Quand j’ai appris qu’Akata allait publier Dans l'intimité de Marie, j’ai eu deux réactions : la première, j’étais contente de savoir que Shûzô Ôshimi arrivait en France. Et ensuite, je me suis dit que c’était un bon espoir de voir un jour Aku no Hana se faire également une place dans notre contrée. Je me suis également interrogée sur le choix de publier ce titre qui, à la lecture, m’a paru un tantinet moins controversé qu’Aku no Hana qui est très incisif. Une façon de préparer les lecteurs peut-être ? Aucune idée mais toutes les perspectives sont possibles. Quand j'avais posé la question à l'éditeur, il a dit que cela dépendrait des retours sur ce titre...


Pour autant, n’allez pas croire que Dans l’intimité de Marie n’a pas une petite touche « titre tordu ». Shûzô Ôshimi est un auteur suscitant diverses réactions. Qu’on l’aime ou non, on ne peut pas dire que ses titres laissent indifférents. J’ai été tellement perturbée par Aku no Hana, par exemple, que jusqu’à présent, je reste stupéfaite. Dans l’intimité de Marie a provoqué la même réaction montrant à nouveau l’affection particulière du mangaka pour les concepts un brin dérangeants mais… Captivants !


Le titre a de quoi dérouter. D’une part, on ne sait aucunement comment l’évènement se produit. Isao se retrouve dans le corps de Marie mais sans pouvoir l’expliquer. On a l’impression qu’il a eu un blackout avant de se réveiller dans son corps. En outre, c’est surtout ce qui en résulte qui va grandement intéresser : Où est Marie ? Si le jeune homme est dans son « intimité », la logique voudrait que la réciproque soit pareille pour la jeune lycéenne. Sauf que là, le mangaka va nous prouver très rapidement que l’histoire pourrait être bien plus complexe qu’on ne le pense. En effet, le jeune homme se rendant compte que la demoiselle n’est pas dans son corps, une enquête va rapidement se mettre en place pour Isao comme pour le lecteur.


Mais avant d’en arriver à cela, on a en premier lieu, une longue phase où le personnage va partager "l’intimité" de Marie. Quelque part, il va apprendre qu’en la découvrant, il est le parfait opposé de Marie. Il y a tout un travail de repérage qui est bien mis en exergue par le mangaka car le fait qu’Isao soit déboussolé est parfaitement légitime. Là où le personnage aurait pu très rapidement paniquer, il va se contenir de façon à préserver l’intimité de la jeune fille. Ce procédé s’avère assez paradoxal mais déconcertant mais prenant. En effet, au début, le personnage d’Isao apparaît comme un asocial dont le seul plaisir est d’aller « épier » la jeune Marie même s’il ne va pas plus loin que le fait de la regarder. Or, en intégrant son corps, il va chercher à la protéger là où il aurait pu être plus intrusif. Ce changement de focalisation est parfaitement exploité par le mangaka. Le rapport d’Isao change presque tout de suite car en réalité, il n’a aucun repère concernant Marie si ce n’est ce qu’il en voyait de loin. Il découvre ainsi ses parents, son frère, ses copines, un univers totalement étranger mais auquel il doit s’acclimater pour donner la mesure. Et même si des personnages se rendent compte du décalage, lui cherche tant bien que mal à sauvegarder les apparences même si cela n’est pas de tout repos. Marie est ce qu’il n’a jamais été : elle est populaire, appréciée de ses amies, studieuse… Bref, elle semble totalement en marge de la vie d’Isao qui est devenu un NEET, ne cherche plus à avoir de contacts avec l’extérieur mais essentiellement parce qu’il s’est senti dépassé en intégrant l’université. On arrive très aisément à comprendre qu’en intégrant le corps de Marie, une évolution sociale du personnage est vraisemblablement possible puisque si le titre touche à la science-fiction et à une petite touche d’érotisme, il me semble qu’il aborde également les rapports humains.


Cependant, le plus troublant dans ce titre, c’est sans aucun doute le fait qu’il joue sur plusieurs aspects. A travers son titre, Shûzô Ôshima cherche à interroger sur les limites de l’intimité. A cet égard, il y a un moment qui interpelle grandement dans le titre, c’est lorsque Marie (la vraie) se retourne et qu’Isao est pris au dépourvu, ce qui va entraîner le blackout d’ailleurs. Sans qu’on puisse réellement l’expliquer, on pourrait presque penser que la jeune fille cherche à faire comprendre qu’elle n’est pas dupe. J’ai été vraiment saisie par cet instant d’une part parce qu’il fait basculer l’existence des deux personnages et d’autre part, parce que le mangaka montre une espèce d’immersion presque dérangeante à travers le regard indescriptible de la jeune fille. Je crois qu’il faut voir cette image pour comprendre ce que j’essaie de retranscrire. On n’est pas réellement dérangés par cette dimension propre à la science-fiction mais davantage par ce qui en résulte. Il ne faut pas oublier que Dans l’intimité de Marie est aussi dépeint par l’éditeur comme un polar. Et en ce sens, toute la partie propre à l’enquête s’avère passionnante d’autant que le personnage d’Isao ne cherche aucunement à occulter le problème. Cela l’inquiète également de voir que Marie a disparu. Quel(s) mystère(s) entoure(nt) cette disparition ? Pourquoi n’est-elle pas dans son corps ? Et surtout, qui est donc réellement dans son corps alors ? Les questions fusent sans que des indices ne soient donnés pour le moment. On a l’impression qu’ils seront donnés au compte-goutte et que des surprises pourraient bien survenir. L’entrée en scène d’une demoiselle se rendant bien compte qu’il y a anguille sous roche pourrait bien donner une nouvelle ampleur au titre. Cette dernière est d’autant plus intrigante qu’on ne comprend pas tant la raison de son trouble excessif quand elle apprend la vérité sur "Marie".


Pour le moment, on ne peut encore dire qu’on soit totalement dans l’intimité de Marie. Isao ne découvre que la façade si je peux m’exprimer ainsi. Il ne voit que les aspects extérieurs se refusant à souiller son corps. Le voit-on ainsi éviter de se/la regarder dans la glace quand il s’habille, à être précautionneux quand il choisit ses/les sous-vêtements ou encore à prendre le bain mais en bandant ses yeux.


Toutes ces réserves donnent déjà un aperçu du rapport complexe que le personnage paraît entretenir avec la gente féminine et surtout parce que Marie lui plaît et qu’il la considère comme un « ange » avec toutes les connotations que cela implique. On peut, néanmoins, raisonnablement penser que la nature profonde du et des personnage(s) n’est pas encore totalement exploitée. Isao parviendra-t-il à conserver cette ligne de conduite ? C’est aussi une question qui taraude l’esprit du lecteur. Pour autant, on ne tombe aucunement dans quelque chose de vulgaire. Le mangaka se montre assez subtile pour laisser davantage place aux interrogations qu’aux désirs primitifs de son personnage (mais est-ce pour le moment ? On ne le sait pas). Par ailleurs, on sent bien que le mangaka n’est pas totalement à l’aise dans la manière de gérer la psychologie de son personnage masculin dans un corps féminin. Mais ses tâtonnements sont néanmoins intéressants et donnent davantage de crédibilité au titre : Isao a beau être dans le corps d’une fille, certaines de ses réactions sont propres à celles d’un garçon. Tout n’est pas encore dit mais pas mal d’hypothèses jaillissent dans l’esprit du lecteur.


Il reste que bien que le personnage d’Isao soit dans le corps de Marie, sa mentalité ne change pas encore totalement pour l’instant. Certes, le personnage a une forme de bienveillance pour cette demoiselle mais fondamentalement, il conserve son caractère asocial et ne peut s’empêcher de se sentir décalé par rapport à la vie de Marie. Il inspire une forme de pathétisme. Son portrait pourra sembler très troublant. On ne sait pas la vraie personnalité du personnage à mon sens. J’attends aussi de voir ce qu’on nous dira du personnage de la demoiselle qui découvert le secret d’Isao. Il reste que bien le ton soit assez sombre voire un peu glauque par moment, on a également envie de s’attacher aux personnages.


Visuellement, on retrouve le trait très expressif du mangaka. On appréciera les espèces de gros plans sur les visages des personnages comme pour mieux trahir leurs émois. Le travail sur le fond pourra parfois sembler un peu vide mais ce n’est pas si dérangeant. L’édition d’Akata est d’assez bonne facture même s’il me semble avoir noté une coquille à un moment. Quant à la couverture, je la trouve accrocheuse quelque part même si certains pourraient penser qu’elle est troublante. A vous de voir!


Dans l’intimité de Marie propose un synopsis à la fois intrigant et jouant sur des paradoxes. Le titre étant toujours en cours, on peut espérer que des réponses seront apportées. Mais surtout, c’est les diverses interpellations qu'il suscite qui font qu’on a réellement envie de savoir où se situent les limites de l’intimité de Marie.

Heyden17
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le 23 août 2015

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