés à sa vision du monde qui vient, n’a strictement aucune justification alors qu’il massacrait des statues sans sourciller trois pages auparavant. Tout ça pour en plus les traquer le lendemain pour les éliminer du fait de la menace qu’ils représentent…


Si la trame n’est pas cataclysmique en soi dans ce qu’elle nous présente, elle ne trouve jamais matière à satisfaire une tête bien faite. Sans son volet scientifique, Dr. Stone, sans aucun doute, serait à abandonner sans hésitation parmi les rebuts de ce que commettent les Shônens d’aujourd’hui. Car toutes choses considérées, il n’a vraiment rien d’autre d’intéressant à offrir pour ravir le lecteur avec du contenu original et travaillé.


Dr. Stone a un avantage à mettre en avant, un seul… mais, à la manière du Liar Game de Kaitani, il le fait avec brio et le soigne bien assez pour que ce seul avantage suffise à combler les innombrables autres carences. De peu, certes, mais de juste assez pour nous enjoindre à lire sans peine. La chose est rare dans le milieu du Shônen contemporain. Suffisamment pour être notée d’une part, louée en plus de tout.


Il y a un petit côté jeux-vidéo assumé, notamment dans les encarts narratifs visant à souligner l’acquisition d’un nouvel objet, d’une nouvelle technologie, ou bien d’un nouveau membre. Malgré l’adversité – très relative – le ton de tout le manga restera particulièrement léger, au point même de se vouloir ludique. Le côté RPG sera d’ailleurs plus prononcé alors que Senku, pour convaincre les habitants du village, remplira différentes quêtes afin de mieux les rallier à sa cause un à un. RPG toujours, la collecte des ingrédients dans la nature s’y rapporte très franchement dans les termes. La scénographie sait à quel genre de public s’adresse Dr. Stone et n’hésite pas à user de tous les charmes d’usage pour mieux les séduire. En définitive, le manga s’accepte presque comme une adaptation manga de Minecraft en mode peaceful.


Les constructions se font très rapidement. Même si le principe scientifique derrière la plupart d’entre elles est bien factuel, le fait d’aboutir à la construction des différents engins aussi élaborés, ne serait-ce que pour composer les pièces, devrait assez souvent prendre dix à cent fois plus de temps qu’ici. Le rythme de la narration le vaut bien, mais il faut garder les idées larges pour l’accepter. Kaseki, plutôt qu’un personnage, est un lubrifiant scénaristique visant à accélérer le processus de construction grâce à la magie de ses talents d’artisan.


Malgré une intrigue extrêmement bateau – qui tient sur la feuille de route d’un RPG – le rythme du récit est entraînant et le lambine jamais. On se plaît à se laisser entraîner par une narration qui, sans jamais en rajouter ou en faire trop peu, nous porte sans avoir à forcer. Pour un peu, on pourrait même lui reprocher d’atteler la charrue avant les bœufs tant certaines créations scientifiques apparaissent aussi tôt. Mais nécessité fait loi. Le réalisme aurait prolongé le récit de cent volumes au moins pour correspondre à la réalité des faits.


De même que Slam Dunk a donné un essor au basket estudiantin en son temps au Japon, je ne serais pas surpris que les sciences de l’ingénierie et de la chimie soient plus tard saturées par les plus jeunes qui auraient été passionnés par ce qui se présente ici.


Lé rédemption de Tsukasa parce que, comprenez-vous, il était ainsi du fait que sa petite sœur était malade, est quand même une moquerie que n’auraient pas osé bon nombre des pires auteurs de Shônens qui soient. Enfin si… ils auraient osé car ils n’ont aucune limite, il n’empêche que l’on était en droit d’en attendre un peu plus de monsieur Inagaki. Cependant, comme cela aura été écrit préalablement durant cette critique ; excepté un seul point à mettre en avant, le reste des éléments qui compose son œuvre est honteusement laissé en friche. Abandonner Tsukasa comme antagoniste pour lui substituer un méchant plus ridicule de par les outrances de ses motivations mal fondées, c’est une belle faute de goût. Qui en appellera à d’autres par ailleurs. Le coup de la cryogénisation dans le frigo construit en trois cases pour entretenir Tsukasa jusqu’à lui trouver de quoi le soigner… on est dans la magience caractérisée.


Du reste, les personnages introduits suite à la guerre sont aussi fatigants qu’ils sont faussement exubérants. Le village et ses quarante habitants se suffisait à lui-même pour ce qui était de nous fournir un vivier de protagonistes réguliers et convenables.

On passe par une période de flottement alors que la révolution agraire s’orchestre. C’est plaisant, mais le fait que toutes les innovations technologiques qui s’enchaînent alors ne se conçoivent que comme des agréments, comme un luxe, ne nous permet pas vraiment de nous en rassasier. L’enjeu vient vite à manquer après la reddition des forces de Tsukasa et la science poursuit son œuvre pour épater davantage que par nécessité impérieuse. La survie n’est jamais une variable dans l’équation alors qu’elle devrait être prédominante. D’autant que la narration flèche le parcours sans subtilité alors que tout ce beau monde trouve littéralement du pétrole sans forcer.


Le scénario avance comme sur le fil d’une partie d’un jeu de gestion sur PC. Toutes les infrastructures se construisent en deux cases de temps, de tout ce qui sera nécessaire à la manufacture jusqu’aux rails dans les mines et autres structures d’exploitations de ressources naturelles. Inagaki a trop pris la confiance et, avec trop d’empressement, nous fait connaître une révolution industrielle qui advient en deux chapitres de temps. Cela aurait pourtant dû être l’enjeu d’un arc entier comme la quête de l’antibiotique ou de la communication à distance. De même que la construction du bateau motorisé nous sera passée sous les yeux avant qu’on ait eu le temps de la voir s’orchestrer.


Et comme tout s’accomplit sans difficulté… voilà qu’on en vient à s’emmerder quelque peu. Le paysage ne suffit plus, il lasse quand on s’y est habitué. Il faut davantage dans le récit et ce davantage, Inagaki ne nous en pourvoie pas.

Après que les plus grosses inventions aient été découvertes, à commencer par le véhicule motorisé, la suite devient quelque peu guignolesque alors que tous les atouts sont systématiquement entre les mains des protagonistes. L’intrigue cherche – à ses heures perdues – à leur mettre un semblant d’adversité sur la route… mais les protagonistes lui roulent dessus.


Néanmoins, pour l’effort, le travail de recherche et l’idée de sortir un peu des sentiers battus en se refusant à faire du nekketsu gogol, Dr. Stone, plongée dans le contexte de sa période de publication, est une œuvre méritoire alors qu’elle flotte au-dessus du bain de médiocrité ambiant dans lequel macèrent les lecteurs de Shônens depuis trop longtemps. Elle le survole de peu, mais elle le survole tout de même. Il est rarissime par les temps qui courent de voir un auteur de Shônen céder à une quelconque forme d’originalité dans ce qu’il a à présenter. Il est d’autant plus singulier que Riichiro Inagaki, ici, exécute cette idée originale avec plus ou moins de maîtrise pour ne pas trop nous en gâter le goût. Pas un goût des plus succulents, mais pas un non plus qui soit infect au point de rendre le contenu indigeste. C’est un mérite en soi… l’époque veut ça. D’où une certaine mansuétude de ma part et un point de plus accordé à la note que j'avais en tête.

Josselin-B
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le 3 mai 2024

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Josselin Bigaut

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