Lateralus
8
Lateralus

Album de Tool (2001)

Critiquer un album de Tool ce n'est jamais une tâche aisée. Parce que Tool c'est réputé pour être un des groupes les plus difficile d'accès, dont le succès insolent défie toute les lois du marketing. Parce que la musique de Tool est tellement complexe que personne sur cette planète ne peut prétendre la connaître dans les moindres recoins. Parce que même après des dizaines d'écoute on découvre de nouvelles surprises dans un album que l'on pensait connaître par coeur.


Je vais être franc : la première fois que j'ai écouté Lateralus (et Tool par la même occasion), j'ai eu mal. 78 minutes venaient de passer, et je n'avais rien compris à ce qu'il venait de m'arriver. J'avais la sensation d'avoir écouter un enchevêtrement totalement déconstruit tantôt chiant, tantôt bruyant. Mais quelque chose m'a poussé à le réécouter. Encore. Encore. Et encore.


Et ce jusqu'à ce que je me rende compte que cet album m'avait marqué à vie, que mon premier jugement était une connerie monumentale.


Le ton est donné dès les premières minutes avec The Grudge : le morceau alterne avec une aisance déconcertante les rythmiques farfelue qui semblent pourtant si naturelle, les moments de calme trouble, brisés soudainement par des élans de rage intense. Chaque musicien est au top : Meynard a une voix plus versatile que jamais, Jones et Chancellor se complètent à merveille pour sortir des riffs psychédéliques, puissant et complexes, et Carey atteint des sommets créatifs. Une savoureuse et généreuse mise-en-bouche qui nous prépare à la suite de l'album en somme.


La petite interlude Eon Blue Apocalypse consiste en un riff de guitare léger, mais en quelque sorte oppressant, qui prépare au deuxième véritable morceau de l'album. Le ton de l'album ne s'allège pas, bien au contraire, il augmente d'un cran sur l'échelle de l'étrange, afin de livrer un morceau dérangeant : The Patient, devant lequel il est difficile de se sentir tranquille, comme si il venait de l'esprit d'un malade sombrant toujours plus profondément dans la folie.


L'album marque immédiatement une rupture avec ce moment de silence qu'est Mantra, dans lequel subsiste le bruit d'une brise, et dévoile le cultissime Schism. Si The Patient avait de quoi donner des sueurs froides, le ton est ici plus rassurant, plus chaud, avec une intro lente d'accord de guitare et de basse. S'ensuit la légendaire ligne de basse sur laquelle se base le morceau, qui est un monument de complexité rythmique, mais qui fait surtout rentré l'auditeur en transe, qui se fait plus rageuse par moment, mais sans jamais brisé son atmosphère rassurante, comme une mère berçant son enfant, qui monte en puissance, et s'achève brusquement.


L'album repart ensuite calmement sur Parabol, lente introduction qui explose au moment où son grand-frère, Parabola, commence, avec une efficacité redoutable et enivrante . C'est ici le morceau le plus accessible de l'album, mais qui n'en perd pas moins ce génie millimétré qui fait la spécialité de Tool.


Ticks and Leeches nous vient comme un poing direct dans la gueule, du genre qui prend en traître, qu'on a à peine le temps de voir venir, et que l'on sent pourtant bien passer. C'est un morceau très violent à l'échelle de l'album, où même les temps morts nous arrachent les tripes, comme Keenan qui semble d'ailleurs nous les cracher à la gueule tout le long du morceau tant sa performance vocale suinte une espèce de haine et de violence, dans ce défouloir de 8 minutes.


Et c'est après ce moment à se faire musicalement péter la gueule que nous arrive l'éponyme, et un véritable monument de l'album, qui synthétise un peu tout ce qu'il est : complexe, étrange, poignant, fascinant, mystérieux. Un morceau d'une complexité rarement égalée, du fait de sa construction particulière, prétendument autour de la suite de Fibonacci, et qui pourtant semble si naturelle. Un équilibre parfait, une pièce maîtresse du groupe.


La doublette Disposition/Reflexion vient pour nous annoncer lentement, mais sûrement, le début de la fin, par un enchevêtrement de boucles hypnotiques nous plongeant plus profondément dans l'atmosphère pesante de l'album, comme si il voulait nous garder en son sein, pour ne jamais revoir la surface. L'introspection est ici à son apogée, l'auditeur est mis dans un état second.


Jusqu'à se faire réveiller par une dernière boucle qui constitue Triad, au ton plus sombre, mais aussi plus menaçant, où Adams laisse s'exprimer son jeu de guitare dissonant et chamanique afin de conclure l'album. Vraiment ? Pas vraiment. A ce stade, il reste 4 ou 5 minutes sur la galette, et pourtant un silence de mort règne ...


Et c'est après deux minutes que l'auditeur entends un grésillement, puis un mystérieux appel d'un prétendu employé de la zone 51 se lamentant, nous mettant en garde contre une menace, comme si notre CD avait été en quelque sorte "hacké". Cet appel au secours sinistre, c'est Faaip de Oiad, qui conclut vraiment l'album, sur un ton on ne peut plus inquiétant. Puis le disque se rembobine, et la boucle recommence.


Lateralus, c'est un album impossible à comprendre dès la première écoute, ni même à la deuxième, et à la troisième non plus à vrai dire. C'est un album qu'il est impossible d'aimer en un coup. Et pourtant, c'est un indispensable, un monument de la musique au sens large du terme, un album sans réel équivalent. Parce que Lateralus, ça fait partie de ces albums qui vont bien plus loin que nous marquer : il nous change, nous font revoir notre conception de la musique. Et ça, aucun autre album ne me l'a fait.

Legeno
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le 14 mai 2017

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