Avec Origin of Symmetry et Absolution, Muse s’est affirmé comme l’un des groupes de rock alternatif les plus doués et les plus originaux et des années 2000. Allait-il poursuivre dans sa magnifique lancée ? Oui et non. Son quatrième album, Black Holes and Revelations, donne le spectacle d’un certain éparpillement pour le meilleur et pour le pire. Plusieurs tendances peuvent être entendues sur cet album, souvent au sein d’un même morceau.


La première tendance est celle de ces morceaux de rock bien gras, pur jus, qui ont forgé l’identité de Muse. « Assassin », avec ses refrains qui se referment sur l’un de ces puissants riffs de guitare dont Matthew Bellamy a le secret, est le plus emblématique de ce style grondant très particulier, proche du heavy metal. Il produit les mêmes sensations fortes et libératrices que les classiques de Muse tels que « Sunburn », « Bliss », « Plug in Baby », « Stockholm Syndrome » ou « Hysteria ». C’est ce qu’on veut, c’est ce qu’on redemande. Deux autres titres de l’album s’inscrivent pleinement dans cette tendance, dont ils représentent un versant plutôt sage mais tout aussi dynamique : « Exo-Politics », avec sa rythmique bondissante, et « Map of the Problématique », sublimé par son chant rempli d’espérance et ses lignes de piano chargées de delay.


La douceur enivrante de « Soldier’s Poem », bien que totalement opposée à « Assassin » dans l’ambiance, s’inscrit également dans une continuité. En effet, les albums de Muse ont toujours été émaillés de ballades dépouillées offrant des respirations bienvenues, qui n’ont rien à voir avec des ballades « commerciales » compte tenu de leur originalité voire de leur étrangeté : « Unintended », « Falling Down », « Screenager », « Blackout »… La courte « Solider’s Poem » s’inscrit dans cette liste constituant une facette de Muse peu connue du grand public et pourtant tout aussi fascinante que la facette bourrine. La maîtrise des chœurs par Matthew Bellamy y est impressionnante. On ressent l’influence de Freddie Mercury.


Une autre tendance déjà entendue auparavant chez Muse est celle des morceaux d’obédience progressive. Sur Black Holes and Revelations, cela concerne principalement les trois derniers titres. « Hoodoo » est assez creux et prétentieux, mais les deux autres pièces sont excellentes. « City of Delusion », qui relève à la fois de la tendance « grasse » et de la tendance « progressive », offre un beau moment d’évasion et son solo de trompette sur le break final est du plus bel effet. « Knights of Cydonia », surtout, est un bijou constituant un morceau de clôture absolument parfait, pour l’album comme en concert. Sa structure est irréprochable, digne des plus grands groupes de rock progressif. L’introduction est mystérieuse, la montée est épique, le message de résistance scandé sur le refrain fait frémir et le final est monstrueux.


Muse inaugure en parallèle une tendance qui occupera par la suite une place déterminante dans son parcours musical : celle d’un rock vif et entraînant sans être bourrin qui incorpore des sonorités disco. C’est le style de « Uprising », « Undisclosed Desires », « Madness », « The Dark Side »… Peut-être peut-on faire remonter la genèse de cette tendance à « Endlessly » sur Absolution, mais elle acquiert ses lettres de noblesse sur Black Holes and Revelations, d’abord avec le morceau d’ouverture « Take a Bow » (qui se situe à la croisée avec la tendance « progressive ») puis avec le tube « Supermassive Black Hole » (qui se situe quant à la lui à la croisée avec la tendance « grasse »). Ce dernier, qui évoque l’image d’un DJ mettant une salle en folie en faisant scratcher ses platines, s’impose comme l’un des titres les plus puissants de Muse.


Enfin, c’est malheureusement à partir de Black Holes and Revelations que Muse se met à fabriquer des morceaux de pop commerciale. Le passage du groupe sur une major le laissait craindre : il perd son identité de rock indépendant. « Starlight », l’un des hits les plus populaires de Muse, conserve une certaine originalité et n’est pas foncièrement désagréable à écouter, mais demeure quand même très lissé et finit par ennuyer au fil des écoutes. Et « Invincible » ? L’un des pires titres de Muse. A partir de cet album, le trio aura la fâcheuse habitude d’inclure à chaque fois un ou deux morceaux totalement insipides comme celui-ci. Et niveau paroles, le groupe ne fait pas toujours dans la finesse, mais ici cela en devient consternant de stupidité.


Black Holes and Revelations est donc un album qui aurait pu être un chef d’œuvre, ou qui aurait pu s’avérer très mauvais, à quelques choix artistiques près. Comme la plupart des albums de Muse qui s’ensuivront, c’est une œuvre inégale où les morceaux sont globalement de qualité et où quelques titre géniaux rattrapent le niveau de quelques titres moyens voire horribles. Certains fans se détourneront rageusement du groupe à partir de ce moment, d’autres continueront de les suivre attentivement, en conservant l’espoir au fil des albums qu’ils sauront au mieux maintenir le niveau, au pire limiter la casse.

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le 11 mai 2020

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