I Decided.
6.3
I Decided.

Album de Big Sean (2017)

Dans le monde du hip-hop, cela fait plusieurs années que Big Sean cherche à gravir les échelons bien aidé par son flow impressionnant. Son problème c’est que s’il signe un tube sympathique ici et là, l’ex-protégé de Kanye West n’arrive jamais à faire briller son talent de rappeur sur un album entier, proposant régulièrement des disques à l’intérêt limité. Sur son premier, Finally Famous sorti en 2011, Big Sean était présenté comme un faiseur de tubes faciles, pathétiques et sans aucune profondeur (la preuve avec le maintenant cul-te Dance (A$$)). Son second opus, Hall Of Fame sorti en 2013 et porté par l’excellent Beware, annonçait un Big Sean plus ambitieux mais seulement en surface : si les clips et autres visuels en envoyaient plein la vue et les premiers extrait promettaient du bon, l’album - trop long - offrait très peu de substance et une collection de “featurings” décevants. Ce n’est en faite qu’avec le Dark Sky Paradise de 2015 que Big Sean a réussi à sortir de son image de petit protégé de Kanye West en se faisant un nom avec des tubes plus ou moins ambitieux, un album plus cohérent même s’il était loin d’être excellent, et surtout des relations ultra-médiatisées.


Voilà, Big Sean était célèbre, il apparaissait sur tous les albums de hip-hop ou de pop urbaine à la mode, on le voyait un peu partout, et même s’il nous rappelait ici et qu’il était le rappeur le plus sous-estimé de sa génération, il faut avouer qu’en tant qu’artiste, il ne valait grand chose ! Pourtant après toutes ces années, je n’ai pas désespéré et ai attendu patiemment la révélation et maturité artistique du rappeur de Detroit que je sentais venir. Et avec I Decided., Sean Anderson semble avoir enfin exhaussé ce souhait …


Le quatrième opus du rappeur le présente comme beaucoup plus réfléchi, plus assagi et plus mature. Si ses textes ont souvent manqué terriblement de profondeur, ce sont ici l’un des principaux atouts de ce I Decided. qui se situe entre un album personnel et une véritable collection de tubes.


Car oui, la recette d’un album de Big Sean l’oblige : I Decided. a son lot de “bangers” comme le premier single, Bounce Back, une réussite complète qui couronne une fois de plus Metro Boomin’ comme le hitmaker le plus prolifique du moment. Bounce Back met cependant en avant un Big Sean plus en recul que sur ses précédents succès (je cite I Don’t Fuck With You ou Marvin & Chardonnay). Oubliant les clichés du rap ou l’egotrip pur et dur, Anderson nous offre un hymne aux secondes chances avec un refrain qui pourrait faire un peu ricanner aux premiers abords mais qui s’avère être l’un des plus accrocheurs que le rap ait vu ces dernières années : “Last night took a L, but tonight I bounce back”. D’autres morceaux vont suivre ce schéma de livrer des refrains ultra-entêtants mais avec un véritable fond dans ses paroles, le tout sur des productions et des beats extrêmement bien exécutés : Jump Out The Window (qui parle de relations abusives), Voices in My Head / Stick to the Plan ou encore le court mais efficace Moves. Pas surprenant donc que deux de ces trois pistes ont été depuis choisies comme singles pour les radios US !


Le thème de Bounce Back, apprendre de ses erreurs et se relever plus fort après une défaite, va s’illustrer tout au long de I Decided. qui est conçu comme une discussion entre le Big Sean de 2017 et le Sean Anderson âgé prenant du recul sur sa vie. Le concept, même s’il n’est pas toujours très bien exécuté, porte l’album et permet au rappeur américain d’alterner “bangers” et morceaux plus calmes et intimes en toute cohérence. La piste d’ouverture Light - assez surprenante pour du Big Sean - met en avant dès les premières secondes de I Decided. ce côté beaucoup plus apaisé et réfléchi de l’artiste qui, sans jamais s’aventurer réellement sur le chemin de la politique, signe des textes perspicaces, encourageants et soignés.


Les chansons les plus personnelles de I Decided. sont peut-être les meilleures. Le morceau le plus mémorable et le plus émotif du disque est de loin Sunday Morning Jetpack, un hymne à la gloire de la mère et de la grand-mère du rappeur (chose qu’il avait déjà fait sur One Man Can Change The World), jouant sur un style faussement gospel - merci à The-Dream - grâce à une production très belle et un texte à coeur ouvert frappant. D’autres chansons dédiées à Myra Anderson et aux racines du rappeur suivent : l’accrocheur Inspire Me et l’ambitieux Bigger Than Me, qui malheureusement n’est pas une réussite totale. D’autres morceaux personnels peuplent l’album comme Owe Me qui revient sur une des relations de Big Sean (probablement celle-ci ou celle-là), ainsi que les plus sombres Halfway Off The Balcony et Voices in My Head / Stick to the Plan.


Ces morceaux “dark” sont d’ailleurs un aspect qui a souvent trop peuplé les albums de Big Sean, mais sur I Decided., le côté lourd et dur de la production vient jouer un rôle important vu que Halfway Off The Balcony revient sur des envies de suicide que le rappeur a éprouvées, concluant qu’il y a des choses beaucoup plus importantes que sa carrière de rappeur. Le double morceau qui suit, Voices in My Head / Stick to the Plan, se réconcilie avec l’idée linéaire de l’album, se relever après une défaite, et propose une première partie très intéressante qui est une sorte de dialogue entre Big Sean et lui-même avant de déboucher sur une seconde partie accrocheuse où le flow du rappeur s’accélère petit à petit ; une bonne façon de montrer une fois de plus quel est son atout principal.


Bien sûr, comme tout album de Big Sean qui se respecte, I Decided. contient ses ratés et ce coup-ci, ce sont les collaborations. Les seuls artistes qui apportent réellement quelque chose sont Jeremih et The-Dream qui apparaissent ici comme des chanteurs de gospel sous autotune. Le reste n’est pas franchement fascinant … Il y a la participation de Jhené Aiko qui vient reformer TWENTY88 sur une interlude qui semble juste être là pour rappeler aux fans que Big Sean a sorti un EP l’année dernier sous un autre nom. Sacrifices n’est là seulement pour que le nom de Migos apparaisse sur le disque, une façon donc de surfer sur le succès du groupe de Lawrenceville avec une production passe-partout et une alchimie inexistante.


Comme je l’ai signalé plus tôt, Bigger Than Me, une collaboration avec Starrah et une chorale de Flint, était une idée ambitieuse, rendant hommage à la ville du Michigan et aux racines de Sean Anderson. Mais le résultat se révèle cacophonique, mélangeant des éléments très différents et qui ne se marient pas ensemble. Autre collaboration pas très glorieuse : le duo avec Eminem sur No Favors, titre qui est à mes yeux très injustement mis en avant sur tous les sites musicaux. Si l’alchimie entre les deux rappeurs de Detroit fonctionne bien, la production répétitive vient bien épauler le fait que - et attention je me prépare à me faire lyncher dans tous les sens - Big Sean est à l’heure actuelle un bien meilleur rappeur qu’Eminem. L’ex-protégé de Kanye West livre un rap soigné, rythmé et accrocheur ainsi que quelques punchlines bien placées (Kids who get sick with lead, others get hit with the lead / From where they need a handout / But they tell you put hands up) là où la légende du hip-hop semble ne plus savoir rapper en rythme (c’est fait exprès me dira-t-on), enchaîne les punchlines ridicules et incohérentes (c’est sa signature me dira-t-on) et surtout ne fait que démontrer que Slim Shady a encore du boulot avant de nous offrir un travail digne de son apogée (son dernier bon album étant Encore ? 2004, donc.) et de retrouver sa forme d’antan. Je ne crache pas pour autant sur ce No Favors qui reste un bon titre et qui pourrait facilement fonctionner en radio, mais vu que je vois beaucoup de gens dire qu’il s’agit du “meilleur titre de l’album” juste par la présence pas très essentielle d’Eminem, je voulais que les choses soit claires : No Favors et un bon morceau pour du Big Sean mais pas pour du Eminem.


I Decided. est bel et bien le meilleur album de Sean Anderson à ce jour, et réellement le premier qui peut-être considéré comme tel. Le rappeur américain livre avant tout des morceaux personnels et écrits avec du recul, qu’ils soient uptempo ou lents. Le principal atout de Big Sean reste le même, son flow féroce et aiguisé, impeccable tout le long de cet album, mais il en révèle d’autres en chemin : une grande maturité, une plume honnête et authentique qui ne cherche pas à être trop intellectuelle ou engagée, et une nouvelle collection de tubes potentiels qui, pour une fois, fonctionnent (quasiment) tous. La chose la plus incroyable de ce I Decided., c’est peut-être justement que le rappeur utilise à peu près la même recette que sur ses précédents opus (des beats accrocheurs calibrés pour faire un carton, des productions sombres, un morceau plus sentimental), mais ce coup-ci le résultat y est. Ce quatrième essai semble donc être le bon ! Enfin !


Key tracks : Sunday Morning Jetpack, Jump Out The Window, Bounce Back, Voices In My Head / Stick To The Plan.

killyourdarlings
8

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Créée

le 15 mai 2017

Critique lue 720 fois

3 j'aime

Keith Morrison

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