Art Angels
6.9
Art Angels

Album de Grimes (2015)

Depuis le très bon et remarqué Visions, Claire Boucher, mieux connue sous le nom de Grimes, est devenue une de mes fournisseuses préférées en termes de pop déviante dernièrement. Surtout depuis que la boutique Charli XCX se ravitaille en marchandises plus conventionnelles.
L’attente autour de sa prochaine livraison en devenait insoutenable et on était beaucoup dans le même cas. A espérer une dose au moins autant curieuse qu’excitante de cette dream pop étrange. Nageant aussi bien dans les eaux éthérées des Cocteau Twins qu’en compagnie de la synthpop la plus pouet pouet qui soit. Car ce qui fait sa principale particularité est là, dans cette absence totale de bon goût et de mesure.


Claire fait partie de cette génération de musiciennes/chanteuses nourries de références alternatives et assumant leur goût pour tout ce que mainstream a pu faire de plus racoleur ces 20 dernières années (elle s’est déclarée fan de Mariah Carey tout de même). Cependant, il faut croire qu’elle est finalement allée trop loin dans son délire. La parution d’Art Angels s’est accompagnée d’une polémique pour le moins étrange.
Branle-bas de combat ! Grimes fait désormais de la pop FM et ça, ce n’est pas bieeeeennnnnn !!! Passé la surprise (jubilatoire) d’observer les dindons du temple indé secouer leurs plumes en signe de désapprobation, il faut se rendre à l’évidence que le changement est très bien négocié.


Pourtant, ce n’est pas gagné en théorie. Tout comme Visions (qui lorgnait fugacement du côté d’Enya), ce disque rassemble beaucoup d’éléments effrayants. Des refrains bubblegum digne d’Aqua (si, si, souvenez-vous de « Barbie Girl » !), une hystérie parfois proche de certains artisans de la J-Pop, des chinoiseries vocales à la Kate Bush… Sauf que lorsque le résultat parvient à vous enthousiasmer alors qu’il est constitué de gimmicks vous énervant habituellement, cela ne signifie qu’une seule chose : cette musique n’est pas commune ! Qu’importe les ingrédients employés, c’est la manière de les utiliser qui peut tout changer.


Le secret de Mademoiselle Boucher est tout simple : elle a l’intelligence de s’inspirer des meilleurs aspects de ce qu’elle aime. Donc à la fois de l’efficacité de la dance, mais également dans des choix de sonorités et de constructions inhabituelles dans un album pop censé être radiophonique. Le trio d’ouverture est éloquent. Une intro heavenly laissant place à la pop sucrée « California » (de loin le titre le plus classique) pour finir sur un rap balancé presque à l’arrache (« SCREAM ») en duo avec la Taiwanaise Aristophanes. On n’est d’ailleurs pas si éloigné de Death Grips sur cette piste (sans être aussi fou néanmoins).


Il devient évident que le reste, lorsqu’il s’agit de le décortiquer, sera fidèle à son entame. C’est-à-dire furieusement décalée tout en étant salement accrocheur.
« Flesh without Blood » confirmant qu’on peut faire du bon Avril Lavigne. « Kill V. Maim » est d’une hystérie jouissive. Le morceau titre est rythmé par un riff merveilleusement funky et possédé par un refrain d’une fraicheur inouïe (qui est en réalité une déclaration d’amour de Grimes pour sa ville de cœur Montréal). « World Princess part II » est aussi sautillante que du Yellow Magic Orchestra et « Venus Fly » débute même comme du R&B avant de se faire interrompre par un torrent de basses ensorcelant. Tout ça accompagné de la talentueuse Janelle Monáe faisant quelques apparitions avec, entre autre, un break de musique celtique… Quant à la conclusion « Butterfly », c’est ce à quoi pourrait ressembler de l’eurodance mélancolique si une telle chose pouvait exister. Sans oublier ces paroles troublantes ("Why you looking for a harmony? There is harmony in everything”, une façon d’exposer sa vision des choses concernant la composition ?), quand elles ne sont pas volontairement dirigées vers ceux qui n’accepteront pas ses envies ("If you're looking for a dream girl. I'll never be your dream girl”).


Il ne faut non plus se voiler la face, si tous ces chemins de traverse aboutissent vers une réussite, c’est principalement parce que Claire est dotée d’un insolent sens de la mélodie. Un talent perceptible auparavant et qui est confirmé ici. Pour les plus sceptiques qui n’accepteraient pas cette production fouillée et clinquante (pourtant complétement au service des compositions), je les renvoie aux presque acoustiques « Easily » et surtout « Life in the Vivid Dream » pour leur prouver mes dires. Une voix, des arrangements minimalistes (quand ce n’est pas juste une guitare) et rien d’autre. Seulement un moment beau et inoubliable.


On peut regretter que la langueur dream pop se soit nettement atténuée (sans qu’elle ait disparue attention), que le disque parte un peu dans toutes les directions et qu’il ne parlera pas à ceux qui ont enterré leur âme d’enfant. Toutefois, c’est pour cette raison qu’Art Angels est une si grande réussite et la meilleure sortie de sa compositrice.
Puisqu’au final, cette Canadienne prouve qu’elle est bel et bien une punk. Que ce soit dans son look ou dans sa musique, elle ne s’impose pas de limites et surtout pas dans le bon goût (cette pochette magnifiquement affreuse en est la preuve). A la manière de Prince, elle veut devenir une pop star sans perdre son indépendance tout en bénéficiant de gros moyens (elle écrit et produit tout au point qu’elle s’est mise à pratiquer divers instruments alors qu’elle peinait à jouer du clavier avant !). Peu importe les critiques et les fans (qu’elle n’hésite pas à affronter dans ses paroles après qu’ils lui aient mené la vie dure suite à la chanson qu’elle a écrite pour Rihanna… Finalement rejetée par la star elle-même), elle n’a pas de compte à rendre et dessine tranquillement ce que la pop moderne a de plus audacieux et de plaisant aujourd’hui.


« Welcome to reality » qu’elle dit dans ce qui est déjà devenu son manifeste (« REALiTi »). Il ne reste plus qu’à l’accepter pour jouir des plaisirs que procure cet objet improbable.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
8
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le 4 janv. 2016

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