Still Life
7.9
Still Life

Album de Opeth (1999)

Opeth, épisode 4 : Nature morte à la vierge

Préambule : cette critique a été rédigée il y a longtemps (voir lien plus bas) elle est donc caduque pour certaines parties, notamment le début : je possède le disque depuis, dans une belle édition. En revanche l'album demeure un de mes préférés.

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Ah Still Life ... Ou plutôt, ah, un album d'Opeth, ce groupe si intrigant et inégalable ...

Longtemps je n'écoutais que distraitement cet album, le trouvant bien sûr bon, même très bon, comme chacun des albums de ce groupe (car je ne vois pas trop pourquoi My Arms Your Hearse serait en deçà de leurs autres compositions), mais sans en saisir les incroyables subtilités. Depuis quelques temps, je suis en fait tombé comme amoureux, prisonnier de l'entêtant morceau qu'est Serenity painted Death, mais j'y reviendrai plus loin !

Still Life, ou un des rares albums que je n'ai encore qu'en MP3, mais ça va pas durer je sens, il est bien plus trouvable dans le commerce qu'Orchid ou My Arms Your Hearse, et possède déjà une étonnante pochette, d'un rouge vif (plus ou moins selon les éditions). On y voit une femme (Melinda) dans une posture virginale assez étrange, vu la couleur sanglante de l'album, mais les thèmes abordés peuvent peut-être l'expliquer.

En effet, cet album parle avant tout de peinture : Still Life signifiant nature morte, et les textes (Serenity Painted death, Face of Melinda) renvoyant directement à cet art. Et la musique ici devient peinture, elle fonctionne par touches, par nuances.
The Moor, donc. Longue intro en fondu inversé, vrombissement lancinant qui s'installe peu à peu, puis magnifique guitare acoustique, intonations mélancoliques, on verrait presque la pochette danser devant nous, une veuve/vierge éplorée dans un bocage, une tourbière ? Indeed. Le riff prend aux tripes, entraînant, et avec ce son de guitare plus net, plus aiguisé qu'avant, et qui marque le léger virement du groupe vers son son "moderne". Déjà le morceau montre une alternance plus marquée de chants clairs et de growls, on est typiquement ici dans une composition enflammée et même lyrique, où un calme plat succède à une montée quasi-chromatique avant de repartir de plus belle sur un death metal élégant. Des effets de voix "choeur" très agréables, qui préfigurent le magnifique coup que portera quelques années plus tard le morceau Deliverance, et ce morceau glisse, entre solo et passage acoustique, vers un hymne mélancolique et la première mention de Melinda, "the reason why I've come".

Un délicieux passage ânonné d'une douceur et d'une pureté rare - sauf chez Opeth, qui se plaît dans cette diversité au sein d'une même composition - et puis on repart sur des notes plus maléfiques, plus inquiétantes, et un grognement qui renvoie le morceau aux antipodes de ce nouvel univers. Car chez Opeth, tout est éphémère. Le morceau se termine dans la violence, malgré une reprise du refrain en effet choeur. Somptueux démarrage.

Godhead's Lament, un morceau sur lequel je suis plus nuancé, je lui trouve un son plus proche des anciens albums, un peu en décalage avec le reste, surtout sur l'intro. Un début torturé, complexe et violent, qui développe des mélodies alambiquées et touffues. Suit une série de riffs intéressante, rapidement couverte par la voix terrible d'Akerfeldt. Le texte parle encore une fois de Melinda, qui cette fois n'est pas nommée, mais par les mentions à son attitude (voir pochette) et surtout à son regarde (voir morceau précédent), on la reconnaît facilement. L'album parle donc de peinture, mais crée surtout le portrait de cette Madonne d'un nouveau genre, du style succube angélique, ou plutôt métaphore de la chimère, de l'illusion forcément fatale, trompeuse.

Le chant clair se fait mélancolique et puissant, sur de beaux passages à la fois acoustiques et entraînants, mais tristes. Belle musicalité du texte, litanie répétitive certes, mais c'est là toute sa force. On repart alors sur quelque chose de plus électrique. A nouveau du growls, et là, un passage sidérant mais bien court de basse, très progressif, très "swinguant", repris ensuite avec les instruments et les vociférations d'Akerfeldt, sur quoi reviennent se greffer les riffs efficaces des débuts du morceaux. Le vertige du morceau est alors surprenant, les tiroirs de la composition s'ouvrant et se fermant successivement, et déroulant une prodigieuse construction. On se retrouve alors perdu entre des plaintes en chants clair et des râles puissants, et vice versa, et le morceau s'achève dans un dernier souffle nauséabond, assez brutalement.

Démarre alors le surprenant Benighted, d'une douceur remarquable, un morceau qui lui préfigure plutôt l'album Damnation et ses ambiances feutrées et sourdes. Le morceau prend la forme d'une invocation onirique, nocturne, où la vue est omniprésente. Le chant se fait parfaitement maîtrisé, et très sensible. Melinda n'est ici que évoquée subrepticement par ce champ lexical du regard. L'entrée de la batterie avec le solo de guitare soutenue par une rythmique de basse solide donne des sonorités jazzy au morceau, entrevues rapidement dans les plages acoustiques des deux morceaux précédents. Martin Mendez apporte ici sa "personal touch" qui contribue depuis au succès et à l'originalité du son du groupe. Un morceau qui paraît bien court en vue des autres compositions de l'album, et qui reste ensorcelant.

L'étonnant Moonlapse Vertigo commence d'emblée dans un entrelacs de riffs complexes typiques, rappelant là encore des sonorités bien connues chez Opeth, et installe à nouveau un climat tendu, lancinant. L'introduction est à rapprocher de celle de Godhead's Lament, toutefois en nuançant, puisque la chanson s'oriente rapidement sur des sonorités plus douces et surprenantes. Le côté jazzy revient en effet rapidement avec le jeu de basse et une mélodie acoustique étonnante, le tout couvert au chant clair et relativement douçâtre, aigu, laissant place aux riffs d'introduction et à une voix plus caverneuse. Une fois encore, le texte mentionne le regard et les yeux, mais Melinda est ici absente (pour mieux revenir au morceau suivant). La construction est ici en alternance classique calme et violence, chant clair et growls, acoustique et électrique. Le passage central est carrément sidérant de références à un certain rock progressif des décennies précédentes, la guitare soliste prenant des sonorités pour le coup complètement tournées vers un répertoire groovy. Puis on repart à nouveau dans un univers plus sombre et violent, oppressant. On retrouve alors une mixité, un équilibre entre chants clairs avec cet effet de polyphonie, de superposition de voix et des riffs semblables à ceux de l'introduction. Le morceau s'achèvera dans un fondu élégant et choisi, afin de préparer au calme de la composition suivante.

La ballade Face of Melinda, dont le texte évoque immédiatement le thème de l'album : Melinda, ses yeux, son visage, son expression de tristesse figée, s'inscrit dans la continuité des références à ces groupes de prog si chers à Akerfeldt, qui ici distille tout son talent de chanteur. Les motifs acoustiques forment un tapis truculent transcendé par une guitare électrique vaporeuse et enlevée, tandis que la basse de Mendez rythme le tout avec langueur. La batterie se fait caressante, à la manière du jeu de jazz, dont elle emprunte les fouets. Le morceau éclate alors, avec un riff relativement violent pour l'atmosphère présente, et l'on s'envole sur une nouvelle mélodie et un rythme binaire plus soutenu, appuyé par une batterie plus vraiment jazzy. Cependant, on reste dans une optique de chant clair, dans un univers de mélancolie. La litanie guitaristique continue puis on retourne sur des tonalités acoustiques mais graves quelques instants, avant de découvrir un solo puissant et émouvant qui achèvera le morceau dans un nouveau motif en fondu.

Démarre alors la pièce dont je suis depuis un mois environ, éperdument amoureux. Sur une entame classique et déjà tragique, façon fin de la montée dans Under the Weeping Moon ou The Night and the Silent Water, le somptueux Serenity Painted Death déboule avec fracas et growls à l'appui. Cette courte séquence d'introduction s'arrête et laisse place à des riffs conçus spécialement pour le concert et le headbanging du meilleur effet, tous les bons metalheads apprécieront cette rengaine salvatrice. Mais c'est surtout le refrain et son thème musical qui me séduisent. Ces stridences déraillantes de guitare et ces quelques phrases :
"White face(d), haggard grin
This Serenity painted Death
With a halo of bitter disease
Black paragon in lingering breath."

Répétées deux fois, avec une rage plus prononcée sur la deuxième, tout un phrasé et un choix de mots extrêmement précis. Évidemment les références à la peinture sont criantes, mais on retrouve l'idée du Still Life, de la nature morte et de la vanité (nature morte avec crâne). Melinda est d'ailleurs nommée dans le morceau, et le texte sur concentre sur les couleurs et lumières, rouge, blanc, sombre. Des passages en chant clair étayent le tout, et même une pause prog centrale où l'apparent calme qui plane n'est que l'illusion, la maîtresse de l'album, avant la tempête. Le dernier couplet, en chant clair, se fait presque résigné dans ses intonations, et cède place à la chute, au basculement du dernier refrain et à son tumulte musical. Un régal qui s'achève dans un pattern acoustique aux quelques notes de guitare électrique encore jazzy. Cette fois c'est le futur Blackwater Park qui se dessine quelque peu, même si le tout s'achève un peu brutalement.

White Cluster vient alors clore l'album. Directement violent, agressif et chanté en growls. Cependant, le premier couplet en chant clair, sur fond acoustique qui ressemble fort aux passages de Moonlapse Vertigo ou de Godhead's Lament, évoque en forme quasiment épanadiplosique le pardon "forgiveness", qui, dans The Moor, étant absent des yeux de Melinda. Cette dernière n'est, comme par hasard, dès lors plus nommée dans le texte, et le regard ou les yeux ne sont plus mentionnés, exceptés lors des toutes dernières paroles du morceau. Le narrateur de l'album décède en fait dans ce morceau, victime peut être de ses illusions perdues, de Melinda. On y trouve les mentions du rêve, du délire, et d'une forme de vie après la mort dans cette vision qui perdure après l'expiration. Deuil en blanc et basculement absolument délirant musicalement parlant, déchaînement de riffs, solo de guitare rapide et flamboyant, très technique comparé aux autres morceaux de l'album, plus retenus, passage très orienté metal progressif cette fois-ci, qui s'avère fugace, éphémère, ce qui n'est pas surprenant d'ailleurs, ramène ensuite les passages en chant clair, sur fond acoustique puis plus emportés voire presque violents. Un fondu semble clore l'album, mais quelques résurgences jazzy reviennent alors, de manière très brève, ce qui sera plus développé dans un morceau comme By the Pain I see in Others.

En somme, cet album que je croyais pourtant il y a quelques mois comme bien agréable mais relativement mineur, se révèle une perle rare et un bijou de construction et d'élaboration, où chaque note a sa place, et où tout contribue à la formation d'une entité d'un tout. On peut donc, je pense, parler de concept album sans aller trop loin, puisqu'il se concentre autour d'un personnage qu'il crée, Melinda, et qui évolue dans une univers paradoxal, à la fois doux et néfaste, d'un onirisme baigné de malveillance. Une vraie fleur du mal.
Krokodebil
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le 26 févr. 2013

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