Sheer Heart Attack
7.4
Sheer Heart Attack

Album de Queen (1974)

L'album parait en 1974 et la couverture nous offre d'emblée un spectacle inoubliable : les quatre membres du groupe y apparaissent luisants de sueur, entremêlés et pour certains à peine vêtus. N'est-ce pas d'un goût tout à fait exquis ? Néanmoins, il se peut bien que derrière cette photo ruisselante, cet album soit parmi les plus réussis du groupe et même un excellent album de rock tout court !


"Brighton Rock" ouvre les hostilités, son ambiance est celle des fêtes foraines qui peuplent les jetées anglaises dés les beaux jours venus, on y devine également les mods et leurs scooters en pleine parade. La chanson commence avec la musique de manèges, d'éclats de rire et de bruits de fête pour partir sur un riff de guitare digne de montagnes russes, plein de montées vertigineuses et de descentes brutales. Freddie Mercury n'est pas en reste puisqu'il passe en un clin d'oeil d'une voix de fausset qui vous vrille les tympans à un ton nettement plus viril, incarnant tour à tour les deux amoureux échaudés de la chanson. Un solo brillant (mais un peu long, en concert c'est bien, bien, bien pire) occupe le milieu de la chanson, nous faisant trépigner d'impatience lorsque s'annonce le retour tonitruant du chanteur pour la conclusion ironique et acide de ce flirt d'un jour.


"Killer Queen" déboule sans prévenir, "Brighton Rock" résonne encore que les claquements de doigts caractéristiques de ce morceau annoncent la couleur. Toute en feinte retenue et avec une réelle virtuosité, Freddie Mercury nous dresse le portrait d'une prostituée de luxe (ou d'un, ça ne change pas grand chose). Cette chanson sera le premier morceau du groupe à se classer si haut (2e) dans les charts anglais. Le piano retro et affecté de Freddie Mercury, accompagné des fameuses guitares acidulées de Brian May, donnent à ce morceau une efficacité imparable. A l'image de cet album, c'est une chanson décalée et intelligente, raffinée et bien écrite. Queen se montrera rarement aussi subtil à l'avenir.


"Tenement Funster" est un morceau de Roger Taylor (fini le Meddows si classe), il chante sur un thème qui lui est cher. "Comme The Loser in the End" de "Queen II", il y parle de révolte adolescente et de chaussures ! Le morceau est un pur rock'n'roll plutôt bien troussé, peut-être le plus réussi du batteur qui n'aura pas toujours autant d'inspiration. Le rythme est très accrocheur et donne envie de jouer de la guitare (même mal) pour ennuyer les voisins. Difficile de résister au refrain soutenu par une batterie plus puissante que jamais. Bon, Queen cache mal ici son admiration pour Led Zeppelin, mais il faut reconnaître que ça en vaut la peine.


"Flick of the Wrist" fait penser aux premiers morceaux du groupe, agressif et arrogant comme pouvaient l'être "The March of the Black Queen" ou "Great King Rat" sur les prédécesseurs de l'album. On y parle de castrer sa dignité humaine ou de disloquer ses vertèbres. Le chant de Freddie Mercury est presque méconnaissable lors des couplets, plus rocailleux et grave que d'ordinaire, conférant à la chanson un ton malsain plutôt rare chez le groupe.
Mais soufflez à présent car "Lily of the Valley" vient apporter une bouffée d'air frais à l'album. La chanson est brève, constitué majoritairement de la voix de Mercury sur un simple piano accompagné par vagues des fameux choeurs à trois voix. Délicat, léger et un peu mélancolique, emprunt du spleen de la solitude, le contraste avec la chanson précédente est sciemment élaboré.
"Now I'm Here" est un morceau très populaire du groupe et il sera le plus joué lors de leur concerts, durant toute leur carrière. Il consiste en un riff très simple décliné en de multiples réverbérations sur lequel se pose la voix démultipliée de Freddie Mercury, un hard rock plutôt classique et efficace aux tonalités proches des hymnes rock que composeront plus tard les membres du groupe. La chanson a un certain charme intemporel, ceci explique peut-être que le groupe ne semblera pas s'en lasser à l'avenir.
"In the Lap of the Gods" est un étrange morceau, surtout après celui qui vient de s'achever. Freddie Mercury le considérait comme l'ancêtre de "Bohemian Rhapsody" (oui, nous parlerons un jour de cette chanson, bientôt) et il est vrai qu'elle partage son incongruité. La voix du chanteur y est encore une fois plus grave qu'à l'accoutumée, déformée et étrangement ralentie, comme filtrant à travers une brume épaisse. Elle filera bien vite dans les aigus, escortée par les cris perçants d'un Roger Taylor motivé, mais conservant sa teinte irréelle, franchement bizarre.
"Stone Cold Crazy" explose ensuite. Franchement, et en toute honnêteté cet album nous a déjà donné à entendre pas mal de choses différentes, mais il parvient encore à nous surprendre dés les premières notes de ce morceau. Ni plus ni moins qu'un rock échevelé, très énergique, ancêtre tout à fait reconnu du speed-metal et du thrash-metal, à l'origine avouée de pas mal de vocations (Metallica ou les Guns N' Roses -encore- ne diront pas le contraire) c'est un morceau sans temps mort, d'une durée de 2'14 pas plus, qui nous est offert ici. Le riff de Brian May est irrésistible et Freddie Mercury fanfaronne avec un plaisir non dissimulé. Il s'agit par ailleurs du premier morceau attribué à l'ensemble des membres du groupe qui le cosignent.
"Dear Friends" apaise les esprits. Il s'agit d'un morceau très court, Freddie Mercury s'y montre à nouveau subtil, sa voix posée sur un piano et accompagnée par des choeurs discrets. C'est un nouveau moment de délicatesse, oui, délicatesse, dans un album de Queen, oui.
"Misfire" est une composition de John Deacon, sa première sur un album du groupe. C'est une chanson assez légère et fraîche, aux tonalités soul correspondant à son amour immodéré de la Motown. Elle s'égraine joyeusement et fait preuve d'une originalité certaine, même au sein de cet album qui n'en manque pas.
"Bring Back That Leroy Brown" ne nous fera pas mentir quant à cette originalité. Nous avons à faire là à un morceau retro, où le piano, le ukulele-banjo, la contrebasse et la voix aux accents de music-hall nous plongent dans une ambiance tout à fait décalée. Les choeurs y sont désuets, les mots employés également, si bien qu'on croirait la chanson taillée pour les gramophones. Il s'agit également d'un hommage à Jim Croce, alors récemment décédé : https://www.youtube.com/watch?v=QvwDohEEQ1E
"She Makes Me (Stormtroopers in Stilettos)" au titre étrange est une composition de Brian May qui en en est également l'interprète. Le ton est à la mélancolie, à l'amertume peut-être et la chanson s'achève sur une cacophonie de sons New-Yorkais soutenus par une respiration difficile et forcée.
"In the Lap of the Gods...Revisited" conclut avec brio un album foisonnant. La voix de Mercury y est encore une fois parfaitement juste, légèrement affectée mais pas encore grandiloquente, elle donne à ce morceau l'ampleur qui en fera assez vite un hymne lors des concerts du groupe. Le refrain est irrésistible et prélude quelque part les chansons comme "We Are The Champions", mais de façon plus dramatique. La toute fin de la chanson ressemble à une explosion, sans doute celle du groupe qui franchement ne devait plus en pouvoir de tant d'efforts de créativité sur un même album !


Ce n'est pas pour rien que "Sheer Heart Attack" est souvent considéré comme le meilleur du groupe et comme un album incontournable pour qui s'intéresse au rock. Hétéroclite, les morceaux s'y succèdent pourtant sans le moindre heurt, se payant même le luxe de s'enchaîner directement d'un bout à l'autre. Il s'agit du premier vrai succès commercial de Queen, ce qui n'occulte pas une valeur artistique indéniable. Que Brian May soit présent de façon épisodique sur l'album en raison de son hépatite n'est même pas perceptible. Le groupe assume ses choix avec insolence et ça fonctionne à merveille. Il pose également les fondations de quelque chose de plus ambitieux encore...quelque chose qui se passera la nuit et à l'opéra. (Ceci est une subtile transition vous allez voir). En cela il est comparable quelque part à l'album "Hunky Dory" de David Bowie qui laissait présager le monument qui le suivit, "The Rise and Fall of Ziggy Stardust".


Important : Personne ne joue de synthétiseur sur cet album et Freddie Mercury n'a toujours pas de moustache.

Créée

le 10 juin 2012

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I-Reverend

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