Big Brother is watching you

Directement inspiré de l'incontournable roman d'anticipation signé Georges Orwell, le groupe 1984 nous entraîne dans les abysses de l'humanité avec un album sans concession pour une critique acerbe du système, assez éloigné du discours contestataire de Keny Arkana, qui plaît tant à ces putains d'hippies qui ne se lavent les cheveux que trop peu souvent.

Sans appel naïf à la révolution, Hostile et DJ Monark établissent un triste constat d'un monde perdu d'avance : le notre. Monde dans lequel ils proposent une prise de conscience collective, une réaction politique de la part de chacun, afin de sortir de la moutonnerie car changer le monde commence bien évidemment par se changer soi-même.

La fin de notre ère, ne sera pas celle de la Terre.

A l'instar des premières notes oppressantes, Le Théâtre Des Pantins demeure dans une ambiance très sombre, presque glauque où le beatmaker y mêle divinement ses sonorités hip-hop old-school.

Tout en partageant les influences du rappeur VII qui collabore avec le groupe, 1984 parvient à s'en détacher grâce à l'écriture d'Hostile, démolissant durant 50 minutes notre société aliénante et calquée sur le modèle de celle dépeinte dans le roman de Georges Orwell.
Mais plus encore, c'est l'intelligence et la qualité de l'écriture qu'est véritablement la force de l'album.

Big Brother nous regarde, et est présent dans chacune des chansons, sous différentes formes selon la piste, que ce soit celle de Claude Guéant dans La fenêtre des somnambules, Hitler dans Le bruit des bottes, ou n'importe quel haut placé s'assurant à préserver cette inégale forme des classes. 1984 est un véritable groupe d'anticipation social qui propose pas moins de 16 morceaux tous plus intéressants les uns que les autres, toujours empreints d'un pessimisme effrayant tant il demeure ancré dans notre réalité.

Rendant hommage à ses modèles dystopiques anglais avec Le Meilleur des Mondes, Fahrenheit 451, et 4 Août, 1984 prend le parti pris extrême de se les accaparer pour creuser son univers. Loin d'être réducteur, ces passages permettent au groupe de proposer leur vision sur ces mythes littéraires, en se focalisant parfois sur des détails. Prendre un matériau de base, se l'approprier pour le moderniser sans dénaturer l'original, voilà un défi que peu relèvent et encore moins réussissent.

Seulement 1984 fait parti de ce petit pourcentage d'artistes si underground qu'ils peuvent produire ce qu'ils veulent et de la manière dont ils veulent. Une liberté artistique totale qui se traduit aussi bien par ces morceaux, condensés d'un univers, que par les 13 autres bijoux qui composent le reste de l'album.

Si les textes et cette ambiance permettent de glisser cet album dans les meilleurs albums de rap conscient, on pourrait s'attendre à une certaine lourdeur dû aux multiples réflexions proposées. On pourrait être rapidement gavé par ces propos sociaux qui demandent un certain recul et une écoute attentive. Le flow brut appuyant encore plus le propos, la musique angoissante au rythme old-school crée un décalage extrêmement appréciable, mais là où 1984 a l'idée de génie, c'est à propos des refrains. En effet au lieu d'insister comme des fanatiques, ils proposent sur la majorité des morceaux des refrains en anglais qui apportent légèreté, tout en maintenant le rythme qui leur est propre.

Cet album, je l'aime, presque autant qu'Icarus. D'ailleurs ils sont tous deux tellement mortels, que même les dauphins rêvent de nager avec eux.