Philip K. Dick caractérisait la science-fiction comme une dislocation du monde, l'auteur transformant le monde en ce qu'il n'est pas ou pas encore. Dans la lignée de Replica et préfigurant Garden of Delete, R Plus Seven joue avec la musique et ses codes pour recréer le choc convulsif cher au plus grand auteur de SF de tous les temps.


Une analyse point par point du disque serait peu intéressante, aussi je préfère me limiter à quelques éléments pour illustrer mon propos.


Chez Oneohtrix Point Never il y a d'abord l'emploi de champs lexicaux caractéristiques. Le premier est bien connu, il s'agit des nappes de synthétiseurs auxquelles l'IDM entre 1990 et aujourd'hui fait un recours massif. Mais à l'image de la transition entre Along et Problem Areas la synthèse de bon goût vient se heurter à des sons issus non plus du répertoire de la musique électronique analogique mais de la musique numérique. Synthétiques, grotesques, terriblement typés. Deux façons de parler du passé et de la nostalgie. Le rapport au souvenir, un premier thème cher à Philip K. Dick que le disque explore continuellement, comme quand il fait piailler des enfants sur l'introduction d'Americans ou qu'il se fait mélancolique sur Inside World ou Still Life.


En cherchant des sentiments dickiens, on en trouve. Qu'est-ce qui différencie un humain d'un robot, et au final les robots peuvent-ils éprouver des sentiments? Une piste comme Still Life jette le doute sur cette question, avec ses voix mélodieuses qui se font tour à tour humaines ou robotiques. R Plus Seven donne parfois l'impression d'avoir affaire à une intelligence artificielle sous acides qui essaie de communiquer. Tout comme Americans et ses balbutiements.


Qu'est-ce que la musique et pouvons-nous faire confiance à nos sentiments? En jouant sur les codes de l'harmonie et des sons OPN pose toujours plus de questions. Dans un autre monde une nappe de synthé vaut-elle un "pouët" synthétique? Un choeur, est-ce la même chose qu'une voix artificielle? 5 secondes de son peuvent-elles contenir plus de bruit que les 3 minutes les précédant? N'y a t'il pas plus de rythme sans percussions? R Plus Seven joue à fond de la distanciation avec l'univers musical habituel.


La dernière caractéristique de cet album est la présence du sacré en arrière-plan. L'introduction Boring Angel se termine par de l'orgue, tout comme c'est une minute d'orgue qui vient conclure l'album sur Chrome County. C'est néanmoins ici un rapport au divin très dickien tant on doute de l'existence d'un vrai dieu, qui pourrait tout à fait être une intelligence extraterrestre ou une machine.


Rapports aux souvenirs, à l'humanité, au support-même et au message, R Plus Seven joue avec les codes de la SF et les transpose à la musique, en faisant une oeuvre passionnante d'un des artistes les plus prolifiques des dernières années.

Crocodile
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le 13 oct. 2016

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