Depuis des années, être fan de D'Angelo provoque un tourbillon de sentiments assez troubles : de la frustration, de l'espoir, des doutes, de l'optimisme ... mais surtout ce questionnement continuel : quand ? Quand aura t'on enfin le privilège d'avoir un nouvel album à se mettre sous la dent ? Quand pourra t'on effacer cette impression que plus on approche du but, plus celui-ci s'éloigne ?

Des heures à se rejouer Brown Sugar et Voodoo, à scruter chaque nouvel extrait de concert sur youtube ... des jours à chercher les derniers témoignages de ses collaborateurs, à épier chaque rumeur ... des mois à entendre la même formule : "James River" (titre évoqué pendant des années) arrive bientôt ... des années à s'inquiéter de ce silence radio interminable.

14 p*tin d'années ... Que j'ai oublié en un seul instant le temps de presser le bouton "play". Le temps s'est arrêté. Le jour de mes 25 ans, j'écoute le 3ème album de D'Angelo. J'ai dû me pincer.

Honnêtement, la magie n'a pas opéré tout de suite. J'étais plus que circonspect devant "1000 Deaths" ( morceau où D joue tous les instruments avec Questlove aux drums), "Sugah Daddy" me semblait moins punchy qu'en live et la deuxième moitié d'album me paraissait agréable mais pauvre dans son rythme. J'ai apprécié mais sans plus. Seul "Really Love" m'a de suite emballé. Cette montée de violons, qui s'estompe au profit d'un air de flamenco qui s'engouffre ensuite dans cette mélodie à la fois légère mais chargée en émotion : un coup de maître.
Les deuxième et troisièmes écoutes m'ont par contre totalement convaincu : He's back.

Black Messiah est différent de Voodoo et Brown Sugar, et c'est ce que j'aime. Bien évidemment par moment il nous rappelle au bon souvenir de ses oeuvres passées (l'excellent "Betray my Heart" qui se rapprocherait le plus d'un "style" D'Angelo), mais cet album, avec son contexte bien particulier, offre une nouvelle approche. Bien que toujours aussi largement inspirée par Prince, Sly Stone ou autre J Dilla, D'Angelo livre ici un album au ton plus éclectique, offrant un éventail de nouvelles sonorités qu'il arrive à lier à sa zone de confort. Il joue en fait sur ses forces, et arrive tout de même à explorer de nouveaux univers musicaux sans que cela nous perturbe. Le résultat, c'est un album maitrisé, ou le "messie" s'impose avec une puissance étonnamment fragile et douce à plusieurs endroits, qui se disperse mais reste totalement contrôlée. Chaque track dégage une atmosphère bien distincte, où l'on s'immerge sans retenue, guidé par des mélodies toujours plus inventives et délicieuses ("The Charade", "Another Life"). Le tout fait aussi preuve d'une cohérence incroyable malgré les années qui séparent la création de certains titres.

Cette musique semble déjà intemporelle, élément qui détermine à mes yeux la réussite du projet. Le temps, c'est aussi ce qu'il faut pour capter la richesse de l'album, ses détails et ses complexités. On n'a pas affaire à la musique jetable qui domine malheureusement le paysage musical actuel. La musique de D'Angelo ne s'oublie pas le lendemain. Elle est faite pour durer, pour laisser une trace.

Bien sur il est important de souligner l'apport crucial d'une pléiade d'artistes comme Questlove, Pino Palladino, Roy Hargrove, Q-Tip ... ou encore des ingés sons qui ont fait un bouleau de dingue.
il est d'ailleurs recommandé de se plonger dans l'album avec une bonne sono ou un bon casque, afin d'apprécier toutes les subtilités qu'offrent les 12 tracks du projet, notamment le grandiose "Prayer".

Un succès donc, un album qui semble se bonifier à chaque écoute, et qui valait bien la longue attente. On se souviendra de Black Messiah pour les bonnes raisons, et D'Angelo assure par la même un peu plus sa place dans l'histoire de la musique noire. La grande classe.
Funky_Child
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le 20 déc. 2014

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