Il semblerait que ce cher Tony Wakeford ne soit jamais à court d’idées. Après un In The Rain presque parfait et deux albums moins marquants, The Blade (1997) et In Europa (1998), Sol Invictus continue la production discographique au détour d’un In A Garden Green sublime. Comme à chaque nouvel album du Soleil Invaincu, le line-up évolue et se mue cette fois-ci en : Karl Blake à la basse, Matt Howden au violon et à la mandoline, Jane Howden aux chœurs féminins, Eric Roger à la trompette, à la flûte à bec et aux chœurs, Sally Doherty à la flûte et aux chants féminins principaux, et bien sûr Tony Wakeford à la composition, à l’écriture, à la guitare, à la basse et au chant lead. La présence de Sally Doherty, à priori anodine, est en réalité d’une importance primordiale dans le processus d’enregistrement de ce onzième album studio : en plus de son indéniable talent de flûtiste, elle possède une excellente voix. L’élément manquant à Sol Invictus depuis son commencement vient d’être trouvé. Enfin, les chants ne se limiteront plus aux incessantes invectives dépressives et monocordes d’un vieillard fou.

Désormais accompagné d’une once d’innocence féminine dans les lignes de chant, Tony Wakeford voit son esprit s’illuminer et son art s’enluminer. Les dépressions quasi suicidaires d’In The Rain n’ont ici plus lieu d’être. A travers des contes traditionnels (« The Praties Song », « Song Of The Flower ») et des textes médiévaux (« O Rubor Sanguinis » d’Hildegard Von Bingen) mis en musique par Wakeford, une nouvelle histoire y est racontée, celle d’un jardin vert aussi lumineux qu’inquiétant. Celle de l’urgence de la vie, de l’importance de la rentabiliser alors qu’elle a toujours la chance d’être. Les sonorités, plus médiévales et progressives que dans le passé, mettent en scène cette urgence à travers les bourdonnements incessants du violon de Matt Howden. Dès « Europa », il est tapi dans l’ombre, en trame sonore presque inaudible, sournois et perpétuel. Il sera le fil rouge de l’ouvrage, présent pour rappeler à quiconque serait assez stupide pour l’oublier, que tout a une fin, même et surtout lorsque l’on pourrait commencer à croire le contraire. Ainsi, l’aspect divin d’un « Come The Morning » se voit contraint de combattre l’urgence funèbre au détour de refrains homériques : l’opposition entre l’association séraphique du chant alterné de Wakeford et Doherty et le dessein malsain du violon bourdonnant en fond sonore, appuyée par une trompette prête à lancer les hostilités entre bien et mal, donne à « Come The Morning » de sérieuses allures de perfection musicale. D’une manière générale, le format des chansons s’élargit (« Song Of The Flower », 8 minutes ; « In A Garden Green », 9 minutes) et permet aux rythmiques textuelles établies par le lyriciste de prendre un certain relief : l’élongation des compositions apporte un surplus de crédibilité aux plus rares interventions chantées. Le rendu instrumental riche et varié et l’élargissement de la durée des compositions permettent un parallèle judicieux avec le rock progressif, et plus précisément sa branche folk. Les mélomanes avisés feront le rapprochement entre un In A Garden Green et un First Utterance de Comus (particulièrement sur « Song Of The Flower »). Par ailleurs, Cette affiliation sera d’autant plus exacte et flagrante sur The Hill Of Crosses, paru l’année suivante.

In A Garden Green contient les plus belles compositions orchestrales de Sol Invictus. Les instruments, savamment contrôlés par Wakeford, ne se contentent pas d’une simple interprétation des partitions prévues par ce dernier : elles les transcendent, et parfois même se permettent des écarts de folie. Il y a toujours un maître à bord, mais les matelots ont pris du galon et les initiatives ont suivi. A ce titre, ce onzième album de Sol Invictus peut être considéré comme la première concrétisation artistique d’un groupe, uni derrière son leader certes, mais apte et capable aussi bien d’indépendance que d’esprit d’équipe. In A Garden Green dépasse toutes les espérances vouées non seulement à Sol Invictus, mais au dark-folk en général. Qui aurait pu croire le progressif aussi subversif à l’aube du troisième millénaire ?
BenoitBayl
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le 5 déc. 2013

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