Spooky Two
7.2
Spooky Two

Album de Spooky Tooth (1969)

Le syncrétisme des genres a toujours été l'apanage du rock. Déjà le jeune Elvis en 1960, alors dûment affublé du délicieux sobriquet de "King Of Rock", enregistrait un grand album de gospel, His Hand In Mine. L'éthymologie ("God Spell" : l'incantation de Dieu) aurait pu condamner ce genre à une simple ôde à la gloire du seigneur, mais si Grand et Opulent soit ce Dernier, il faut avouer qu'Il n'agite pas nos coeurs de rockeurs autant que l'écoute d'un maléfique "Lord Of This World" ou d'un athée "Close To The Edge". Rien ne destinait alors Spooky Tooth, dont les débuts furent remarqués dans la sphère psychédélique avec un premier album réussi, It's All About (1968), à se lancer dans l'expérimentation gospel/rock. Mais en mars 1969 sortit Spooky Two, considéré par les connaisseurs comme leur véritable chef d'oeuvre, aussi le plus cohérent en dépit d'une grande variation des sonorités.

Pourtant, les premières secondes augurent le pire pour cette production. "Waiting For The Wind" ouvre en effet l'album avec un rythme de batterie d'une simplicité déconcertante durant trente longues secondes avant d'être rattrapé par un orgue aussi groovy qu'une composition inspirée du grand prodige du R'N'B M.Pokora le magnifique. L'auditeur chevronné spéculera alors à un énième représentant d'un psychédélisme rachitique, dont l'Ouroboros serait un symbole édifiant. Que nenni ! Le miracle se produit grâce au chant rauque et lumineux de Mike Harrison, l'immense oublié de l'incantation vocale, qui transporte cette composition fade vers la noblesse des plus grands airs du genre et annonce la kyrielle de mélopées incontournables à venir. Comme le disait un certain Baudelaire : "Une suite de petites volontés fait un gros résultat".
Si les mérites de cette réussite artistique reviennent en partie à Gary Wright, responsable de l'orgue et principal compositeur, l'aura mystique, radieuse et décomplexée émanant de cet objet est quant à elle l'oeuvre évidente de Mike Harrison. Capable d'intonations Peter Gabrielesques avant l'heure ("Feeling Bad"), d'inflexions rocailleuses jouissives au possible ("Evil Woman") et de cantiques invocatoires (l'excellent refrain de "Lost In My Dream"), il est cependant secondé dans une grande partie des lignes de chant par un Gary Wright qui se révèle détenir quelques qualités vocales, sans pour autant excéder celles de son leader.
L'aspect gospelo-mélancolique omniprésent se voit appuyé par des choeurs majestueux et jamais mièvres, dont les interventions divines démultiplient clairement la portée mirifique et pénétrante de la production. Le funambulisme ainsi opéré par Spooky Tooth entre rock et gospel lui permet de pondre gracieusement une des plus réjouissantes ouvertures du genre vers des horizons initialement divergents.

Homogène malgré des influences diverses et variées, Spooky Two allie une lenteur hard rock façon Deep Purple ("Evil Woman") à des mélodies épurées à l'inspiration clairement tirée du gospel ("I've Got Enough Heartaches"). Aucun réel point faible n'y est à remarquer, exceptées ces quelques quarante secondes d'introduction.
Inépuisable chef-d'oeuvre n'ayant pas pris une ride, il aura sonné le glas d'un groupe qui se perdra ensuite dans la confection d'un album à l'identité discutable, avec l'aide désastreuse du pionnier de la musique concrète Pierre Henry : Ceremony (1970) est un malheureux parangon d'album inécoutable et inécouté.
BenoitBayl
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le 5 déc. 2013

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Benoit Baylé

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