Late Registration
7.6
Late Registration

Album de Kanye West (2005)

Kanye West délaisse la légèreté de son premier album pour adopter une sorte d’emphase orchestrale, abandonnant les samples de soul accélérés pour leur préférer des extraits aux accents presque hollywoodiens (« Diamonds Of Sierra Leone » est même basée sur l’hymne bondien « Diamonds Are Forever ») ou au tempo plus lent. Le résultat semble donc beaucoup plus soigné, mais en même temps moins frais et spontané. Il y a pourtant de quoi se réjouir dès les premières notes de piano de « Heard ‘Em Say », titre introductif qui dévoile immédiatement le ton plus posé de ce second opus. Les morceaux énergiques ne sont cela dit pas en reste comme le montrent dès la suite « Touch The Sky » puis « Gold Digger » qui, avec ses incantations soul, produit le même effet que « Jesus Walks » sur The College Dropout. « Drive Slow » vient tempérer ce surcroît d’excitation avec une ambiance plus calme bienvenue. Vient ensuite un léger ventre mou, constitué de bonnes chansons mais qui ne rivalisent ni avec les premiers morceaux ni avec les derniers. Car en effet, si Kanye West a un peu perdu en fraîcheur, son talent de « monteur » est toujours aussi aiguisé, et cela se remarque particulièrement à partir d’« Addiction » et sa subtile douceur.


Une fois passée la soul menaçante de « Bring Me Down », les excellentes chansons se succèdent en effet jusqu’à la fin, intervenant les unes à la suite des autres avec une justesse remarquable, les interludes humoristiques trouvant même leur place au sein de ce magistral télescopage. « Diamonds Of Sierra Leone (Remix) » assassine donc la douceur d’« Addiction » en explosant dans un mélange de grâce et d’agressivité, puis « We Major » débarque comme une longue progression exubérante et emphatique. Viennent ensuite la bouleversante « Hey Mama », le « Family Business » de cet album, puis « Celebration », morceau positif dans la lignée de « Touch The Sky », et enfin le gigantesque « Gone », peut-être le titre le plus excitant, laissant même sonné. L’album aurait pu s’arrêter là mais « Diamonds Of Sierra Leone » et « Late » le complètent sans ajouter de superflu.


Kanye West s’érige définitivement avec Late Registration comme un artiste sur lequel il faut compter, remarquable par le soin qu’il apporte à la production et à la maîtrise sonore. Il sait bien sûr s’entourer de gens talentueux, ici notamment le compositeur Jon Brion, et on peut s’interroger sur la façon qu’il a de se reposer autant sur ses samples, mais l’utilisation de ceux-ci est généralement ingénieuse. « My Way Home » n’apporte pas grand-chose à « Home Is Where The Hatred Is » de Gil Scott-Heron tandis que « Touch The Sky » dépend énormément de « Move On Up » de Curtis Mayfield sans atteindre son brio, mais ce sont les rares exemples d’échantillonnages un peu paresseux – qui n’empêchent d’ailleurs pas la réussite des chansons. Ainsi, la façon dont West se sert de l’introduction de « Wildflower » de Hank Crawford pour construire « Drive Slow », une chanson au tempo complètement différent, ou de celle de « Today Won’t Come Again » de Donal Leace, hymne positif aux accents hippies, pour créer la minimaliste « Hey Mama » montre la sensibilité de l’artiste, considérant les enregistrements d’autrui comme des mosaïques, sommes de motifs qu’il va s’appliquer à décomposer afin d’extraire ceux qui l’intéresseront pour composer ses propres œuvres. La qualité de « Gone », par exemple, découle directement de la voix bouleversante d’Otis Redding : sans elle, il ne resterait pas grand-chose de la chanson ; et pourtant, « Gone » et « It’s Too Late », le titre samplé, ont assez peu en commun, et je vais jusqu’à considérer le morceau de Kanye West comme supérieur, alors même qu’il doit tout au vieux chanteur de soul. On peut penser que c’est un rabaissement d’utiliser les œuvres antérieures d’autres artistes comme de simple instruments, mais tant que la créativité demeure, on peut aussi admettre que c’est une preuve que ces hommes et femmes forment une sorte de patrimoine global dont la postérité continue d’être perpétuée. Et finalement, quel que soit l’ampleur des emprunts à autrui, Late Registration sonne toujours très personnel et, surtout, parfaitement satisfaisant.

Skipper-Mike
10
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le 7 oct. 2017

Critique lue 503 fois

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Skipper Mike

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