Caché comme je suis actuellement derrière mon ordinateur, je ne vous cache pas que je me sens plutôt protégé. Mon identité masquée par un pseudonyme, je me sens bien plus libre de livrer des choses que je ne ferais sûrement pas en dehors du monde virtuel.


Alors j'en profite et je rédige discrètement une critique sur "It's Forever, Kids", en espérant que personne que je connais dans le monde réel ne tombe dessus. Ce serait mortifiant pour moi si l'on découvrait l'affection que je porte pour un tel disque. Mais les faits sont là : je n'arrive pas à me défaire d'un tel fardeau, il faut que je trouve un moyen de l'exorciser quelque part, tout comme on libère sa colère lorsqu'on est enfin seul dans sa voiture.


"It's Forever, Kids" est donc sorti en 2010. Il représente la première incursion du duo Futurecop! dans la production studio. Auparavant, les deux mancuniens d'origine s'exerçaient à recréer dans leur chambre l'univers bleu-rose électronique caractéristique de la mouvance qui sera parfois dénommée "synthwave". C'est à dire une résurgence de la synthpop à partir de la fin des années 2000.
Cette mouvance, notamment illustrée par l'œuvre de Kavinsky ou de Carpenter Brut, se complaît dans une nostalgie rétrofuturiste à grand renfort de synthétiseurs.


La synthwave prendra son essor médiatique notamment grâce au film Drive en 2011, bien qu'elle lui soit largement antérieure par les œuvres d'Anoraak ou encore College. Futurecop!, présent dès 2009, peut donc être classé parmi les précurseurs du genre. L'album résulte d'une commande de Media Factory, label japonais particulièrement prolifique dans le domaine de l'animation (expliquant ainsi l'hideuse pochette du disque).
Malgré son caractère plutôt "ancien" dans le domaine, "It's Forever, Kids" ne rentre pas à mon goût dans la catégorie des "premiers essais maladroits", des premiers tâtonnements peu assurés. Il est même étonnamment bien construit en regard du reste de la discographie de Futurecop!


Pourquoi ai-je autant de mal à assumer mon affection pour ce groupe, me direz-vous ? Personne n'a à avoir honte de ce qu'il aime. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas, en théorie du moins.
Ou alors il s'agit peut-être d'autre chose. Peut-être que la musique de Futurecop!, de par les affects qu'elle me suggère, m'ouvre à une partie de moi-même que je ne souhaite pas forcément étaler au grand jour. Que j'espère ne pas étaler au grand jour, car parfois des traits de notre personnalité, que nous pensons dissimuler avec brio, sont en vérité extrêmement visibles de par l'intensité de l'effort qui est fait pour les dissimuler.


En l'occurrence, ce qui me plait premièrement dans ce disque est exactement ce qui pourrait instantanément disqualifier à d'autres oreilles la musique de Futurecop : cette nostalgie adolescente, naïve et grossière dans ses traits.
La première piste donne immédiatement le ton : rythme soutenu, claviers entremêlées, voix féminines chatoyantes. Cet album se démarque du reste de la discographie du groupe par l'omniprésence des voix (féminines, bien sûr).


Et cela ne variera quasiment pas au cours de l'album. J'apprécie chez Futurecop ce besoin viscéral de nostalgie, si violent qu'il les pousse à désespérément recréer par la musique une époque qui n'a en vérité jamais existé en tant que telle. Je suis toujours sidéré de voir la capacité des êtres humains à déplacer des montagnes, à produire de l'art, par la force d'un affect. Futurecop se complaît dans un fantasme adolescent éternel. Celui d'un monde romantique car excessif dans ses sentiments, où chaque émotion est décuplée même si on on ne voit pas trop pourquoi.
A ces élans mélancoliques, la figure de la femme revient sans cesse comme étant la seule pouvant sauver le héros de son mal-être. C'est stéréotypé, cela parle à tout le monde et à personne à la fois. Mais Futurecop! y amène une sincérité débordante, un manque de retenue jovial et rafraîchissant.


Street Hawk I est une délectation de nostalgie spatiale, celle qui saisit celui qui ne peut s'empêcher de trouver que le monde des pensées est toujours plus intéressant que la réalité. Far Away fait rêver de disputes entre amis, celles dont l'intensité du combat ne fait que mieux ressortir l'intensité du lien entre les parties concernées.


Je pense que la synthwave peut par certains aspects se présenter comme étant le digne successeur des orfèvres de la synthpop d'il y a quelque décennies . Alors c'est sûr, on est loin d'Orchestral Manœuvres in the Dark ou de Prefab Sprout. Mais j'y vois une parenté dans l'expression des affects, ainsi que dans l'amour de ce qui a été plutôt de ce qui pourrait être.


C'est pour moi une qualité remarquable que d'utiliser ce qui nous affecte au plus profond de nous-mêmes, pour en produire ensuite une œuvre qui sera confrontée au regard des autres. C'est même une sacrée preuve de courage quand on y pense : aller sur le devant de la scène pour partager ce qui nous touche au plus intime de nous-mêmes. Rien que pour cela Futurecop mérite tout mon respect.


Street Hawk I : https://www.youtube.com/watch?v=WqvulM7ZQUA


Far Away : https://www.youtube.com/watch?v=BfXTk0o9X-w

Mellow-Yellow
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le 11 oct. 2018

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