La réédition toute récente par Panini Manga de la série "Eden : It's an Endless World" de Hiroki Endo peut sembler une opération évidente, au vu du pitch de ce récit post-apocalyptique : "dans un futur proche, l'humanité est confrontée au closure virus, et environ 10 % de la population mondiale est décédée. Dans ce monde ravagé par la violence, quelques individus tentent de survivre (etc.)" Inutile de discuter plus longtemps des liens avec l'actualité récente, d'autant que cette maladie a la particularité de durcir la peau de son hôte, "confinant" ses organes internes du monde extérieur.


L'enjeu de ce type de récit est bien sûr de confronter le lecteur non seulement à un univers palpable et original, dont les règles sont en pleine mutation, mais aussi à des personnages crédibles et intéressants. Sur le premier point, Eden démarre de manière flamboyante. Retranchés dans une station scientifique abandonnée, deux enfants et leur mystérieux tuteur voient débarquer des troupes liées à l'ONU, qui cherchent à leur mettre la main dessus. Ils sont en effet porteurs de gênes les immunisant à la maladie. Mais un lieutenant révèle qu'il tente de noyauter l'organisation, au profit d'une autre, aux allures révolutionnaires, le Propater . D'emblée les rapports de forces géo politiques s'incarnent de manière franche, jusqu'à un deuxième acte se déroulant plusieurs années plus tard, où tous ces acteurs se transforment en bandes armées luttant pour le contrôle de vastes territoires, en l’occurrence l'Amérique latine. Car c'est bien là la leçon qui semble nous transmettre Hiroki Endo dans ces deux premiers tomes : malgré la perte définitive de 10 % de la population et la déstabilisation totale des sociétés humaines, la guerre, la violence, et l'appât du pouvoir semblent toujours être le fait dominant à travers le globe. L'Eden promise à une humanité raisonnée semble toujours loin à l'horizon.


Les personnages, eux, nous sont introduits avec élégance et subtilité. Un premier couple d'enfants, sorte d'Adam et Eve SF, disparait rapidement pendant l'ellipse et est remplacé par un autre jeune, aux traits ressemblants. On comprend petit à petit son lien avec les deux personnages du début. Ce principe de flash-back s'applique a plusieurs personnages, et laisse au lecteur une marge d'interprétation et de mise en connexion de ce qui lui est montré. Ce genre de prise en compte de l'intelligence du lecteur par un auteur est toujours satisfaisant, et allège considérablement la narration du premier tome. Dans le second tome, les flash-backs prennent un peu trop le pas sur la narration au présent et deviennent systématiques (voir redondants) en passant successivement sur chaque personnage secondaire. Le second tome de la série reste d'ailleurs globalement en deçà du premier, du fait de ce problème de narration, mais aussi d'une action générale se concentrant exclusivement sur une bataille et les mouvements des personnages qui y font face, sans vraiment prendre de la hauteur ni proposer évolutions ou révélations marquantes.


Reste que la découverte de cette série jusque là indisponible en France (notons au passage la très belle édition en gros volumes, avec jaquette en relief, interviews de l'auteur et petit marque page du plus bel effet) saura sans doute éveiller la curiosité du lecteur, néophyte comme connaisseur du genre, et s'offre comme un divertissement séquentiel fort agréable. Il nous tarde de poursuivre la (re)découverte de ce manga, dans la sortie engrainera l'année 2021, pour notre plus grand plaisir.


Critique rédigée dans une version allégée pour participer au jury du Prix France Culture BD Etudiant

Ulthar
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le 12 juin 2021

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Ulthar

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