Tostaky
7.6
Tostaky

Album de Noir Désir (1992)

"Crawling like a thunder slug
Now it smells like a war drug"

Rapides, furieuses, saturées, irrésistibles. Les premières notes de "Here it comes slowly" s'abattent sur l'auditoire tel le marteau de Thor sur le crâne des géants nordiques. Alors que l'épuisante tournée "Du Ciment sous les plaines" a presque tué le groupe, Noir Désir revient plus fort que jamais et met les choses au point dès le premier morceaux de son quatrième album. La chanson est une charge virulente contre l'extrême droite doublée d'une décharge d'adrénaline brute donnant envie de casser les murs de sa chambre à grand coup de head-banging. L'énigmatique titre du disque, "Tostaky", devient alors limpide. Cette contraction argotique de "Todo está aquí" est l'aveu simple et percutant d'une formation musicale arrivée à maturité : "tout est là". Le son, le chant, les paroles... tout ce qu'a été, tout ce qu'est, tout ce que sera Noir Dez se retrouve dans cet album.

Produit en Angleterre "Tostaky" se débarrasse complètement des oripeaux folk des débuts avec un son beaucoup plus lourd, beaucoup plus saturé. Plus que jamais les bordelais se font fils du post-punk américain. Loin d'avoir vécu l'échec commercial de "Du ciment sous les plaines" comme un échec personnel ou même artistique Noir Désir ne met pas d'eau dans son vin et s'entête dans un Rock pur et dur.
Les arrangements se veulent épurés, efficaces. L'énergie et l'émotion brute passent avant toute chose. De la batterie ouvrant "Ici Paris", à la basse de "it Spurts" en passant par la guitare acérée de "Alice", chaque membre du groupe arrive à faire vivre son instrument sans jamais rompre la cohésion de l'ensemble. Les musiciens excellent aussi bien dans la mélodie lancinante ("Oublié"), les ambiances intrigantes ("One Trip/One Noise") que dans la déferlante bruyante ("7 minutes" même si cette dernière s'étale trop en longueur).
En maître de cérémonie Bertrand Cantat pose sa voix, toujours plus rocailleuse, comme un ciment naturel pour cet édifice musicale qui semble indestructible. Aussi à l'aise dans les élans de colère que dans les murmures intimistes le chanteur délivre une performance hypnotisante. Le morceau incontournable de Tostaky n'est autre que la chanson éponyme "Tostaky (le continent)", véritable coup de poing en pleine gueule pour quiconque pose ses oreilles sur ce disque.

"Todo está aquí", le rêve américain. Pas celui de 4 musiciens bordelais faisant de la musique comme le Gun Club mais celui de millions d'individus d'Amérique latine broyés par la misère. C'est cette histoire que raconte "Tostaky (le continent)". Une histoire qui se raconte avec un riff fiévreux, vertigineux, inoubliable. Une histoire qui se raconte dans la colère et le bruit, sans échappatoire ni pause, jusqu'à un solo final endiablé de plus d'une minute. Une histoire qui se raconte en français et en espagnol dans des textes qui fustigent la folie des hommes et la course à l'argent. Une histoire qui s'achève par ces mots hurlés jusqu'à la mort :

"Soyons désinvoltes, n'ayons l'air de rien"

Un cri, un hymne.

Car "Todo está aquí" est également, et avant tout, un cri de ralliement des révolutionnaires zapatistes. Une formulation à portée politique que l'on retrouve dans la radicalisation des paroles. Si la musique se veut plus violente, les textes le sont également. Du premier degré anarchique de "Johnny colère" aux détours allégoriques d'"Ici Paris" Noir Désir est sur tous les fronts pour combattre, avec leurs armes, les injustices et les obscurantismes. Même l'histoire, à priori banale, d'une prostituée en temps de guerre prend des atours politiques dans la très belle balade "Marlène", une chanson aussi touchante qu'elle est mélancolique.
Au delà du militantisme les textes de Cantat nous parle aussi beaucoup des ses démons intérieurs comme dans "Sober Song" à l'humour noir déstabilisant.
Ce n'est sans doute pas un hasard si la magnifique "Lolita Nie en Bloc" sert de conclusion à l'album tant la chanson est une synthèse de ces deux mamelles du son Noir Désir. La délicate mélodie aérienne du couplet laisse place à une explosion noisy sur le refrain. Une violence qui n'a d'égale que la douceur l'ayant précédé. Il se dégage alors de ce chaos apparent une cohérence singulière, celle d'une musique pure, qui ne fait pas de compromis.

"La rage" dont nous parlait Noir Désir sur leur premier album est désormais maîtrisée, transcendée, magnifiée avec ce quatrième opus. Un disque tout en nerf et en chair abolissant les couleurs et les frontières, mélangeant les langues et les colères. Todo está aquí, tout est là, un disque d'une force écrasante. Tout est tellement là que 20 ans après sa sortie le Rock français cherche encore le moyen de se remettre du choc... s'il peut s'en remettre.
Tostaky fait plus que du très grand Rock français, il fait du très grand Rock, point.
Vnr-Herzog
9
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le 26 avr. 2012

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