Relapse
6.5
Relapse

Album de Eminem (2009)

Qui ne comprends strictement rien à l'anglais ne pourra percevoir de Relapse que la moitié de sa substance. Par chance, les prods sont énormes tout du long, quelqu'un d'uniquement francophone sera tout de même fracassé par les différents flows et l'énergie de l'ensemble, mais ce qui fait de cette oeuvre l'objet magistral et maudit qu'il est, c'est avant tout des chef d'oeuvre lyricaux et des structures de rime insensées, alliés a cette perfection dans la technique musicale. Relapse est l'album le plus littéraire d'Eminem. On atteindra des sommets dans le storytelling que j'ai peu trouvé ailleurs dans le rap, en tout cas jamais comme ça.


Et puis il y a cette étrange condition ironiquement "idéale" pour écouter cet album. Quand on parle anglais bon ok certes, mais surtout, quand souffre ou a souffert d'une addiction maladive, folle, propice à tout les extrêmes et surtout aux pires, quand on est ou a été constamment tiraillé par des pensées qui relèvent de la psychopathie ou de la délusion pure, l'ensemble toujours distordu, amplifié, assourdi par les différentes substances contradictoires qu'on ingurgite à longueur de journée et de nuits, atteignant des sommets de délire et de paranoia, dans ce cas très précis ou on a touché le fond, ou la drogue touche la malédiction autant que le "plaisir", alors Relapse prends tout son sens : celui du seul album ou presque qui parle complètement ton langage, qui s'explore avec les mêmes instruments de torture/plaisir que t'utilises sur toi même pour te disséquer jour après jour, dans le long rêve éveillé que procure une polytoxycomanie assidue, et principalement l'emploi détourné de molécules hypnotiques tels que le Zolpidem, qu'on trouve sous divers noms, le plus commun étant l'américain Ambien, les opiacés, les benzos... Entre l'époque ou Eminem enregistra Encore et celle ou il était en plein enregistrement de Relapse, Marshall Mathers consomma de son propre aveu entre 40 et 60 zolpidem par jour, associé a du valium et des opiacés (vicodin). La dose thérapeutique normale est d'un comprimé par jour et par personne, et déjà considéré comme psychoactivement forte.


La drogue et ce qu'elle fait faire quand on n'a plus de contrôle sur soi même est au centre de l'album. Les titres traitent de sujets variés, mais dans près de l'ensemble d'entre eux, une molécule sera mentionnée, Shady/Marshall s'enverra une ou plusieur pilules, et les événements qui s'ensuivent y seront invariablement liés. La description de ces événements deviens donc celle d'un état modifié de conscience, au rendu d'une fidélité inouie. Tout au long de l'album, je revis des flashs, des situations, des similitudes.


Nul besoin pour cela d'être un serial killer ou un violeur en série bien entendu. L'idée de l'évocation répétée des comportements extrêmes et de la psychopathie qui définis cet album n'est qu'un reflet supplémentaire, un composant de plus relatif à l'esprit détaché et flottant que donnent les hypnotiques, avec lesquels on a tendance parfois à se sentir tellement loin que plus rien ne semble impossible à faire ou improbable à priori, que la morale se dissout complètement dans la dissolution de l'être, on est plus porté que par des sensations, et donc la porte est ouverte à toute les fenêtres.


Prenons ne serait ce que l'ouverture. On découvre d'abord avec plaisir (cela assurera la cohérence musicale de l'album) que Dr. Dre est revenu pour de bon aux commandes de la production. 3 A.M, ce premier morceau (et première fantaisie de serial killer) commence après un skit d'anthologie qui pointe presque sans caricature le défaut principal de l'industrie du rehab aux USA.
Au cours de son délire, on comprends que Shady est perdu niveau souvenirs, relativement amnésique même, et on sourit jaune. Le zolpidem, même à dose thérapeutiques, est un amnésique monstrueux niveau passé immédiat/proche. On oublie littéralement constamment ses pensées, ce qu'on est venu foutre là, le trajet qu'on viens de faire, tout.


You're walking down a horror corridor
It's almost four in the morning and you're in a
Nightmare, it's horrible, right there's the coroner
Waiting for you to turn the corner so he can corner ya
You're a goner, he's onto ya
Out the corner of his cornea, he just saw you run
All you want is to rest 'cause you can't run anymore, you're done
All he wants is to kill you in front of an audience


L'élément de paranoia est présent et arrive en premier, c'est bon jusque là on est pas trop perdu. Puis on va préciser le début de la spirale de défonce qui s'accentuera par la suite


Here I sit, while I'm caught up in deep thought again
Contemplating my next plot again
Swallowin' a Klonopin while I'm noddin' in
holding onto the pill bottle then
Lick my finger and swirl it 'round the bottom
And make sure I got all of it


Alors comme ça on s'envoie du Clonazépam (Klonopin)... Une machine à oublier, pour le coup, un anxiolytique surpuissant, à peu près les mêmes effets amnésiques que le zolpidem.
C'est sur que ca va pas aider à passer une journée fraiche, mais c'est tellement agréable.
On en arrive donc à ça


Wake up naked at McDonald's with
Blood all over me, dead bodies behind the counter, shit
Guess I must've just blacked out again


Voilà. Si tant est qu'une haute dose soit impliquée, ce n'est même pas une exagération. A poil à McDonald, c'est du plausible.


Anecdote. Une fois, il y a de cela quatre ou cinq années, lorsque j'étais au coeur des ténèbres pour le coup, j'avais passé une soirée dehors,a mélanger comme j'aimais à le faire a l'époque alcool et grandes doses de différentes molécules. Une soirée type pouvait se résumer à quatre valiums avant le départ, quelques bières au bar, quatre valiums de plus, un peu de vin chez des amis, cinq zolpidems, 8 traces de coke, le retour, en terminant avec des opiacés pour contrer la redescente de la coke. En gros, j'étais la plupart des soirs de la semaine tenu à un régime qui aurait tué n'importe qui dénué d'accoutumance. Et qui m'aurait de toute évidence tué aussi si j'avais poursuivi à ce rythme.


En tout cas, ce soir la en particulier, j'avais bu plus de coutume, et exclusivement par dessus du zolpidem. L'unique chose dont je me souviens, outre le début de cette soirée, c'est d'avoir dit au revoir à mes amis, puis de m'être instantanément retrouvé nu, dans un parc, avec mes clefs à la main, au petit jour. Rien d'autre, et aucune blessure nulle part. Je rentre chez moi, et y trouve mes affaires, toutes posées en vrac. Je comprends que j'ai du rentrer, les poser, me foutre à poil, et pour une quelconque raison qui devait me sembler tomber sous le sens sur le coup, sortir a poil. Il était tot, personne m'a vu, tant mieux mais bordel, j'ai dit au revoir aux copains à 3h30, et mon procchain souvenir immédiat est à 6h.


It's 3 a.m. in the mornin'
Put my key in the door, and
Bodies layin' all over the floorin'
I don't remember how they got there
But I guess I must've killed 'em


Ca à l'air con, mais la musique raconte pas souvent ce genre d'expérience extrême et sale, et Eminem le fait, et c'est pour ça qu'il est un artiste important et que cet album est un de ses chef d'oeuvre.


J'aurais tellement à dire sur la pléthore de bons morceaux qu'il propose. Stay Wide Awake par exemple, schéma de rime parfait et le plaisir extatique d'une histoire de serial killer qui multiplie les multi-syllabiques et déploie une énergie monstrueuse.


Same Song and Dance, histoire de serial violeur/killer romantique, palme d'or du storytelling de toute l'histoire du rap, sur du Dre. Il faut le prendre dans son ensemble, citer des lyrics en les privant du contexte n'aurait aucun sens, le morceau ne fonctionne pas par verses.


Beautiful, un magnifique morceau ou Marshall délaisse Shady pour redevenir Marshall et parler de lui même plus simplement, de son rapport à la célébrité, avec comme à son habitude une sincérité troublante envers ses fans, leur expliquant ici que bien qu'ils puissent envier sa célébrité, il envie en quelque sortes leur anonymat en retour.


I'm not lookin' for extra attention
I just wanna be just like you
Blend in with the rest of the room
Maybe just point me to the closest restroom
I don't need no fuckin' man-servant
Tryna follow me around and wipe my ass
Laugh at every single joke I crack
And half of 'em ain't even funny, like, "Ha!
Marshall, you're so funny, man
You should be a comedian, goddamn!"
Unfortunately I am
I just hide behind the tears of a clown
So why don't you all sit down?
Listen to the tale I'm about to tell
Hell, we don't gotta trade our shoes
And you ain't gotta walk no thousand miles


Déjà Vu. Récit de l'overdose de Marshall, et au delà de ca, un bout de l'histoire de son addiction. Un des morceau les plus sincères que je connaisse, toute catégories musicales confondues, dont les seusl équivalent dans la discographie d'Eminem serait When I'm Gone et peut être Difficult.


So I take a Vicodin, splash, it hits my stomach, then "Ahhh"
Couple of weeks go by it ain't even like I'm gettin' high
Now I need it just not to feel sick, yeah, I'm gettin' by
Wouldn't even be taking this shit if DeShaun didn't die
Oh yeah, there's an excuse; you lose Proof so you use
There's new rules, it's cool if it's helpin' you to get through
It's twelve noon, ain't no harm in self-inducin' a snooze


Voilà, ci-dessus, une des plus justes description du mécanisme de l'addiction opiacée que j'ai vue dans une oeuvre.


Insane pousse loin dans la provocation, elle me fait penser aux délires absurdes qu'on a quand on est complètement défoncé, quand plus aucun tabou ne veut rien dire.


I WAS BORN WITH A DICK IN MY BRAIN
YEAH, FUCKED IN THE HEAD
MY STEP FATHER SAYS THAT I SUCK IN THE BED !


Drop The Bomb on Em c'est juste putain de lourd aussi et en plus il dit I'M HARD AS KENARD THE LITTLE BOY WHO SHOT OMAR IN THE WIRE ! Rien que pour ça ca se valide. STRINGER BELL BOY THE NAME RINGS A BELL ON ITSELF !


Et puis que dire de "My Darling", ce dialogue avec Shady... qui se passe de commentaire tant il est sincère et juste.


Ha ha, you sold your soul to me, need I remind you?
You remember that night you prayed to God
You'd give anything to get a record deal? Well, Dre signed you
This is what you wanted your whole life, Marshall, right? Ooh
Look at this house, look at these cars: they're so nice, woo!
Oh, but you didn't know fame has a price too?


Ces milliers de visages, d'accents, de rythmes, de paysages et de flows. Ces milliers de rimes et de folies, cette honnêteté a fleur de peau de l'artiste qui reviens de loin et qui réinvente son genre à sa manière unique, et la façon dont ça colle à ton quotidien, pour une fois sans jugement, juste avec fidélité, talent et astuce.


Pour une fois, juste ça.

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le 8 févr. 2018

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