Brigitte

Je sais pas si tu l’entends, il y a comme un écho. Une plainte.

La maison de Tonton Youcef était à la campagne. J’aimais bien y aller.
Il y avait Brigitte, sa femme française.
Tonton avait aussi une femme au bled, une moins Gironde, je ne vais pas te mentir.

La fidélité, chez les VanCleef, c’est comme jouer au chat et à la souris.
Jamais elle nous attrape.

À la maison, quand on parlait d’eux, fallait chuchoter. Ma mère n’aimait pas beaucoup Brigitte. Mon père, quand maman n'était pas dans les parages, s’intéressait soudain au jardinage.
Il avait lu plein de livres.
Le joli cœur.

T’imagines ? J’avais 10 ans et, boudiou, elle était belle, Brigitte. Elle était blonde. Elle avait la peau presque transparente.
Une poitrine tellement arrogante qu’aujourd’hui encore, j’ai envie de m’y lover.
Le genre de miracle que seul Notre Seigneur tout-puissant pouvait avoir réalisé. Ça se voyait qu’Il avait pas délégué.

Brigitte était aussi jolie que mon oncle était vilain.
Lui, c’était une version alternative de mon vieux, mais en genre louche.
Une sorte de clone dégénéré.
Comme si Gainsbourg avait un frangin.
Mais encore plus moche.

Je crois que j’étais amoureux d’elle.
Et je sais que ses sourires et les quelques regards que je kidnappais ne mentaient pas.
On sait pas mentir avec les yeux. Si ?

Mais elle le kiffait, ça se voyait. Fort de fort.
Quand il était là, c’était un peu comme si c’était le roi.
Je lui refilais temporairement ma couronne.
J’ai toujours été un type avec le coeur sur la main. Surtout enfant.

Et il était plus fort que moi.

Il m’avait donné un vélo pour que je sois pas toujours dans leurs pattes.
Alors on montait, ma monture et moi, un peu plus haut sur la colline.
Pas parce qu’il l’avait dit. Parce qu’on avait envie.

Je m’allongeais, le menton dans les mains, et je les regardais se bécoter dans le bout de jardin que Tonton pensait à l'abri des regards.
J’étais pas jaloux. Juste déjà un peu voyeur et je me demandais probablement si on pouvait passer sa vie à côté des plaisirs.
Ouais. À 10 ans.

Quand l’autre allait charbonner, avec Brigitte, on écoutait ses 45 tours dans un mange-disque orange.
Elle me touchait parfois la cuisse du bout de ses doigts en tapotant le rythme.
J’aimais bien.

Elle adorait C. Jérôme, William Sheller période ketchup, Jairo, Joe Dassin, Cloclo, France Gall et puis Johnny.
Moi, du moment qu’il y avait promiscuité, tu pouvais bien mettre « à la queue leu leu » par le pape, je bougeais pas.

Parfois, elle chantait.
J'aimais bien.
Elle chantait Sister Jane et même si c’était encore plus pénible que la version de Goldman et ses sbires bridés, j’en perdais pas une miette.

Un jour, Tonton Youcef est retourné au bled et j’ai plus jamais revu Brigitte.

Je suis sûr que, quelque fois, elle doit penser à moi.

La bise.