Le rap technique n'est pas mort, mais il a évolué

En 2020, nous pouvons différencier grossièrement les rappeurs francophones en trois catégories bien distinctes :
Les rappeurs arrivant à surfer sur les tendances du moment en appliquant une recette efficace. Elle regroupe la plupart des artistes qui cartonnent en ce moment : Ninho, Booba, Maes, etc… Cette catégorie représente l’immense majorité des rappeurs actuels. Dans un second temps, on peut retrouver les artistes avec un univers musical bien à eux, ceux qui vont se démarquer avec des types de productions que l’on retrouve uniquement dans leur musique. Cette catégorie est déjà beaucoup moins représentée dans le paysage francophone. On pourra citer des artistes comme PNL, Laylow ou encore Kekra.
Enfin, il existe une troisième catégorie de rappeurs qui résistent encore et toujours à l’envahisseur. Ceux qui vont se démarquer grâce à l’essence même du rap : une plume et un flow hors-pair. Et c’est dans cette catégorie que l’on va retrouver Infinit’.

Ma vie est un film II est une nouvelle preuve que le rappeur niçois est l’une des références en terme de technique dans ce pays. Pourtant, Infinit’ s’est évertué à faire évoluer sa recette grâce à laquelle il s’est fait une réputation de kickeur depuis le début de sa carrière et son premier projet, Ma vie est un film, sorti en 2013. En effet, il nous avait habitué tout au long de ses quatre projets sortis depuis à rapper sur des instrus plutôt trap et agressives mais également un peu ensoleillé dans certains sons.

Pourtant le 7 octobre 2019, Infinit sort le son Programme. Les quelques notes planantes et mélancoliques annoncent un changement de couleur musicale chez le niçois. Pourtant les premiers mots du rappeur nous rassurent, Infinit’ n’a aucunement perdu de sa verve : “J'viens d'là où les hommes assument quand ça douille, y'a qu'les putes qu'ont peur. Et je suis sûr d'avoir une paire de couilles, par contre, j'ai jamais vu mon cœur”. Et les derniers mots de son dernier couplet résonnent particulièrement bien en cette période de confinement : “Tous les jours, j'fume du shit, j'fais des pompes, j'mange des pâtes comme si j'étais au hebs”

Suite au magnifique Programme (sans doute mon morceau préféré de l’année précédente), D’en bas est un son plus classique pour Infinit’ : une instru chill et une palanquée de punchlines et de références à ses passions comme le rap, le cinéma ou les fringues : “J'arrive classique comme une paire de Cortez, une veste North Face, une scène de Scorsese ou un texte de Ghostface”

Enfin la semaine dernière, il sort avec son pote Alpha Wann (et accessoirement le rappeur le plus technique de France à l’heure actuelle), le morceau Cigarette 2 Haine. Un véritable banger où il faut de nombreuses écoutes pour saisir toutes les punchlines du morceau. La prod signée JayJay et LamaOnTheBeat est tout simplement découpée en petits morceaux par les deux samouraïs avec un charisme et une attitude déroutante. En exagérant à peine, Cigarette 2 Haine contient plus de punchlines marquantes en un son que 95 % des albums de rap français en entier. En voici deux particulièrement remarquables selon moi : “Cette conne n'a rien dans la tête sauf quand j'la baise par la bouche” ou “Grosse connexion, haut gradé, Vince Carter et Tracy McGrady MVP dans le All-Star Game, je sors le grand jeu comme Rockstar Games”

Ces trois morceaux sont un bon avant goût de ce qu’a voulu faire Infinit’ pour Ma vie est un film 2 puisqu’on y retrouve trois types de couleur musicale selon moi :

Programme nous a montré qu’Infinit’ était tout à fait capable de rapper sur des morceaux planants/mélancoliques. On peut ranger dans cette catégorie : Programme, Médecine avec Deen Burbigo, On sconnait pas avec Gros Mo, Pensées avec la chanteuse Yeshee, UMLA Tour avec Alpha Wann et KSA et Infiniment. La prise de risques est même totale sur On sconnait pas et Pensées puisque le rappeur du 06 amène même une vibe r’n’b. Si c’est réussi sur le deuxième cité, le premier est pour moi le seul morceau raté de l’album.

La deuxième catégorie représentée par D’en bas regroupe les ambiances plus ensoleillées avec des sons que l’on pourrait écouter dans une voiture avec les vitres ouvertes entre Antibes et Nice. On y retrouve : D’en bas, Interlude 06 et Redbull. Ces trois sons nous donnent vraiment l’impression qu’Infinit’ rappe sans forcer et qu’il est au sommet de son art. Malgré l’ambiance ensoleillée, il nous livre encore une ribambelle de punchlines à la fois marquantes et amusantes : “La bouteille à ma table fait la taille d’un enfant de quatre ans” ou “Elle est végétarienne mais c'qu'elle m'fait c'est du cannibalisme”

Enfin, la troisième catégorie regroupe les morceaux beaucoup plus agressifs avec des rythmiques plus trap : J’y vais avec ses gars de Nice Barry et Veust, 1.5, Télescope, Cigarette 2 Haine et L’Exercice. Sur Télescope, le “zin” adopte une voix complètement différente, ce qui appuie un peu plus encore sa volonté de tenter de nouvelles choses sur Ma vie est un film 2.

Le cinquième projet du rappeur de Nice devrait plaire aux supporters de la première heure d’Infinit’. On retrouve tous les éléments de ce qui fait sa popularité au sein des fans de rap technique et tranchant. Il a ajouté à cela une ouverture musicale certaine avec des sons plus aériens voir mélancoliques. Pour les amoureux de punchlines et de bonnes formules, ce rappeur est fait pour vous.