Un an après le succès phénoménal de La Communauté de l’Anneau, vient en 2002 la suite du périple des neuf compagnons dans Les Deux Tours, où nous les suivons cette fois en groupes séparés. De nouveaux territoires sont explorés, et le récit commence à donner dans l’épique en offrant la première grande bataille contre l’Isengard. De quoi donner à Howard Shore l’opportunité de poursuivre son travail remarquablement entamé dans la première partie de son œuvre.

Le matériau de base est déjà extrêmement riche, et les thèmes déjà bien étoffés ne demandent qu’à être développés. L’orchestration originale n’a aucune raison de changer, puisqu’elle est propre à la Terre du Milieu ; mais son univers s’enrichit, ainsi que ses histoires. Nous évoluons à présent sur quatre terrains différents, tant dans le ton que dans le cadre : la musique sera donc beaucoup plus changeante tout au long du film. En effet, les Uruks de l’Isengard sont en passe de raser le Rohan à coups de lames et de fourches dans la gueule, et se dirigent droit vers la forteresse de Helm. Quand Merry et Pippin se libèreront d’eux, Silvebarbe s’occupera des deux hobbits pommés et les mènera jusqu’en Isengard. Aragorn, Legolas et Gimli escorteront le Rohan pour contrer le siège qu’ils subissent au Gouffre de Helm ; quant à Frodon et Sam, ils errent du Marais des Morts jusqu’à la cité dévastée d’Osgiliath, accompagnés du sinistre Gollum. Fini donc les contrées accueillantes comme Fondcombe ou Carras Galadhon.

Commencons par les nouveaux thèmes : celui du Rohan, le premier à porter sur la race des hommes. Le motif est ample et progressif : d’abord hésitant, il s’affirme petit à petit, un peu comme l'honneur retrouvé dans l'histoire tourmentée de ce peuple. Il incarne le réveil de la race des hommes qui retrouve enfin sa force grâce au retour du Roi Théoden. Le choix de l’instrument principal est proprement magnifique : il s’agit d’un violon Hardanger, d’origine norvégienne, possédant ce timbre vibrant et légèrement grinçant donnant cet aspect si fragile et poétique à la mélodie, valorisant sa belle envolée. Il évoque quelque chose d’ancien et de respectable : le peuple du Rohan et son histoire. Son utilisation est toujours bénéfique à la scène, apportant son brin de mélancolie aux plans larges montrant les édifices forts du Rohan (vue d’Edoras, du Gouffre de Helm, ...), ainsi que la destinée de son peuple (l'exode massif, et plus tard la formidable charge équestre à Minas Tirith). De nombreux leitmotivs au cor et au trombone lui donnent également cette dimension médiévale et chevaleresque (mise en valeur du rôle du roi Théoden, du courage des hommes malgré leurs faiblesses, ...), comme dans « The Riders of Rohan ». Les cuivres sont majoritaires concernant le Rohan, et ce pour coller à l’atmosphère très médiévale et monarchique qu y règne, où tout repose sur les valeurs honorables qu’elle évoque, et sur la volonté de fer du roi qui guide son peuple jusqu’à la fin.
A noter le thème d’Eowyn, digne et honorable, avec une grande humilité dans la résolution du motif. Il est en cela relié au thème du Rohan : son interprétation aux cordes lui confère un certaine stabilité, et surtout cet effet très lisse et constant, grâce à son harmonie très médiévale (quintes à vide consécutives). Il est très souvent repris au cor anglais (couplages cordes-cor anglais fréquents). Ce bois lui donne un certain caractère, non dénué de douceur et de charme (Eowyn parle très souvent à Aragorn), d’autant plus que l’interprétation du motif reste constante et inchangée au niveau du ton, que ce soit avant ou après la libération de son oncle Théoden (Eowyn n’a jamais abandonné ses principes et ses valeurs).

Dans cet épisode, Gollum se dévoile enfin, après avoir suivi Frodon depuis la Moria. Il possède deux thèmes, un par personnalité ^^ pour Smeagol et pour Gollum. Le premier a déjà été abordé à l’état de court leitmotiv dans la Communauté (3-4 apparitions tout au plus correspondant à celles du personnage), et possède un motif très mélancolique qui d'abord s’élève modérément, puis s’affaisse en ondulant autour de la note la plus modérée avec un rythme qui ralentit progressivement, comme s’il s’affaiblissait au fur et à mesure. Languissant, il retranscrit le destin de Smeagol à travers cette résolution morne qui contraste avec son ouverture : il meurt lentement, mais survit à travers Gollum.
Le second thème est donc celui de Gollum : le motif est chromatique, mono-rythmique et à la mélodie très irrégulière. Mais ce qui le rend plus énigmatique encore, c’est le cymbalum : ce sont des fines lames de fer sur lesquelles on frappe avec de petits marteaux, qui permettent en frappant plusieurs fois de suite de donner ce côté furtif et mystérieux d’une créature avançant dans l’ombre. Le cybalum est d’ailleurs exploité assez souvent en développement du personnage, par exemple lorsqu’il les guide pour sortir d’Emyn Muil (des percussions discrètes l’accompagnent alors).

Le thème de la Nature, évoqué par point de synchro lors de l’évasion de Gandalf dans le premier opus, prend ici pas mal d'ampleur. Le motif est noble par nature (cadencé, et relance constamment vers le haut), mais suffisamment souple pour donner deux impressions différentes selon son intensité. Il est d’abord doux et innocent à la simple évocation des Ents par Merry, comme une légende oubliée jusqu’alors, et ce grâce à une magnifique flûte (et plus tard la voix d’un jeune garçon) ; c’est la beauté des intervalles qui ressort le plus ici. Il devient par la suite beaucoup plus digne et affirmé lors de la dernière marche des Ents, où il prend réellement la dimension d’un hymne : les voix deviennent de plus en plus nombreuses, les cordes s’affolent et les cuivres s’emballent (trompettes épiques et cors majestueux), qui décrit bien cette force qui se réveille en eux. C’est d’ailleurs la montée chromatique de fin du motif qui est la plus valorisée dans « Isengard Unleashed », grâce à des chœurs imposants et majestueux qui progressent lentement mais assurément, au moment où l'eau s'infiltre peu à peu dans les cavernes de l'Isengard.

A noter également le joli motif de Gandalf le Blanc et Gris-poil, calibré pour cordes (quelques cuivres les soutiennent néanmoins), et décrit une certaine perfection. A chaque fois que Gandalf chevauche son destrier et parcourt d’immenses plaines, ce thème magnifie les somptueux paysages que nous offrent les plans larges. Il apparaît dans sa version la plus majestueuse lorsque Gandalf et Eomer apportent le soutien tant attendu et portent le coup de grâce à l'armée de Saroumane. Tant dans sa démarche que dans sa réalisation, ce thème ne peut que rappeler le Concierto de Aranjuez, en raison de la répétition de cette broderie inférieure (une broderie, c’est tout simple, c’est comme Ré-Do-Ré, Sol-Fa-Sol, Mi-Ré-Mi, ...).

Mais dans cet opus, les thèmes de Sauron et de Saroumane se font beaucoup plus insistants et massifs, notamment au niveau des cuivres (Saroumane s’adressant à son armée comprend un leitmotiv dantesque) , celui de Sauron se montre de plus en plus fort (déjà « The Black Gate Is Closed ») jusqu’à son apogée dans Le Retour Du Roi.

Au fur et à mesure que Frodon et Sam évoluent dans des milieux de plus en plus austères et hostiles, la musique se fait beaucoup plus grave et tumultueuse. C’était déjà le cas avec le thème des Nazgûls qui venait rompre l’équilibre musical de la Comté mis en place, tels des Détraqueurs qui changent immédiatement l’atmosphère dans lesquels ils se trouvent. Les instruments de l’orchestre commencent à se pervertir, et à devenir plus stridents et irréguliers. Par exemple, lorsque les trois hobbits (enfin, deux et demi ^^) traversent le Marais des Morts, un glissando horrifique très ample au violon strident et aux voix intensifie chaque vision portées sur un cadavre, en plus des à-coups portés par le tuba. Les voix sont aliénées, et ne représente absolument pas la noblesse de la légende, mais les âmes des guerriers maudits, ce qui les rend beaucoup plus malsaines et dissonantes.

La forêt de Fangorn en est aussi un exemple, la musique se montre assez angoissante et imprévisible lorsque Merry et Pippin y pénètrent, mais aussi lorsqu’Aragorn, Legolas et Gimli font de même pour les retrouver. Notamment le thème de l’Ent Silvebarbe (vraiment un thème de circonstance), qui l'accompagne avec Merry et Pippin lorsqu’ils parcourent la forêt de Fangorn. Des percussions boisées et cycliques rythment les pas de l'Ent, alors que basson, contrebasson et contrebasse jouent des mélodies évoluant très lentement dans des directions imprévisibles. Parmi les plus graves de l’orchestre, ces instruments donnent une sensation inquiétante, celle d’évoluer dans un espace assez étendu mais obscur, et surtout méconnu (la forêt n’est pas très accueillante ces temps-ci).

Les points de synchro sont toujours aussi sublimes, tant au niveau de l’ambiance qu’au niveau des thèmes : ces derniers évoluent eux aussi avec l’histoire, comme par exemple celui de l’Anneau. Il est souvent repris au haut-bois, afin de lui donner un côté plus reluisant et séducteur (au moment où Galadriel annonce « qu’il est proche d’atteindre son but »), mais aussi de manière plus subtile lorsque Denethor annonce à Boromir que l’Anneau est désormais son objectif. Le thème annexe de la tentation est repris lorsque Faramir s'apprête à s’en emparer, et se couple magnifiquement bien avec les effets sonores que Peter Jackson se plait à utiliser pour amplifier ses effets néfastes de l'Unique sur la santé de Frodon. Le thème du Gondor gagne en puissance lorsque Boromir rappelle plusieurs fois à Faramir de se souvenir du jour où Osgiliath a été repris, et de le prendre comme un signe de la renaissance du Gondor. Également, le thème de la Communauté : simple soutien épique quelquefois (Legolas descendant sur un escalier en surfant sur un bouclier en mode Chuck Norris), sinon essentiellement des messages d’amitié et de fraternité (Aragorn sauvant Gimli du deuxième Warg qui l’attaquait, Legolas s’excusant auprès d’Aragorn d’avoir désespéré, ...).

Mais le vrai changement réside dans les chœurs : Les Deux Tours marque une véritable évolution dans la manière dont les voix sont exploitées. Le passage à la Lothlorien ainsi que la mort de Boromir avaient déjà amorcées cette démarche dans le premier opus, mais l’approfondissement du destin d’Arwen rend les voix beaucoup plus profondes et langoureuses (développement de son thème) : ici, elles sont lentes et mélancoliques, et décrivent bien l’état de dépression des elfes sentant bien que leur temps est révolu. Languissant et pessimiste à l’image d’Elrond, le thème de Fondcombe (qui peut aussi être considéré comme le sien) est magnifiquement décliné lorsqu’Arwen se résout à quitter la cité elfe sur les conseils de son père. Les voix se font toujours aussi inoubliables à chacune de leurs apparitions (Eowyn apprenant la disparition d’Aragorn, c’est un point de synchro juste somptueux). Toutefois, elles sont toujours mesurées et ponctuelles : se faisant plus rares, elles bénéficient d’un effet de surprise plus prononcé (réapparition de Gandalf, désenvoûtement de Théoden, rêve d’Aragorn avec Arwen, ...). Parfois seules et peu nombreuses, les quelques voix parviennent toujours à prendre de l’espace et de l’ampleur, leur conférant une puissance implicite : même sans brailler comme quelqu’un qui se coince les doigts dans une porte, les notes tenues longtemps sont si pures (le choix des chanteurs et des choristes est juste parfait) qu’elles marquent durablement tant l’auditeur que le spectateur (le film les met beaucoup en valeur, d’où cette symbiose entre l’image et le son). Encore une fois, Gimli annonçant la disparition d’Aragorn à Eowyn est un exemple court mais très éloquent de cette qualité qui fait la marque du Seigneur des Anneaux.

Enfin, la nouveauté réside dans les deux grandes batailles, surtout celle du Gouffre de Helm : magnifiquement préparé par le film lui-même, et par conséquent suivi par la musique (lorsque Théoden prend ses décisions, des trombones dignes et réservés appuient ses propos ; lorsque l’on voit le déchirement des familles, le thème du Rohan est repris aux violons de manière beaucoup plus poignante, ...), nous profitons enfin du talent d’Howard Shore pour ce qui est des musiques d’action pure, accompagnés d’un développement grandiose du thème de l’Isengard, du Rohan et des Elfes : dans « The Hornburg », ils se montrent beaucoup plus mécaniques et agressifs une fois accompagnés d’ostinatos martiaux aux lourdes percussions (gongs japonais, multiples tambours et sonorités métalliques) et aux cordes. Très bourrin, l’impression générale est ici celle de chaos. En revanche, durant la dernière marche des Ents avec le thème de la Nature dans « Isengard Unleashed », l’effet bourrin est beaucoup plus atténué, la beauté de la Nature prenant sa revanche étant mise en valeur par la montée chromatique des voix. Les percussions qui l’accompagnent sont donc beaucoup plus nettes et lisses : ce sont les timbales, reines des percussions orchestrales.

Avec tous ces éléments en main, Shore crée des musiques d’action très dynamiques en conservant toutefois ce tempo modéré qui lui est propre, ce qui donne de l’ampleur à l’ensemble et valorise la sonorité de chaque instrument et de chaque couplage.

Ainsi, cette Bo est dans la lignée de la précédente, c'est-à-dire géniale ^^ : elle poursuit fidèlement le travail commencé dans le premier opus, avec toujours le même objectif, donner le plus de couleurs possibles aux paysages et aux histoires de la Terre du Milieu. La richesse orchestrale est tout aussi grandiose, avec en plus le rôle des voix et des cordes qui évoluent considérablement vers l’irrégularité et la perte du caractère chaleureux et rassurant. La richesse thématique est tout aussi phénoménale, grâce aux apports de ce nouveau chapitre (Rohan, Eowyn, Silvebarbe, Gandalf le Blanc, ...). Ils sont tout aussi virtuoses que les anciens, et tous sont déclinés avec plus de diversité, les registres abordés étant variés et très nombreux. La Terre du Milieu est toujours autant embellie par la musique qui l’accompagne, et les nouveaux axes du film qui s’offrent à Shore lui permettent de faire évoluer sa musique dans plusieurs directions à la fois, ce qui l’enrichit plus encore, et donc lui permet de ne pas se répéter. Un immense chef d’œuvre !
Soundtrax
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le 27 déc. 2014

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