Zappa ’88: The Last U.S. Show (Live) par XavierChan

La dernière tournée de Frank Zappa en 1988 s'est clôturée sur un échec artistique et financier cuisant. On ne refera pas l'histoire, une ligue de zicos s'était montée contre le bassiste Scott Thunes et ses choix douteux de réorchestrations de grands classiques du répertoire de Zappa et la santé de plus en plus problématique de ce dernier ont précipité sa géniale formation de 11 musiciens dans le gouffre. Après la tournée européenne au lendemain de ce grand show un soir de mars 1988, Frank Zappa disparaîtra des radars américains et ne se produira plus. La suite se passera en Europe de l'Est, là où souffle un vent de liberté qu'il ne connut plus depuis la fin des seventies.


Volontairement politique, peut-être plus encore que les show présentés sur Broadway The Hardway, The Best Band You Never Heard In Your Life et Make A Jazz Noise Here, Zappa invite le public à aller s'enregistrer pour voter en faveur de la démocratie. Une représentante fera son speech en guise d'introduction avant que le public ne soit invité à aller s'enregistrer le temps de la pause réglementaire au bout d'une heure de concert dont l'énergie force le respect. Au cours de cette tournée de 1988 Frank Zappa est régulièrement épuisé, répète peu (une folie compte-tenu de l'exigence du maître), joue très peu de guitare, laisse les conflits internes aux oubliettes et éprouve toujours plus d'intérêt pour cette machine redoutable qu'est le saint-clavier. Pourtant, The Last U.S. Show demeure la vitrine remarquable d'une formation en pleine possession de ses moyens, maîtrisant aussi bien la funk, le reggae, le hard-rock, le doo-wop, les reprises, baignés dans une infatigable satire des Etats-Unis, de la censure, des télévangélistes à la con, des républicains, bref tout ce qu'insupporte Frank Zappa ici dans une posture de donneur de leçons qui peut aussi bien fatiguer que fasciner.


Dernièrement, Neil Young tournait en faveur d'une agriculture plus verte et voulait la mort de Monsanto, ici Zappa prône la liberté et encourage la populace à se presser dans les urnes, entre deux envolées fabuleuses (les plusieurs parties de The Torture Never Stops, la réorchestration de Sofa #1, les chœurs du toujours fabuleux Sharleena), quelques revivals impensables de la première formation des Mothers of Inventions qu'on ne croyait plus jamais interprétés. On est impressionné par la quasi improvisation funk-jazz de A Pound For A Brown, finie au synclavier et à la guitare électrique grasse, par le très attendu et juste parfait The Beatles Medley, le solo de Stairway To Heaven réalisé par la section des vents et admiré par Jimmy Page himself et bien d'autres morceaux dont les paroles sont retravaillées pour l'occasion. Certains diront que cette formation est la plus belle de Zappa, d'autres qu'elle est trop politique ou vieillit mal, les allergiques au synclavier trouveront que les petites giclures (et rots) ça et là n'apportent rien. Pourtant le résultat final demeure une impressionnante démonstration de rythmes et de textures, de réorchestrations grandioses et malgré tout d'invitations à la fête. Avec son bras droit Ike Willis, Zappa s'époumone, égraine les "thank you" plus encore qu'avant, pousse sa voix dans ses derniers retranchements rauques et multiplie les arpèges salasses à la guitare dont le son sur cette tournée, à la vue des sorties précédentes de la même époque, nous paraît maintenant bien familier. Le morceau de clôture, America The Beautiful, est quant à lui bien amer : le "see you in the fall" de Zappa au public n'aura pas lieu.

XavierChan
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le 12 août 2021

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