Bételgeuse, intégrale
7.5
Bételgeuse, intégrale

BD franco-belge de Leo (2006)

Bételgeuse, Tome 1: La Planète.

Bien sûr, on change de planète. Après Aldébaran l'aquatique, voici Bételgeuse la désertique, aux 9/10e couverte d'immenses surfaces tabulaires dépouillées de végétation, et d'une platitude qui évoque les meilleurs moments de Marc Lévy.

Bien sûr, il y a le côté grouillant et inconscient, dangereux ou pas, enfoui dans de superbes canyons verdoyants, d'une profondeur à couper le souffle, et dont les parois très verticales laissent sourdre de puissantes cascades, dont l'eau ne fréquente plus la surface des déserts depuis belle lurette.

Bien sûr, les mentions marginales (pages de garde) commencent à ressembler à une exploration de l'univers. Comme Aldébaran-4, Bételgeuse-6 est un géoïde, dont les caractéristiques astrophysiques sont assez banalement proches de celles de la Terre. La gravité y est moindre que sur Aldébaran (les personnages ne semblent rien éprouver à ce sujet, quoique le différentiel soit proche de 30%). La période jour/nuit est sensiblement celle de la Terre. Seule la répartition mer/terre est dissemblable.

Pourtant, sur le fond, "Bételgeuse" commence à la manière d'un clone d' "Aldébaran": une ado pubère nue ou presque, qui se fait des copains avec les créatures du coin. Un gouvernement militaro-fasciste qui veut transformer les filles en pondeuses dès qu'un téton commence à leur poindre. Une "Mantrisse" locale, qui se manifeste en expulsant du sol de curieuses grappes de ballons blancs, et qui reçoit probablement des messages de la "Mantrisse" d'Aldébaran. Un groupe d'humains en dissidence, pas d'accord avec la manière dont les fachos locaux approchent les problèmes de la colonie humaine...

Bref, on en est réduit à chercher les différences. On peut en trouver dans les créatures locales, ce dans quoi excelle l'imagination de Léo: les iums, sortes de gros pandas forestiers noirs et blancs, ronds et gentils comme des dauphins ou des schtroumpfs; une "baleine des sables", grosse larve flasque gigantesque qui aspire le sable puis le rejette pour se propulser; une sorte d'énorme unicorne à pointe bleue et pourvu d'une grosse queue recourbée vers l'avant; un oiseau superbement tigré, etc.

Bon, comment Kim et ses copains vont-ils se retrouver sur Bételgeuse ? Simple: Alexa envoie Kim voir pourquoi les communications sont coupées depuis longtemps avec la colonie humaine de Bételgeuse. Ce thème de la communication rompue apparaissait en ouverture d' "Aldébaran".

Le plus impressionnant dans cet opus est le réveil d'une jeune couple mignon, Hector et Inge, dans un vaisseau perdu en orbite autour de Bételgeuse, et où tout le monde est mort. Bien mis en scène.


Tome 2: Les Survivants.

Kim débarque sur Bételgeuse, et fait la connaissance de la faune locale, guère plus gentille que les fachos militaires qui la retiennent en semi-captivité. Hideuse créature verte, sorte de grenouille géante osseuse, qui harponne et tire à elle ses proies au moyen d'un crochet pointu éjecté de sa poitrine.

Kim, qui a quitté Marc (un peu volage), trouve plus de charme à Hector (musicien comme dans "Aldébaran") qu'à un petit blondinet de lieutenant, assez lourd dans ses entreprises de séduction.

La polychromie des créatures locales, utilisant le mauve ou le violet, ajoute à l'exotisme. Sauf qu'avec les "affreux", sorte de hyènes à long cou et aux crocs énormes, le charme s'arrête. Lesquels affreux se sont d'ailleurs aisément égorger par un minuscule cabot surnommé "ourson"...

Kim a du mal à accepter la mentalité machiste qui règne sur Bételgeuse, surtout que les femmes du coin la soutiennent avec conviction. Va-t-elle entreprendre de réconcilier les deux clans humains qui se disputent Bételgeuse ? Toshiro et Leïla, les défenseurs écolos marginaux de l' "humanité" supposée des iums, ont également à surmonter la responsabilité d'avoir laissé mourir un grand nombre de personnes dans le vaisseau spatial qui tourne en rond autour de Bételgeuse.

Sur Aldébaran, Alexa a tenté de se suicider. Curieuse approche des effets des gélules de la "Mantrisse". Car ce comportement ne peut être introduit dans le scénario que par la conviction, assez répandue, que l'immortalité n'est pas souhaitable, parce qu'on devient las de vivre : les mémoires sont saturées.

Désolé: cette lassitude provient elle-même du processus de vieillesse, et, dans un organisme immortel (comme dans certaines cellules), la mémoire ne se sature jamais, car elle disparaît au fur et à mesure du temps qui passe, en se recombinant aléatoirement: de trois souvenirs qui fusionnent, on n'en fait plus qu'un seul... La Mantrisse aurait-elle oublié de régénérer les mémoires de ses fidèles ? Pas cohérent.

Malgré tout, l'impression de "déjà vu" domine, d' "Aldébaran" à "Bételgeuse". Et puis Kim a beau se mettre en petite culotte, elle est plutôt moche.


Tome 3 : L'Expédition.

Le récit s'oriente vers les Iums : s'ils se révèle qu'ils sont d'intelligence comparable à celle des hommes, la colonisation de Bételgeuse par l'espèce humaine sera interdite par l'O.N.U.

Ouais. Drôle d'idée, pour l'espèce humaine, que de prendre l'intelligence pour critère d'asservissement des autres espèces. Comme par hasard, c'est le critère qui lui laisse les plus grandes chances de donner libre cours à son impérialisme. Car il y a un autre critère, bien plus universel et bien moins anthropocentré : celui d'être vivant. Etre composé de cellules (ou d'autre chose que des cellules, d'ailleurs) qui ont besoin de prélever des ressources dans le milieu pour maintenir leur fonctionnement, et d'expulser - ou pas - des résidus métaboliques. Cela nécessite donc d'avoir un milieu, une niche écologique qui offre ces ressources, et que d'autres espèces ne doivent donc pas démolir pour que l'espèce colonisable survive. Voilà qui serait une idéologie vraiment écologique ! Les lézards, les champignons et les laitues participeraient enfin à ce "développement durable", nouveau parangon oxymorique du politiquement correct.

Les Iums, gentils pandas que certains assassinent, font, comme ça, bons gros nounours pour tout-petits. Kim, Toshiro et Leïla entreprennent une expédition aquatique au fond d'une des verdoyants canyons de Bételgeuse, afin d'étudier les moeurs des Iums. Pas facile, avec les fachos militaires de Bételgeuse embarqués dans le même bateau.

Les Iums seraient dotés d'une pile énergétique dans le ventre, qui leur permet de survivre. Ils ne mangent pas. Belle imagination, quand cet album va être lu par des milliers d'addicts au MacDo, concoctant avec assiduité leur surpoids et leur diabète de type 2 qui les surprendra à la quarantaine. Les Iums fréquentent des cavernes dans lesquelles ils entassent certains fruits, font du feu, et même des peintures murales. Ils auraient même une vie spirituelle. Une curieuse racine souterraine en profite pour palper la tête de Kim. Ne me dites pas qu'elle est amoureuse, elle aussi !

Jolies bébêtes: oiseaux au plumage multicolore superbe, énormes requins à double nageoire dorsale, une sorte de gros animal-dirigeable à quatre ailerons disposés en carré, muni d'un torse filiforme qui cueille des fruits.

Les vieux briscards vont bientôt se retrouver : Alexa convainc Marc de l'accompagner sur Bételgeuse. Et le vieux Pad s'embarque avec eux d'autorité !

Sexe (il en faut, sinon cette expédition écolo semblerait un peu trop pastel) : Hector est accro à Kim (un de plus, mais putain, qu'est-ce qu'ils lui trouvent ?), et se refuse à la plantureuse Inge, qui ferait perdre leur sang-froid à plus d'un. Steve empêche Kim de coucher avec Toshiro.

Sur le fond, Kim est confrontée à une rencontre numineuse avec la version locale de la Mantrisse. Kim et Toshiro se retrouvent enfermés dans une des cavernes des Iums, ce qui introduit un thème "souterrain" dans lequel, normalement, des mutations décisives doivent se produire. Déjà, une curieuse boule espionne le groupe d'explorateurs, et les Iums semblent porter une certaine sollicitude vis-à-vis de Kim...

La construction du récit, où s'entrelacent avec pertinence plusieurs quêtes, soutient et captive.


Tome 4 : Les Cavernes.

Les cavernes de Bételgeuse sont animées : une sorte de de gros quadrupède glabre aux pieds palmés, de gros insectes noirs fouisseurs, sinistrement équipés de pinces d'araignée, de grotesques humanoïdes bleutés et maigrichons, mais qui savent fort bien faire claquer les dents de carnivore dont ils disposent, des dinosaures noirs à longue queue pourvus d'une tête entre le phoque et le pitbull, un langouste verte à museau d'espadon et dotée d'une queue ophidienne qui lui permet une nage rapide et des bonds vigoureux...

Et, dans la forêt, des serpents-plantes verts fructivores (planche 8), de gros insectes rouges arboricoles aplatis, se déplaçant en groupes nombreux (planche 33).

Les chassés-croisés amoureux se poursuivent, sans autre signification apparente que les opportunités offertes par la réunion ou la séparation des couples. Inge couche avec Steve, qui commence à complexer de ne pas avoir eu Kim. Ca fait deux fois que la belle Inge se trouve dédaignée par de beaux mecs qui fantasment sur Kim ; vu le physique et le charme de l'une et de l'autre, il y a quelque part un déficit de vraisemblance. Il était temps d'ailleurs que Steve goûte aux plaisirs des sens, car sa mort héroïque pour sauver ses camarades ne lui vaudra guère que d'élégantes oraisons funèbres du type « il était une vraie tête de mule », « Jamais vu un mec aussi coincé ». Moyen, pour un héros qui va jusqu'au sacrifice suprême pour sauver les autres. Le prétendu « humanisme » d' « Aldébaran » réinterprété par des femmes pour des raisons de cul...

On est quand même un peu dans le conte de fées, avec l'apparition d'adjuvants assez nombreux, en des moments et en des lieux où l'on n'en attendrait guère. Ici, la sphère flottante qui guide Kim et Hector à travers les pièges des cavernes. Cela limite la crédibilité du scénario, et anesthésie quelque peu l'anxiété que le lecteur peut éprouver à suivre les personnages dans des aventures dramatiques : on sait maintenant que les épreuves subies par les personnages vont se trouver rapidement surmontées ou atténuées, à commencer par les gélules de la Mantrisse, qui rendent visiblement immortel et confèrent à leur consommateur des capacités de régénération inconnues dans l'espèce humaine.

Les Iums, ici, interviennent d'ailleurs à pic pour tirer Kim, Inge et Hector des affres d'une chute libre potentiellement mortelle... On sait enfin ce que font les Iums dans les cavernes : beau cas de parasitisme mutuel où intervient un animal-estomac de taille monstrueuse.

Complication dans le mythe de la Mantrisse locale : elle apparaît aux yeux de Maï Lan, la petite sauvageonne nue, mais en compagnie d'un humanoïde pourvue de nageoires, qui la cornaque carrément. Maï Lan entre dans le club très fermé des chéris de la Mantrisse, et manifeste des désirs vis-à-vis d'Hector... Lequel Hector va avoir fort à faire, entouré de trois femmes peu farouches. Heureusement, Alexa et Marc sont sur le point d'arriver, pour redonner du piment aux histoires de fesses.

De très belles images, magnifiées par les parois verdoyantes et verticales des canyons de Bételgeuse : le bond du requin planche 7, par exemple.


Tome 5 : L'Autre.

La Mantrisse devient un lien cosmique, quasi mystique, d'une planète à l'autre, d'un album à l'autre. Il y a bien deux Mantrisses sur Bételgeuse, et elles communiquent avec celle d'Aldébaran, contribuant à tisser à travers le cosmos une sorte de réseau tridimensionnel aux formes étranges. De plus, les pouvoirs télépathiques de la Mantrisse, soulignés dans cet épisode, donnent le sentiment que les pouvoirs de perception de ces créatures peuvent s'étendre en réalité à de très grandes distances, et que les acteurs humains du scénario sont épiés en permanence à leur insu.

La Mantrisse de la rivière n'est pas forcément sympa, elle attaque Kim, mais elle paraît beaucoup plus petite que celle d'Aldébaran. On apprend que les Mantrisses ne sont pas immortelles, mais vivent plusieurs milliers d'années. Ca casse leur côté divin.

Kim rencontre un bel extraterrestre au nez aplati (ce qui lui donne l'air de porter un casque à nasal intégré), qui lui révèle des tas de choses sur la Mantrisse, et qui, accessoirement, engrosse Kim. Pour être transcendant (on ne le reverra plus, paraît-il. Adieu, je t'aimais, et tout ça...), il ne nous inflige pas moins de lourds poncifs sur la relation extraterrestres-humains : beau corps bodybuildé qui impressionne Kim (il paraît que ses attributs masculins ne sont pas mal non plus), refus des gens de son espèce de communiquer avec les humains parce que ces derniers sont trop violents et destructeurs, notion de race "plus évoluée" ressassant la logique d'une hiérarchie qualitative dans l'évolution (et sous-entendant donc la possibilité d'un racisme fondé sur le degré d'évolution).

Heureusement, le tropisme "humaniste" revient: l'extraterrestre, "Sven" (bon, pourquoi pas ?), est fasciné par certains des humains qui sont "généreux, brillants, altruistes" (bon, on va dire extravertis et sociables), dont Kim. Ledit Sven a espionné Kim avec ses petites sphères volantes pendant des années, y compris dans ses exploits au plumard. On retient l'idée que les introvertis qui doutent ne méritent pas l'intérêt des extraterrestres.

Episode où l'on apprend que les Iums s'auto-conditionnent en provoquant une transe chez eux pour communiquer avec le Mantrisse, et se droguent avec des fumées hallucinogènes. Même les pandas sympas se comportent comme des ados déboussolés. Bien la peine de faire preuve d'une imagination iconique remarquable pour créer de nouvelles espèces vivantes, si c'est pour prendre comme référence paradigmatique le comportement de terriens bien terriens !

Les scènes à sujet sexuel se multiplient (déjà que !). En plus de la copulation de Kim avec Sven (qui fait de Kim la Mère porteuse primordiale d'un métissage à l'échelle cosmique, excusez du peu !), la "petite" Maï Lan poursuit de ses assiduités Hector, qui adore Kim. Et le colonel Donovan, au physique de vieux baroudeur blanchissant, avoue son admiration pour Kim.

J'ai toujours pas compris ce que tous ces gens trouvent à une fille comme ça.

Bon, le vaisseau spatial retrouve ses ordis en état de marche, et tout le monde se sépare en attendant une nouvelle coupure chronologique où il ne manquera pas de se passer des choses. Il faut bien modifier les données avant de passer au troisième cycle ("Antarès"), mais on est déjà sûr d'y retrouver des bestioles bizarres et des nymphettes plutôt chaudes.

Bételgeuse ne sera pas colonisée, parce qu'il y a des espèces intelligentes dessus. Tout dépend de la définition qu'on donne à l'intelligence. A mes yeux, la vie elle-même, dotée de processus d'adaptation mêmes aux niveaux les plus élémentaires, est intelligente. Donc, les bactéries sont intelligentes. A ce train, il doit bien rester quelques astéroïdes stériles dans l'univers, que l'humanité pourrait coloniser. Jusqu'à ce que la définition de l'intelligence se raffine, et qu'il faille décoloniser. On sent bien que le côté "scientifique" de cet impérialisme cosmique a quelque chose de foireux.
khorsabad
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le 23 déc. 2011

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