Immunity
6.6
Immunity

Album de Clairo (2019)

INTERNET LA DETESTE ! Découvrez comment cette américaine de 21 ans a percé grâce à une astuce simple

Car oui, il fallait bien commencer par un peu de putaclic bon marché. Remarquez, j’aurais pu tout aussi bien utiliser la formule suivante :



Clairo, ou l’indignation stérile des réseaux sociaux



Revenons deux ans en arrière. La jeune Claire Cottrill publie le 4 août 2017 sur Youtube la chanson Pretty Girl, qui la propulsera sur le devant de la scène indie pop (remettant au goût du jour la notion de bedroom pop au passage) et qui cumule à l’heure actuelle plus de 37 millions de vues.
Le succès fulgurant de cette vidéo pousse alors certains à s’interroger : Comment diable une artiste jusqu’ici inconnue a-t-elle bien pu percer ? Et c’est là qu’Internet révèle tout son potentiel destructeur : une chasse à l’homme (ici à la femme) s’organise, c’est à celui qui trouvera la faille en premier. Les suiveurs se chargeront ensuite de s’y engouffrer, pour préparer un argumentaire que le reste de la meute n’aura plus qu’à recracher par centaines de tweets, aussi médiocres que paresseux.


Pour résumer, on reproche deux choses à Clairo :



  • Se présenter en tant qu’artiste DIY alors que son père, passé par les hautes strates de Coca-Cola, Converse et MusiCares, aurait joué un rôle déterminant lors de sa signature chez Fader Label en raison de ses liens avec Jon Cohen, co-créateur du label.

  • Avoir pompé une chanson pour écrire son hit Pretty Girl.


Soyons clair, mon propos n’est pas de discréditer ces deux affirmations, qui me paraissent légitimes. Je déplore simplement le manque de recul systématique lié à ce genre de polémique. Jusqu’à la fin de sa carrière, Clairo restera une profiteuse sans mérite, une industry plant comme on dit, aux yeux de ses opposants et des personnes trop paresseuses pour vérifier leurs dires.


Ce qui est complètement stupide pour plusieurs raisons :



  • Internet semble découvrir le fonctionnement de l’industrie musicale moderne. Depuis de nombreuses années, les labels et maisons de disque ont le pouvoir de fabriquer des stars sortant de nulle part, stratégie d’ailleurs beaucoup plus rentable que celle consistant à attendre qu’un artiste fasse ses preuves. Et ce n’est pas notre époque, avide de buzz et de nouveautés toujours plus éphémères, qui va inverser la tendance.


  • Le talent et le travail n’ont jamais été des garanties de succès dans le monde de la musique. D’innombrables artistes ont réussi parce qu’ils connaissaient la bonne personne et étaient là au bon endroit, au bon moment. Autrement dit, l’histoire de la musique pourrait être réécrite de mille façons en changeant ses acteurs, les vrais décideurs restent les maisons de disques. Alors quand ton père a l’opportunité de donner un coup de pouce grâce à ses relations, ce n’est bien évidemment ni scandaleux, ni anormal d’accepter son aide (coucou les artistes fils de un tel ou un tel).


  • Ce genre d’attaques n’a que faire du contexte global autour de l’artiste visé. Qu’importe que Clairo ait mis en avant l’algorithme Youtube pour justifier le succès de Pretty Girl, qu’importe que cette chanson soit sortie pour une compilation visant à aider le Transgender Law Center, qu’importe que de nombreux procès aient régulièrement lieu pour des histoires de copyright musicaux… Il sera toujours plus facile de se représenter Clairo comme une enfant gâtée sans talent (coucou le biais de confirmation).


  • Le plus gênant enfin pour les passionnés que nous sommes, est que tout ce cirque a tendance à mettre en avant l’artiste au détriment de son art. Sans vouloir rouvrir le sempiternel débat de la séparation de l’art et de l’artiste (coucou Bertrand Cantat et R Kelly), force est d’admettre qu’il serait dommage d’enterrer Clairo avant d’écouter ce qu’elle a à offrir à nos oreilles.



Doit-on y voir du sexisme, comme la principale visée se défend ? Peut-être bien. L’industrie musicale, par sa capacité à façonner les stars selon son bon vouloir, a depuis longtemps enfermé les artistes féminines à succès dans des rôles de diva à la mécanique vocale bien huilée et à la plastique généreuse, si bien que tout ce qui dépasse de ce cadre nous paraît exotique. Et même si les choses commencent doucement à s’homogénéiser, je reste convaincu que le dénigrement des artistes féminines est toujours présent dans l’inconscient collectif, et que Clairo en a probablement fait les frais.


Mais pour l’heure, délaissons les préoccupations éthiques et sociales, et revenons à ce qui compte réellement : la musique.



Totem d’immunité



Pour être honnête, il y a malheureusement beaucoup moins à dire sur Immunity, le premier album de Clairo, que sur le contexte médiatique entourant la jeune américaine.
Co-produit par Rostman Batmanglij, ancien homme à tout faire de Vampire Weekend, le nouveau projet de Clairo gagne indéniablement en professionnalisme et s’éloigne de l’esthétique DIY et résolument lo-fi de Diary 001, son précédent EP. Exit donc la bedroom pop, genre dont elle-même confessait vouloir prendre ses distances. La voix de la chanteuse reste toutefois facilement reconnaissable : frêle, traînante et légèrement tapissée de reverb.


Les morceaux présentent dans l’ensemble des influences plus variées et des structures plus ambitieuses : les instruments prennent plus de place, les cordes et les claviers gagnent en netteté tandis que les percussions s’affirment de plus en plus, comme sur Impossible. De délicates polyphonies et quelques jolis extraits vocaux sont également disséminés çà et là, notamment sur le très beau morceau de clôture I Wouldn’t Ask You. Le changement de rythme arrivant au milieu de la chanson est par ailleurs particulièrement bien senti et constitue un moment fort de cet album.


Et pour le reste ? On reste un peu sur sa faim, car Immunity reste dans l’ensemble un album pop assez générique. Les morceaux se suivent et se ressemblent, malgré les quelques efforts entrepris pour revitaliser l’attention de l’auditeur. Clairo s’essaye par exemple à l’autotune et à la trap sur Closer to You, au R&B sur Sinking, et à quelque chose d’assez bordélique sur Sofia. Mais ces tentatives restent toutefois trop timides pour s’extraire de la nasse dans laquelle la chanteuse nous a plongés, la faute à une voix trop monotone et des atmosphères trop sages et réservées pour proposer de réels moments marquants.


En définitive, Immunity constitue une évolution moyennement convaincante dans le parcours de Clairo. Sans être désagréable car pourvu de bonnes chansons, il se révélera être selon l’humeur tantôt apaisant, tantôt soporifique. Un projet solide mais limité, qui satisfera les fans mais qui devra gagner en caractère au prochain disque pour s’installer durablement dans le paysage musical professionnel.



  • En quelques mots : Tempête de tweets dans un verre de claire eau

  • Coups de cœur : Bags, I Wouldn’t Ask you

  • Coups de mou : Sofia

  • Coups de pute : RAS

  • Note finale : 6-

JLTBB
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le 22 août 2019

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okidawaays

Critique de Immunity par okidawaays

c’est vrai que les musiques se ressemblent toutes beaucoup mais j’aime bien l’univers.

le 28 avr. 2023

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