Come down to us, le troisième et dernier morceau de Rival Dealer, se conclut par un extrait d'interview de la réalisatrice Lana Wachowski, moitiée du duo créateur de Matrix et de Cloud Atlas. Elle y évoque sa détresse face à son existence en tant qu'homme, son soulagement quand elle a compris qu'elle devait devenir une femme et la libération physique et spirituelle qui s'en est suivie. Ce long sample, quasi sans intervention de musique, à part une nappe synthétique élégiaque à la fin, est la clef de ce nouvel opus du mystérieux producteur britannique Burial. Si un nom (et quelques photos) sont associés à ce très discret démiurge, on ne sait pas avec une absolue certitude qui il est. On ne compte plus les rumeurs et les théories, surtout que, depuis l'album Untrue en 2007, il refuse de revenir à des formats classiques.
Souvent considéré comme le parrain du genre Dubstep, dont il a posé nombre de bases, Burial s'est fait encore plus fantomatique. Il offre depuis 2011 et quasiment au rythme de un par an, des Ep constitués de quelques longs titres (2 ou 3, pas plus). Ces recueils dépeignent ses recherches, artistiques et personnelles, qui le voient parfois revisiter ses œuvres passés (comme sur Truant en 2012) ou trouver de nouvelles voies (avec le formidable Kindred). Malgré la qualité constante et souvent remarquable de ces disques, on était peu préparé au bond en avant que représente Rival Dealer.
Burial, d'habitude silencieux comme un Sphinx, s'est fendu d'un petit message de présentation : “I put my heart into the new EP, I hope someone likes it. I wanted the tunes to be anti-bullying tunes that could maybe help someone to believe in themselves, to not be afraid, and to not give up, and to know that someone out there cares and is looking out for them. So it's like an angel's spell to protect them against the unkind people, the dark times, and the self-doubts.”
Quelques mots sincères, que les cyniques pourraient qualifier de naïfs, mais qui accompagnent à la perfection trois morceaux qui n'ont jamais été aussi directs et gorgés d'émotion. Avec ses pointes mélodiques, ses samples plus évidents, ses envolées rythmiques et ses motifs rassurants, cette musique transcende le style habituel de Burial. On y retrouve tous les éléments qui ont fait son originalité : les ruptures, les bruitages, les fragmentations temporelles, les silences. Les sonorités qui évoquaient auparavant un univers urbain s'effaçant dans le brouillard, une réalité lointaine et émiettée, sont peu à peu recueillies par les mélodies.
C'est pour cela que Rival Dealer semble être l'accomplissement (provisoire, sans doute) des quêtes musicales de Burial. Comme s'il avait enfin trouvé qui il était, en tant qu'humain et en tant que créateur, et qu'il souhaitait faire partager sa joie avec tous ceux qui errent encore. C'est à la fois exaltant et réconfortant, et ce n'est probablement pas un hasard si le disque sort peu de temps avant Noël. Voilà ce qu'il faut pour affronter l'hiver et retrouver le goût des fêtes : des morceaux qui réconcilient l'expérimentation avec la douceur de la pop, tout en gardant ce goût de futur, à l'image, pour le cinéma, de Cloud Atlas. On y revient donc. Un idéal musical pour notre époque.
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