J'me sens comme une bamba triste

Avant même de savoir ce qu'on attend des Queens of the Stone Age il convient de se demander ce qu'on attend d'un album de musique. Un album peut être considéré comme une compilation avec un, deux ou trois tubes qu'on enrobe de neuf ou dix ou onze chansons supplémentaires pour justifier le prix et remplir la setlist de la tournée puisque des concerts de trois chansons n'attireraient personne. Cette compilation est alors comme un catalogue de chansons dans lequel on vient piocher, artiste comme auditeur, et il arrive même que cette compilation contienne douze tubes
Ou bien on peut considérer un album de musique comme un travail artistique à part entière, avec un début, une fin, un cheminement et des thématiques. Chaque chanson venant compléter une autre pour donner une cohérence et une direction.


J'ai toujours considéré un album de la seconde façon. Il ne faut pas confondre avec le concept album qui est une façon bien spécifique de concevoir un album : prendre une thématique identifiée et réunir les chanson autour (comme Song for the Deaf qui est imaginé comme un voyage en voiture à travers le désert californien) ou composer les chansons pour que l'ensemble raconte une histoire (comme Tommy des Who qui est conçu comme un opéra rock avec ses personnages, ses actes et sa progression narrative). Le concept album est sans doute la forme la plus évidente de cette façon de voir un album mais il ne s'agit pas de ça. Bien sûr qu'un album peut s'appréhender au compte-goutte, en prenant les chansons comme on le veut et à l'heure de Spotify et du mp3 vouloir conserver une lecture globale d'un album, comme un tout avec une existence artistique propre, au lieu d'un simple réservoir de chansons est un peu anachronique. Soit, admettons.


Mais...


Que certains albums soient vraiment conçus comme du remplissage de vide autour d'un tube ( comme Night Visions d'Imagine Dragons qui n'existe que grâce à Radioactvie ) n'enlève pas qu'enregistrer un album c'est réunir pendant un certain temps (de quelques jours à plusieurs mois) des musiciens pour qu'ils en accouchent. C'est un travail durant lequel même des chansons vieilles de plusieurs années sont retravaillées et parfois transformées. De cette promiscuité et de cette dynamique émerge forcément quelque chose d'unique et de propre qui transcende la chanson seule et va s'exprimer dans tout l'album. De la même manière l'ordre n'est jamais anodin pas plus que le choix des chansons finalement gardées lors des sessions, parfois la majorité du matériel enregistré n'est pas conservé. Un album va forcément témoigner de ce qu'il se passe lors d'une session d'enregistrement, d'un bout à l'autre et dans l'ordre déterminé il va nous raconter quelque chose de plus que la simple somme des notes ou paroles qu'il contient. Dès lors qu'il y a ces choix il y a une prise de position artistique et tout cela, on ne peut pas l'enlever à un album.
D'ailleurs l'émergence des nouveaux modèles économiques permettent à l'artiste de s'affranchir du concept d'album, désormais on peut publier ses chansons quand on veut si on le souhaite et ainsi échapper aux contraintes de l'album. C'est aussi pour ça que les albums de remplissages sont aussi insupportables, pour ça que découvrir un groupe par un best-of n'a pas grand intérêt, pour ça qu'il me parait inconcevable de ne voir dans un disque qu'une bête compilation de titres.


Nous revoilà à Villains, septième album des Queens of the Stone Age et premier du groupe sans aucune guest star. Un recentrage assez étonnant pour une formation qui a toujours été une sorte de Power Band de musiciens allumés. Etonnant aussi, la présence de Mark Ronson à la production, spécialiste du dance floor et du single qui claque. Un disque sous le signe du changement mais au bout du compte que nous raconte Villains ?


Ce qui ressort après de longs mois d'écoute c'est que Josh Homme a voulu faire son "album de chanteur", ça sonne un peu péjoratif dit comme ça mais c'est intentionnel. Chacun a le rapport qu'il veut avec les chansons mais en ce qui me concerne j'accroche d'abord à la musique : un riff, une rythmique, une atmosphère générale, une structure. Les découvertes de certains morceaux sont resté si bien gravées dans ma mémoire que je peux en relater chaque seconde : l'entrée de la batterie dans Smells Like Teen Spirit, le pont à la guitare au milieu de First it giveth, la basse de Debaser, etc... vous avez saisi l'idée. Et donc si une voix peut me déranger beaucoup (j'ai par exemple mis beaucoup de temps à m'habituer à Max Cavalera) il est hyper rare que ça soit l'élément qui me fasse adorer une chanson. Très souvent quand un groupe fait son "album de chanteur" ça se fait en opposition des instruments et je n'arrive toujours pas à comprendre en quoi des riffs acérés, une batterie qui sonne l'apocalypse rendent impossible l'expression d'une voix. Comme tous ceux qui ont dit "Avec Unplugged in New York Kurt Cobain prouve qu'il sait chanter". Excusez-moi mais c'est une réflexion d'abrutis, tous ceux qui ont écouté le reste de la discographie de Nirvana étaient au courant depuis longtemps. Ainsi quand un groupe fait en sorte de mettre en avant cet aspect au détriment du reste c'est toujours très compliqué pour moi. C'est encore pire quand un artiste s'essaye aux performances vocales pour le plaisir de montrer qu'il sait le faire. Même pour Queen, la voix de Freddy Mercury est incroyable mais c'est bel et bien la structure folle en grand huit musical qui fait de Bohemian Rhapsody un morceau génial.


Et dans Villains j'ai eu cette sensation. Quelque part si Josh Homme n'a pas voulu s'entourer de musiciens extérieurs comme avant, alors qu'il sortait de l'incroyable Post Pop Depression avec Iggy Pop, c'est sans doute pour s'exprimer vraiment à sa façon. Malheureusement il tombe dans les pièges de cet exercice. Bien sûr il y a le son qui n'a plus rien de la lourdeur qui faisait le sel des Queens of the Stone Age mais quelque part ...Like Clockwork avait préparé le terrain, il reste bien des saturations mais tout sonne trop maîtrisé, ça manque de rugosité et de puissance. Mais s'arrêter à la production d'un album c'est bon pour pour les Inrocks ou Pitchfork et leur critiques d'ingé son pour qui le bon rock c'est celui qui fait tout pour ne plus en être.
Ce qui est vraiment problématique avec Villains c'est que cet album contient les deux pires chansons jamais écrites par Josh pour les QOTSA. Un-Reborn Again et Hideaway sont des morceaux à la fois chiants et pénibles à écouter. Trop de couches, trop de chichis. C'est la première fois que je déteste vraiment des chansons des QOTSA, même lors de premières écoutes déstabilisantes de Era Vulgaris ça ne faisait pas ça. Era Vulgaris est un album imparfait et bancal mais je n'échange pas sa hargne et son bordel créatif réjouissant pour la facilité démonstrative et pompière de Un-Reborn Again et Hideaway.


Autour ça patauge beaucoup Fortress et Head Like a Haunted House en font trop dans leurs genres respectifs et ressortent par l'oreille droite aussitôt entrée par la gauche. Le premier single The way you used to do accroche déjà plus, si on arrive à faire abstraction des agaçants clappements de mains qui ne s'arrêtent jamais, mais ses allures de compo passe-partout pour radio en font une chanson efficace mais peu mémorable. Il y a aussi le cas The Evil has Landed avec ses ruptures rythmiques, ses avalanches de riffs et sa cavalcade finale. Il y a assurément de chouettes choses dedans mais l'ensemble sonne un peu faux, dans le sens où ça ne décolle jamais vraiment, même son final semble joué sans conviction, en mode oh bah on va faire du stoner du dimanche. Six minutes agréables mais au cours desquelles le morceau n'est jamais plus que l'ombre de ce qu'il aurait pu être. Reste Domesticated Animals qui s'en sort mieux.


Il n'y a pas de locomotive à cet album, il manque la chanson en mode mawashi-geri qui te démonte la face. Rien qu'en s'attardant sur le chef d'oeuvre Song for the Deaf et ses coups de latte dans la glotte que sont You Think I Ain't Worth a Dollar, But I Feel Like a Millionaire, Go with the Flow ou A Song For The Dead et sa moissonneuse-batterie; on comprend ce qu'il manque à Villains. Littéralement, les Queens of the Stone Age sont devenus un groupe France Inter. J'aime bien France Inter hein, je n'écoute d'ailleurs que cette station mais je ne l'écoute pas pour sa programmation musicale. Quand t'es coincé entre Alain Chamfort et Etinne Daho, ça fait fait tout drôle. Qu'on le veuille ou non Josh Homme a toujours été une machine à riffs imparables et lorsqu'il accouche d'un album faiblard de ce côté là j'ai vraiment du mal à y voir autre chose qu'une perte créative sèche. Même le pourtant pas heavy du tout ...Like Clockwork réussissait à proposer des trucs plus excitant de ce côté avec My god is the Sun par exemple.


Cependant, et c'est là où le long laïus introductif va trouver son intérêt, Villains réussit quelque chose d'assez étrange grâce aux deux morceaux qui encadrent les autres. Le choix de Feet Don't Fail Me pour ouvrir l'album est parfait. Non seulement il se pose comme une note d'intention d'un Josh Homme qui doute mais ne veut pas abandonner mais, surtout, cette lente montée de synthé brisée par la guitare et les roulements de caisse claire au bout d'une minute est le genre de truc à vous coller des frissons. Le reste du morceau ne faiblit pas, pas vraiment virtuose mais diablement énergique. Une énergie que ne retrouvera jamais le reste du disque.
En guise de conclusion les QOTSA balancent Villains of circumstance, balade d'une beauté sidérante. Le seul moment du disque où Josh Homme arrive à concilier son envie de prouver qu'il sait jouer de la voix (alternance entre l'intimité chaude des couplets et les envolées des refrains) et l'ébullition musicale avec des mélodies séduisantes et un final cathartique. C'est probablement la meilleure chanson présente sur un disque du groupe depuis 10 ans, soit deux albums, et c'est, à ce titre, la meilleure façon de finir Villains. Un son différent mais génial, qui laisse une impression grisante en fin d'écoute faisant presque oublier la faiblesse du reste.


Presque. Pas tout à fait. Villains of circumstance a ceci d'ironique que c'est la plus vieille composition de l'album : elle date de 2014. Presque un témoignage d'un autre temps, avant la tournée avec Iggy, avant le Bataclan (Josh est le batteur studio de Eagles of Death Metal et ami proche du chanteur Jesse Hughes). Que penser de Villains finalement ? Pour nous avoir apporté Feet don't fail me now et surtout l'incroyable Villains of circumstance il convient de dire merci à cet album d'exister. Cependant difficile de se débarrasser de la mollesse, de la mise en retrait... du renoncement qui plane sur le reste du disque. La production est clinquante mais les compos tirent globalement la gueule, ...Like Clockwork manquaient de cohérence et se terminait en eau de boudin par une chanson titre sans intérêt mais il s'écoute en tant qu'album. Villains est trop transparent et après plusieurs mois il ne résiste définitivement pas à ses faiblesses, ce n'est pas un album qui s'écoute en tant que tel.


Villains n'est réellement mauvais qu'à des moments très précis mais il se pose tout de même comme une authentique déception car c'est la première fois que la sensation de remplissage est aussi prégnante et désagréable. Un disque qui se cherche sans se trouver, qui essaye de prouver des choses mais pas de la bonne façon. Une déception mais paradoxalement pas une hérésie non plus car, de Villains, émerge deux pépites, dont Villains of Circumstance qui s'impose comme le véritable chef d'oeuvre intimiste de Josh Homme. Deux chansons formidables, certain diront que c'est plus que ce que certains groupes ne feront jamais. Peut-être mais en réalité c'est la tristesse qui domine car Villains est condamné à n'exister que de cette façon : fragmenté, dilué, dissout dans une playlist Spotify/iTunes/ChoisisTonArmeCamarade au milieu d'autres chansons.

Vnr-Herzog
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le 1 juil. 2018

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