Meditations
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Meditations

Album de John Coltrane (1966)

Il y a, dans nos parcours, des rencontres qui viennent changer à jamais notre rapport à la culture. Des artistes, des œuvres tellement puissants qu'ils nous font reconsidérer tout ce que nous connaissions jusqu'alors. Qui viennent bouleverser nos certitudes. John Coltrane fait parti de ceux-là pour moi. Oh, cela a été un peu laborieux au début. Quand je me suis mis à écouter du jazz, j'ai tout d'abord eu du mal avec les sonorités dissonantes et les rythmiques déconstruites du saxophoniste. Mais pourtant, avec le temps.

Si les premiers albums de Coltrane sont relativement faciles à appréhender (je pense à Blue Train, Giant Steps, ses collaborations avec le non moins légendaire Miles Davis...), les albums suivant la parution de A Love Supreme sont plus retors pour l'oreille. Entre ces albums, séparés d'une poignée d'année seulement, il y a eu des dizaines de répétitions. Des entraînements tous les jours, pendant des heures, où John Coltrane a pu peaufiner son style. Expérimenter. Son rapport avec son saxophone est de nature quasi mystique.

D'ailleurs, la religion et la spiritualité sont la clé de l'œuvre de John Coltrane. Tout jeune, il baigne dans un environnement chrétien, son père étant un révérend de l'Église méthodiste, une branche du protestantisme. C'est d'ailleurs par cette voie là qu'il découvrira jeune, la clarinette. C'est la religion qui l'aide à sortir de sa dépendance à l'héroïne et l'alcool. En 1955, en épousant Juanita Naima Grubbs (à qui il dédiera une de ses compositions), il s'intéresse à l'Islam. Onze ans plus tard, en 1966, il épouse Alice McLeod, une pianiste de free jazz avec qui ils partagent une nouvelle passion pour la philosophie indienne, la source de l'hindouisme, du bouddhisme...

Toutes ces influences spirituelles, ils les canalisent dans sa musique, dans son jeu. Et cette foi aveugle qu'il place dans ses nombreuses répétitions, dans ses méditations, le libère. A Love Supreme, Ascension, ses enregistrements et ses compositions se tintent peu à peu de cette spiritualité exacerbée. Et puis Meditations, en 1966.

Cet album n'est pas un des plus importants de sa discographie. Il ne me semble pas avoir apporté quelque chose de vraiment nouveau à la musique de Trane. Mais il est sorti en 1966, l'année où il a épousé Alice McLeod, devenue alors Alice Coltrane. Et il faut bien dire que la fureur spirituelle du saxophoniste est comme adoucie.

Father, Son, Holy Ghost plonge directement l'auditeur dans une transe fiévreuse et stridente. Elvin Jones, habitué du quartet de Coltrane partage ici sa partition avec Rashied Ali, un autre batteur de free jazz, pour un résultat explosif. Les rythmes se mêlent et s'entrechoquent de manière somptueuse, sous les barrissements du saxophone de Pharoah Sanders, un autre très grand saxophoniste qui a énormément appris de Coltrane, avec qui il mélange ici les nœuds mélodieux. Fascinant tumulte, enchaîné sans transition avec Compassion. Déjà, le sextet est apaisé. Le rythme se calme alors que Coltrane entonne une douce mélodie, rapidement suivi par un solo du fantastique pianiste McCoy Tyner.

La transe diminue en intensité au fur et à mesure que les musiciens adoptent une posture plus méditative, entamée dès la fin de Compassion avec un solo de basse du fantastique Elvin Jones. Puis Love. Le morceau central de l'album, tout en douceur, d'une simplicité effarante après le tumulte des chansons précédentes. L'ambiance devient plus intime, voire langoureuse quand Coltrane vient exprimer son amour avec instrument. Quelques notes aériennes, sincères et intimes. Le groupe se remet en branle et resserre son étreinte amoureuse un peu plus encore. Jusqu'à ce que Consequences vienne sonner le glas, avec sa dégénérescence rythmique, ses sons étranglés, son empressement, sa colère. Toutefois, le calme reprend vite ses droits dans la fin du morceau, jusqu'à finalement atteindre une forme de sérénité parfaite. Serenity, en un mot.

Ce qui me touche le plus dans la musique free de John Coltrane, c'est que loin de n'être qu'un amas de colère, de fureur désincarnée ou de frustration, c'est d'abord de la tendresse. De l'amour sourd et diffus. C'est une recherche de spiritualité à travers l'expression musicale. Le bruit plonge l'auditeur dans un état de stase, le silence lui ouvre les yeux. La musique de Coltrane, c'est un équilibre fragile, que beaucoup ont tant de mal à trouver. C'est une promesse qu'on se bat pour tenir. C'est l'amour. C'est la vie.
khms
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le 5 févr. 2015

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khms

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