Encore un album à histoires multiples comme je ne les aime pas d'ordinaire.
Mais force est d'admettre que Natacha brille particulièrement dans ce genre de compilation et emporte l'adhésion.
Un album placé sous le sceau du fantastique et d'un des thèmes les plus appréciables et les plus emblématiques de ce genre: celui du Dopplegänger.


1) Double vol (10/10)


Quel meilleur titre pour un album jouant sur le thème du double que Double vol ?
Surtout lorsqu'on assiste à un double détournement: diégétique et extra-diégétique !
Alors, certes, il s'agit d'un poncif non du fantastique mais de l'espionnage que Walthéry et Mittéï invoquent dans cette nouvelle. Il s'agit plutôt du thème de l'agent retourné tel qu'on peut le retrouver dans la version romanesque de L'Homme au pistolet d'or ou dans de nombreuses séries d'espionnage des années 60.
Néanmoins, le récit de Mittéï joue avec ce lieu commun et se fait avant-gardiste, annonçant des Transporteur 3, des Mission:Impossible 3, Speed, en expliquant le retournement de l'héroïne par une contrainte vitale liée à un explosif.
En outre, il y a user d'un poncif et mettre en scène ce poncif. Dans le cas de Double vol, c'est tout de même une hôtesse de l'air qui est retournée, l'héroïne sans tache des cinq premières aventures, idole de toute une génération, qui vire de bord soudainement, de façon inexplicable. Celle qui a empêché plusieurs détournements d'avions se met à détourner un vol sur lequel elle officie ! Il suffit d'observer la réaction de ces lecteurs internes que constituent Walther et le Commandant Turbo pour s'en rendre compte ! Le Commandant change son "J'ai déjà vu ça" coutumier pour un "Je n'ai jamais vu ça" en passe de devenir un nouveau tic de langage.
Ce qui surprend malgré l'habitude que l'on a aujourd'hui de ce type de récit, c'est la façon dont on le prépare et la manière que l'on a de révéler au compte-goutte les indices permettant de comprendre le jeu que joue Natacha. L'intrigue s'amuse à copier le début du tout premier album, Natacha hôtesse de l'air et ne le modifie que pour prêter une étrange mauvaise humeur à Natacha. Cette inquiétante étrangeté trouve son point d'acmé dans le détournement de Natacha et le regard fanatique qu'elle prend en le faisant. Suite à cet élément perturbateur pour le moins inattendu, le lecteur suit une Natacha qui semble avoir toute sa raison, agir parce que "le jeu, cette fois, en vaut la peine", sans comprendre ses réelles motivations jusqu'à la révélation finale. Un tour de force narratif, surtout dans un univers peu torturé.
Natacha qui détourne un de ses vols, c'est le détournement diégétique; Mittéï jouant sur l'horizon d'attente de ses lecteurs, c'est le détournement extra-diégétique. Un jeu de détournements, un vrai tour de force !


L'autre force de ce récit, c'est l'humour.
Car si l'histoire aurait pu n'être que sombre et haletante, elle se permet un humour de toile de fond qui termine la jouissance du lecteur. C'est ainsi que nos inquiétants événements prennent place entre Yenamar Del Polis (jeu de mot transparent et sans doute légèrement soixante-huitard) et la ville fictive allemande de Schnapssee (littéralement Mer de Schnaps, que l'on pourrait traduire aussi par Schnaps-sur-Mer) et menacent le Vlakhispan Halapouthr (autre pays fictif au nom transparent). On traverse les rues Henri et Choucroute pour affronter des caricatures de dessinateurs et scénaristes de BD en espérant que Walther, cherchant à les stopper, ne les aide pas involontairement à s'enfuir.
En somme, on passe un très bon moment à lire une histoire d'espionnage savamment narrée et ornementée de bons gags et de bons mots d'auteurs.


2) L'Etoile du Berger (8-9/10)


Ah ! Noël !
Que ferions-nous ou que vivrions-nous sans Noël ?
Quel héros ou quelle héroïne n'a pas eu le droit à son aventure noëlisée ?
Après John McLane, James Bond, Docteur Who, Winnie l'ourson, La Belle et la Bête, Mickey, les Frères Winchester, les héros de nombreuses séries, saga et BD, voici le Noël de notre hôtesse de l'air favorite !
Alors, oui, le contexte de Noël peut sembler être justifier avec beaucoup d'aisance: un bijou portant le nom de l'étoile qui guide les Roi Mages jusqu'à la crèche, la réception de Noël avec sapin et bons petits plats organisée par Natacha, la neige.
Oui, cette histoire est un peu courte au regard de ce que, plus longue, elle aurait pu donner.
Mais elle bénéficie d'une histoire de double intéressante - quoique trop esquissée - où le sosie brunette de Natacha cherche à la remplacer sur un vol pour voler le précieux bijou éponyme, cité plus haut. Cette histoire fera immanquablement penser à Astérix et Latraviata, album plus récent, mais se distinguera par une plus grande crédibilité. De plus, le développement plus long de l'histoire d'Uderzo laisse à penser que la brièveté de Gos, si on peut néanmoins la critiquer, n'est pas un mal en soi.
Thème du double avec la fausse Natacha mais aussi avec la fin alternative suivant que l'on lise les planches originales ou celles proposées dans l'album définitif: une fin forte, abrupte, plutôt réaliste, en pointe et une fin un peu plus longue, farcesque, et digne d'un La Vie est belle de Capra !
Enfin, et ceci pour les lecteurs masculins, ne boudons pas notre plaisir devant ces deux Natacha aussi sexy l'une que l'autre !


3) Un tour de passe-passe (8/10)


La troisième et dernière aventure de cet album est une aventure assez standard de la belle hôtesse de l'air, une histoire malgré tout surprenante et amusante aux accents tintinesques.
Jouant du thème de la prestidigitation, le récit noue une fois encore un lien avec le fantastique et le thème du Dopplegänger de façon plutôt intéressante.
Pourtant, si le tour de passe-passe est réussi, si l'on tombe dans le panneau comme notre héroïne, l'intrigue d'espionnage qu'il est censé servir est un poil tarabiscoté.
On ne boudera pas le plaisir de quelques caricatures dont celle de Peyo, mentor du prère de Natacha, dans le rôle d'un directeur de cabaret.


En conclusion, un très bon album, un agréable moment de lecture, une variation intéressante sur le thème du double.
A croire, après La Mémoire de métal et Double-vol, que Natacha n'est jamais aussi douée que dans des aventures moyen métrage.

Frenhofer
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Bah! Qu'est-ce tu fous là, toi? et Envolées critiques: mes critiques de Natacha

Créée

le 30 mai 2018

Critique lue 267 fois

1 j'aime

1 commentaire

Frenhofer

Écrit par

Critique lue 267 fois

1
1

D'autres avis sur Double vol - Natacha, tome 5

Du même critique

Les Tontons flingueurs
Frenhofer
10

Un sacré bourre-pif!

Nous connaissons tous, même de loin, les Lautner, Audiard et leur valse de vedettes habituelles. Tout univers a sa bible, son opus ultime, inégalable. On a longtemps retenu le film fou furieux qui...

le 22 août 2014

43 j'aime

16

Full Metal Jacket
Frenhofer
5

Un excellent court-métrage noyé dans un long-métrage inutile.

Full Metal Jacket est le fils raté, à mon sens, du Dr Folamour. Si je reste très mitigé quant à ce film, c'est surtout parce qu'il est indéniablement trop long. Trop long car son début est excellent;...

le 5 déc. 2015

33 j'aime

2

Le Misanthrope
Frenhofer
10

"J'accuse les Hommes d'être bêtes et méchants, de ne pas être des Hommes tout simplement" M. Sardou

On rit avec Molière des radins, des curés, des cocus, des hypocondriaques, des pédants et l'on rit car le grand Jean-Baptiste Poquelin raille des caractères, des personnes en particulier dont on ne...

le 30 juin 2015

29 j'aime

10