Electric Cafe
7.1
Electric Cafe

Album de Kraftwerk (1986)

Minimum Maximum : Formes Esthétiques à l'âge Atomique

Printemps 1981.


Kraftwerk, groupe de musique électronique allemand provenant de Düsseldorf et composé alors de Ralf Hütter (leader, synthé et "chant"), Karl Bartos (percussionniste et "bassiste"), Wolfgang Flür (percussionniste) et Florian Schneider (synthé et effets, vocodeur), est alors en plein milieu de la tournée pour promouvoir l'album qui vient de sortir, soit Computer World. Un beau jour de juin, alors que leurs ingénieurs viennent de terminer le montage de leur studio Kling Klang sur la scène du Hammersmith Palais de Londres, le groupe commence la phase de balance. Karl, jouant avec son synthétiseur Korg PS-3100, découvre un son de basse qui lui plaît. Rapidement, un riff lui vient en tête. Les trois autres se joignent rapidement à lui. Ainsi naît la première ébauche du morceau "Sex Object". A cette époque, le groupe doit encore passer six mois en tournée, mais ces ébauches de morceaux joués à la fois en "live" mais également en condition "studio" (vu que quasiment l'entièreté du Kling Klang est présent sur scène) vont rapidement devenir le corps d'un projet de nouvel album pour les quatre Robots de Düsseldorf.

La tournée se termine enfin en décembre, et le groupe se décide alors pour prendre un peu de temps pour eux...


Tour de France en Technicolor


Afin d'éviter l'ennui et de se trouver un nouveau passe temps, Florian redécouvre en 1980 le vélo ainsi que le cyclisme. Dés lors, il embarque les trois autres avec lui. Le vélo devient l'activité numéro un des quatre robots de Düsseldorf. A partir d'un moment, Wolfgang laisse tomber le vélo, reprochant aux deux membres fondateurs de se désintéresser peu à peu de la musique.

Pourtant, c'est également à cette période que Karl devient officiellement le troisième compositeur attitré de Kraftwerk (malgré son crédit de "percussions électroniques" dans les notes de pochette). Chez lui, dans son petit home studio, il passe un temps fou derrière ses synthés. Son rituel ? Allumer la télévision, couper son volume et illustrer les images qu'il regarde. De cette manière, il peut créer des ébauches de morceaux qu'il peut ensuite apporter au studio Kling Klang (le bâtiment, cette fois), situé au 16 de la Mintropstrasse, derrière la gare centrale.


Pour le prochain album, Ralf trouve l'idée d'explorer le rapport de leur musique dans la société. En s'amusant à chercher un nouveau qualificatif pour nommer la musique de Kraftwerk, il garde en tête le titre "Techno Pop", avec ce slogan :


Es Wird Immer Weiter Geh'n, Müsik Als Träger Von Ideen (soit grossièrement en français "Tout va encore continuer, la musique ne tombera pas à court d'idées")

Dans un premier temps, le groupe est mitigé sur ce titre et préfère utiliser le titre d'une ébauche de morceau travaillé en tournée, soit "Technicolor". Florian cherche alors à savoir si il est possible d'utiliser ce titre pour une œuvre commerciale (soit un disque) et leur avocat, Marvin Katz, les informe alors de l'impossibilité d'utiliser ce nom car déjà breveté par le procédé d'image couleur bien connu dans le milieu du cinéma. C'est donc finalement ce concept de "Techno Pop" qui l'emporte, et le groupe travaille donc d'arrache pied toute l'année 1982 sur ce nouveau projet d'album.


En février de cette année là, le titre "The Model", originellement extrait de l'album The Man-Machine publié quatre ans plus tôt, devient étrangement numéro 1 des charts anglais. Le groupe, bien qu'heureux, préfère ignorer royalement cette opportunité de surfer sur le succès. Ils refusent un passage à l'émission anglaise Top Of The Pops mais apparaissent néanmoins dans l'émission Na Sowas de la ZDF allemande pour "jouer" (en playback) leur ancien single. Préférant se concentrer sur leur nouvel album, ils refusent également un nouveau projet de tournée.


Nous arrivons alors rapidement en 1983, et la technologie a évoluée à vitesse grand V depuis l'enregistrement de Computer World. Les séquenceurs (plus ou moins inventés par Kraftwerk ou en tout cas par des musiciens allemands) sont massivement arrivés sur le marché et de nouveaux instruments électroniques nommés "samplers" font leur apparition, notamment l'Emulator de E-MU Systems.


Ayant acquis un Emulator, Kraftwerk développe quatre morceaux. "Technopop", d'abord, morceau censé se construire sur toute la durée de la première face. Sur la face B doit ensuite figurer "The Telephone Call", un morceau synthpop rempli de bruitages liés au téléphone. Ensuite devait apparaître "Sex Object", un morceau assez rapide. L'album était censé se terminer avec une version longue de "Tour de France", un autre morceau né pendant les balances du groupe sur la tournée de 1981 (et alors titré "Technicolor"). Composé d'un mélange entre rythme pur et mélodie très européenne (piquée au compositeur classique Paul Hindemith), la dynamique de "Tour de France" repose sur une séquence rythmique assez proche de celle de "Numbers" sur l'album précédent, ponctuée régulièrement par des samples de respiration, de pompes à air et de chaines à vélo. Avec "Tour de France", Kraftwerk parvient à fusionner pour de bon l'homme et sa machine, qui ne doivent plus faire qu'un pour gagner une course.


A l'été 1983, l'album est fin prêt, une pochette est réalisée et dispose d'un numéro de catalogue chez EMI qui commence alors à placarder l'annonce imminente d'un nouvel album du groupe.

Histoire d'assurer la promotion sans assurer de tournée, Ralf et Florian décident de sortir le titre "Tour De France" en single. Problème, le groupe s'enlise dans des sessions de mixage sans fin. Le morceau est d'abord mixé chez eux, au Kling Klang. Après avoir découvert "Blue Monday" de New Order, le groupe approche Mike Johnson pour mixer une nouvelle version (qui ne sortira jamais) et finalement, c'est à New York, en compagnie du DJ François K que le groupe arrive finalement à mixer une version qui convient à tout le monde. Entre temps, EMI à déjà sorti le mix originel, n'ayant pas suivi les doutes et les pérégrinations des membres de Kraftwerk. A ce jour, le single "Tour De France" est le titre ayant le plus de versions dans la discographie du groupe. Un site web répertorie d'ailleurs toutes les versions et formats du titre.


Dans le même temps, c'est également pendant l'été 1983 que Ralf décide un beau dimanche d'aller faire un peu de vélo. Ce jour là, il oublie son casque et tombe tête la première. Les conséquences sont terribles : deux jours de coma et plusieurs mois pour se rétablir complètement. Pour Karl et Florian, c'est un moment difficile qui remet alors complètement en question la sortie de ce nouvel opus.


Mixing Non Stop

Avec cet accident, la sortie de l'album "Techno Pop" est retardée. Malgré une deadline suggérée par le label EMI pour une sortie au printemps 1984, Kraftwerk passe outre. De plus, Ralf, désormais bien remis de son accident, Karl et Florian recommencent à avoir des doutes sur le son de leur nouveau disque. La technologie de 1983 dont dispose le groupe leur apparaît comme soudainement déjà dépassée au vu du travail d'autres groupes électroniques chapeautés par Trevor Horn comme Art Of Noise ou Frankie Goes To Hollywood.


A cette époque, Florian Schneider passe également beaucoup de temps à l'université de Bochum, cherchant à perfectionner l'art de la synthèse vocale, un "hobby" qui l'occupe depuis au moins la création du groupe une douzaine d'années auparavant. Il fait l'acquisition d'un nouveau modèle de Votrax mais également un DECTalk, un "speech synthesizer" américain capable de "chanter". C'est la voix de "Betty", un preset de ce synthétiseur vocal qu'on entendra par la suite sur l'ensemble de l'album. Dans le même ordre d'idée, et alors qu'il passe un week-end à Paris, Schneider fait la rencontre de Rebecca Allen, une chercheuse et artiste new yorkaise spécialisée dans le développement des technologies d'animation d'images en 3D. Allen s'est auparavant chargée de réaliser certaines parties d'effets spéciaux de la captation du spectacle de danse The Catherine Wheel (un ballet mis en scène par Twyla Tharp et dont la musique est signée David Byrne) mais aussi le célèbre clip du "Adventures In Success" de Will Powers (aka Lynn Goldmsith, célèbre artiste photographe new yorkaise). Même si on imagine que Florian à dû tomber sous le charme de la chercheuse à Paris, il propose de l'inviter au Kling Klang studio pour rencontrer les autres Kraftwerk. Une fois sur place, Allen est chargée de "numériser" les visages des musiciens pour les animer ensuite dans un clip vidéo dédié à "Techno Pop".


L'année 1984 passe très rapidement, et Kraftwerk se retrouve désemparé. L'humeur n'est plus à la rigolade et à la musique. Ralf passe plus de temps à l'extérieur sur son vélo ou chez l'équipementier qu'au sein du Kling Klang Studio. Florian s'enferme dans le silence et surtout dans son labo, à expérimenter sur ses gadgets électroniques ou bien à passer du temps à Bochum pour discuter de synthés vocale avec d'autres spécialistes. Karl essaye tant bien que mal de suivre Ralf ou d'aider Florian histoire de garder un semblant de contact avec les autres membres de Kraftwerk, mais préfère finalement passer du temps avec sa compagne ou dans son "home studio". De son côté, Wolfgang Flür, à la base percussionniste principal de Kraftwerk mais aux abonnés absents depuis 1982 cesse complètement de venir au studio Kling Klang à cette période. Il s'ennuie au sein du groupe, ressent de la colère et de la frustration au vu de son rôle diminué dans Kraftwerk et préfère retourner à sa vie tranquille de designer de meubles. Son départ effectif ne sera annoncé que pour 1987.


Pendant tout ce temps, les morceaux sont sporadiquement et fastidieusement réarrangés, retravaillés, réenregistrés et remixés. Le morceau "Technopop", pourtant à la base issu d'une jam entre les trois musiciens principaux, est réédité avec du matériel plus récent (soit une version "rack" du célèbre Yamaha DX-7, un TX-816). Peu de temps plus tard, Ralf et Karl furent surpris de trouver Florian en train de s'amuser avec l'Emulator, samplant des onomatopées avec sa voix si particulière. Accompagnées par une boîte à rythme Linn LM-1 (célèbre par son usage par le musicien Prince), les onomatopées de Florian allaient former "Boing Boom Tschak", la désormais célèbre introduction du disque. Après plusieurs passages en France pour affronter de célèbres étapes du Tour de France en vélo, Karl et Florian se mirent un jour de l'été 1984 au travail sur le DECTalk. Cette session verra naître "Musique Non Stop", qui conclut la première partie du disque et donc la suite "Techno Pop", désormais modernisée. C'est alors que le groupe décide de faire venir François K pour terminer les autres morceaux de l'album, soit "Telephone Call" et "Sex Object", faisant désormais sonner le premier comme un véritable morceau électro-pop (ayant récupéré au passage la rythmique de "Numbers") et l'autre comme un tour de force "orchestral", utilisant tous les presets de cordes et de violons de leurs nouveaux synthétiseurs numériques. Bien que le DJ et producteur français fût partie prenante des sessions de Kraftwerk toute la fin d'année 1984, les choses n'allaient pas s'arranger tout de suite.


En février 1985, l'ami français de Kraftwerk, Maxime Schmitt, passe commande au groupe d'un indicatif musical pour un projet d'émission télévisée française nommée "Electric Café" qu'il veut monter. Le groupe, se souvenant du succès de la chanson "Radio-Activity" en France presque dix ans auparavant, accepte sur le champ. Ayant retrouvé l'inspiration d'un seul coup, Kraftwerk compose très rapidement la dernière pièce de leur futur album. En effet, le projet d'émission est annulé, laissant ce nouveau morceau échoir à Kraftwerk pour une future sortie.


Le groupe passe le reste de l'année à essayer de mixer l'album en Allemagne, en vain. Ayant passé presque quatre ans à travailler sur l'album, désormais renommé Electric Café, Ralf, Karl et Florian prennent la décision de se rendre à New York début 1986 afin de mixer l'album aux côtés de François K dans son studio. Rétrospectivement, son travail de mix, bien que difficile, sera tellement exceptionnel sur Electric Café que Depeche Mode fera appel à lui pour mixer Violator quelques années plus tard. En outre, le choix de New York plaît à Karl :


Ralf ne pouvait pas faire de grandes randonnées à vélo dans Manhattan. Et c'est ça, en tout cas je l'espérait, qui nous permettrait de terminer notre album.

Florian, n'ayant pas un très grand rôle à jouer à New York, rentre très vite à Düsseldorf, laissant Ralf et Karl s'occuper de finaliser l'album. Sur place, les deux musiciens s'amusent, renouent le contact, tentent en vain d'assister à un concert de New Order (le groupe de Peter Hook est en retard) mais découvrent surtout le Synclavier de New England Digital, un mélange de synthétiseur FM et de sampleur. C'est cet instrument qui va apporter la touche finale aux arrangements de Electric Café. Ralf sera tellement impressionné par la machine qu'il en passera commande quelque temps plus tard. Pendant ce trip New Yorkais, les deux hommes visitent à nouveau Rebecca Allen afin d'assister aux évolutions de ses travaux d'animation vidéo.


De retour en Allemagne, l'album est retravaillé de nouveau. Finalement, c'est en juillet 1986 que l'album est enfin prêt à sortir, accompagné des visuels de Rebecca Allen pour la pochette et le clip de "Musique Non Stop".


Rétrospectivement, c'est donc l'aspect "perfectionniste" de Kraftwerk qui est donc la principale raison de ce retard très avancé. Tellement même, que chez EMI, la sortie du nouveau Kraftwerk devient une blague récurrente...


Café Froid


Electric Café sort le 10 novembre 1986 et ne surprends personne. Le public a tellement attendu qu'il en a oublié Kraftwerk : de nombreuses alternatives "techno pop" sont apparues depuis la sortie de Computer World avec en tête de file des groupes comme Depeche Mode, Pet Shop Boys ou encore OMD... Pire encore, dans l'entremise, le groupe s'est fait piller sans vergogne par les premiers producteurs d'électro, de house et de techno aux États-Unis. La presse ignore également l'album, se demandant surtout comment un groupe a pu passer cinq longues années à mettre en boite un album aussi minimaliste. L'album ne reste que deux semaines dans les charts anglais à la 58ème place avant de disparaître sans laisser de traces.


Car oui, Electric Café est bel et bien un album minimaliste, peut-être même le plus minimaliste de toute la discographie du groupe depuis Radio-Activity sorti onze ans plus tôt. Sur la première face de ce nouvel album se succèdent "Boing Boom Tschak", "Techno Pop" et "Musique Non Stop". Faisant écho au projet "Technopop" de 1983, ces trois morceaux s'enchainent les uns dans les autres avec des motifs mélodiques et vocaux communs, principalement le leitmotiv du DECtalk et sa voix robotique qui répète "music non stop, techno pop".

"Boing Boom Tschak", comme on l'a vu, est un titre minimaliste et dadaïste. C'est finalement l'un des morceaux les plus amusants et funky de Kraftwerk. Des quatre musiciens, c'est Florian Schneider qui aura su le mieux insuffler de l'humour, même froid, dans les compositions du groupe. C'était déjà le cas sur l'album précédent avec "Pocket Calculator". Bien que le groupe ne parte pas en tournée avant 1990, c'est également l'un des rares passages ou Florian prends le devant de la scène, autant sur "Pocket Calculator" que sur "Music Non Stop" (la version remixée de la suite "Techno Pop") puisque Schneider fait un long solo de "scratching digital" autour de ses onomatopées.


Avec "Techno Pop", la dynamique repose sur des samples de violons retravaillés au TX-816 et au Synclavier autour de "rythmes industriels", comme le dit si bien Ralf. On se rends compte tout de même du travail abattu entre le début des sessions et la sortie finale de 1986, comme en témoigne cette version "démo". Partagée sur internet dans les années 1990, ce "bootleg" audio serait d'après Karl une version mixée du morceau vers 1983. On se rends compte à quel point Kraftwerk aura cherché à se moderniser. Si la "première" version sonne comme une sorte de croisement entre "Europe Endless", "Neon Lights" et "Computer Love", la version "album" que l'on connaît tous aujourd'hui n'en est qu'une déclinaison de la mélodie et des paroles sur un autre arrangement. Beaucoup plus orchestral, on sait également à quel point François K et son Synclavier aura aidé Kraftwerk à terminer l'album. Ces cordes samplées ou programmées vont donner une certaine âme à cette composition, avant que des samples percussifs ne prennent le relais jusqu'au bout du morceau. Le slogan "Es Wird Immer Weiter Geh'n" est repris ici en allemand, en anglais et en espagnol (grande première dans l'histoire du groupe), dicté par Ralf ou par les voix synthétiques de Florian. D'une durée de plus de sept minutes, le morceau semble également un peu s'éterniser mais l'on remarque également tout le travail de spatialisation du son, notamment sur les effets de reverb et de delay.


"Musique Non Stop" chante les louanges de la technologie comme moyen de faire "perdurer à jamais la musique". Arrangé autour d'une boîte à rythme TR 808, ce sont les voix synthétiques du DECtalk de Florian qui portent la mélodie très minimaliste construite sur cinq notes (C# et D#, puis G#, C et A#). Tout comme "Techno Pop", c'est également un morceau assez long, sorte de jam rythmique ne comportant pas de ligne de basse. Cette dernière fera son apparition dans la version The Mix, publiée en 1991 et jouée depuis sur scène.


Ces trois morceaux sont très minimalistes et ultra-précis dans leur construction rythmiques. Se dégage de cette précision un certain groove et une certaine once de mélancolie froide qu'on ne retrouvera nulle part ailleurs chez Kraftwerk.


La face B s'ouvre comme prévu sur "The Telephone Call", avec sa mélodie entêtante et ses samples de téléphone. Fait notable, c'est Karl Bartos qui donne de la voix sur ce morceau. Ce sera d'ailleurs la seule et unique fois qu'on l'entendra sur un disque de Kraftwerk. D'une durée de huit minutes dans sa première version, le titre est là encore finement produit et connaîtra plusieurs remixes réalisés par François K après la sortie du disque.


"Sex Object" (titre ô combien surprenant pour le groupe), est la cinquième piste de ce disque. Là encore très éloigné de sa première version (dont la "démo" aura également fuité dans les années 1990), le titre est arrangé sur un ensemble de violons et de cordes synthétiques, mais également des samples plus divers comme de la "basse" slapée, donnant un air légèrement plus organique à la musique du groupe. On retrouve également les sempiternelles innovations vocales de Florian, mais aussi les respirations de Ralf, évoquant cette fois "Tour De France".


L'album se termine sur la "chanson" titre, "Electric Café", morceau assez simple et minimaliste décrivant le mode de vie de Kraftwerk :


Culture physique, Cuisine diététique, Art politique à l'âge atomique

Texte cosigné par Ralf et Maxime Schmitt, il est très facile d'imaginer le titre comme indicatif musicale d'une émission de télévision. Les voix synthétiques de "Musique Non Stop" font leur retour, tandis que la rythmique est portée par une Linndrum LM1, quelques notes de basse et des "bulles synthétiques" signées Florian Schneider.


Cette face B est moins expérimentale, avec trois "chansons" plus pop mais toujours teinté de minimalisme froid.


Il faut tout de même noter un énorme point fort concernant ce disque : le groupe a effectué un travail de joaillerie d'une précision clinique sur la spatialisation et la fréquence du son. Impossible de dire que l'album est mal mixé, étant donné que le groupe l'a fait refaire pratiquement une dizaine de fois. Ce mix final de l'album est précis, clinique et propre, presque trop. Les effets sont nombreux mais subtils, jouant sur tout le panorama du son stéréo. Il en découle un album extrêmement homogène, porté par des titres minimalistes et droits mais tellement propres qu'ils en deviennent irrésistiblement funkys. En fait, même si cette couleur "électro-funk" au son numérique "so 80's" aurait pu faire défaut à Kraftwerk, c'est peut-être aussi ce qui fait le charme du disque.


Des robots trop humains

En 1987, le groupe refuse de partie en tournée. La promotion de ce Electric Café est assuré par une petite poignée d'interviews (comme l'hilarante non-interview de Florian Schneider donnée à un magazine japonais dont l'enregistrement est disponible ici) ou de conférences de presse ainsi que deux clips assez discrets.


Le premier, celui de "Telephone Call", est tourné en noir et blanc. Empreint d’expressionnisme, les plans sont fixes le plus souvent et montrent les quatre membres du groupe, figés autour de téléphones et autres instruments de communication et d'enregistrement. En fait, le plus diffiçile pour réaliser ce clip aura été de convaincre Wolfgang Flür d'y apparaître, lui que se sentait délaissé pendant la production de ce disque...


Le second clip, pour "Musique Non Stop" est très novateur : réalisé/crée par Rebecca Allen (ingénieure américaine en images de synthèse), il montre des têtes en trois dimensions se relayer pour faire des "Boing", "Boom" et "Tschak" en cœur. La deuxième partie du clip montre une succession d'images de synthèses : notes de musique, table de mixage et présentation "live" de Kraftwerk en 3D fil de fer. A ce jour, ces images sont toujours utilisées par le groupe pendant les performances live.


Si Wolfgang Flür ne vient plus au studio Kling Klang, il décide d'officialiser son départ à cette période. La sortie de l'album et son insuccès lui font définitivement passer l'envie de rester dans Kraftwerk. Il est vrai que la production du disque à laissé des traces pour le groupe et son entourage. La méthode de composition, plutôt fluide pendant les années 1970 et jusqu'à l'époque de Computer World, a laissé place au doute constant des trois principales têtes pensantes. Karl résume les choses ainsi :


Est-ce que transformer la technologie en musique n'était pas notre principe de base ? Après ça [la production de l'album Electric Café, NDLR], on aurait dit que ce principe s'est inversé pour nous.

Avec le recul, on peut en effet voir Electric Café comme le point de bascule de Kraftwerk vers une nouvelle ère de son existence. Ayant déjà débarrassé le Kling Klang de la plupart de ses instruments analogiques, Ralf et Florian enfoncent le clou en passant commande d'un Synclavier en fin d'année 1987. C'est précisément l'arrivée de cet instrument, certes génial en théorie, mais terriblement difficile à manœuvrer en pratique, qui signera l'arrêt de mort du line-up "classique" de Kraftwerk, celui composé de Ralf, Karl, Wolfgang et Florian. Wolfgang ayant déjà pris la tangente, Karl restera fidèle au groupe jusque juillet 1990 ou il décidera à son tour de quitter le groupe, lassé par trois ans de travail fastidieux autour du Synclavier pour programmer l'album remix The Mix (qui sortira en juillet 1991).


Pour revenir sur Electric Café, l'album se verra toujours entouré de mystère. Les fans et la presse se demandent alors pourquoi Kraftwerk n'a pas sorti l'album dés 1983 avec le single "Tour De France". Bartos démystifie plutôt bien toute cette période dans son livre The Sound Of The Machine (dont la plupart des informations de cette chronique sont tirés). D'ailleurs, même Ralf se décidera en 2009 de remastériser l'album et de le renommer de son titre d'origine, soit Techno Pop, lors de la réédition complète de la discographie "officielle" de Kraftwerk pour le coffret The Catalogue. Il remixera d'ailleurs également "Sex Object" d'une manière bien plus proche de la version "démo" de 1983 lors de la sortie de l'album "live" The Catalogue 3-D en 2017, laissant tout le plaisir aux fans de théoriser alors l'existence d'un "album perdu"...


Si l'on veut résumer, Electric Café ne reste pas vraiment dans les mémoires. Album mal aimé par les fans car il ne présente pas de thème directeur, mal aimé par la presse car certainement bien trop minimaliste à l'époque de la sortie de monuments de musique électronique comme Music For The Masses ou Actually, ignoré par le grand public, l'album se retrouve très (et certainement trop) souvent sous estimé.


C'est pourtant un excellent album de musique électronique et l'un des plus minimalistes de Kraftwerk. Les mélodies des six morceaux sont rapidement identifiables, fortes mais simples (comme toujours) et empreintes de nombreuses émotions. Le disque, malgré tout le soin de production qu'on lui a apporté, sonne légèrement daté de nos jours à cause certainement de l'utilisation de certains sons de synthés et de boite à rythme qui ont assez mal vieilli. Sans ça, Electric Café demeure l'un des meilleurs albums de Kraftwerk. Un café électrique, ça oui, mais pas forcément froid !

Créée

le 1 oct. 2016

Modifiée

le 26 janv. 2024

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Blank_Frank

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