Ce tome fait suite à Vargr (épisodes 1 à 6) qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. Il comprend les épisodes 7 à 12, initialement parus en 2016, écrits par Warren Ellis, dessinés et encrés par Jason Masters et mis en couleurs par Guy Major. Les couvertures ont été réalisées par Dom Reardon.


Quelque part dans le monde, dans une pièce servant de bureau, un homme est attaché sur sa chaise de travail. Il est interrogé par un individu appelé Beckett Hawkwood, dont la partie gauche du visage est gravement défigurée. Il reproche au prisonnier d'avoir manqué de prudence dans des transactions financières, en le menaçant d'une arme à feu. Il finit par l'exécuter froidement en lui tordant le cou. Dans le quartier de Whitehall à Londres, Stephen Mackmain (du MI5) s'entretient avec un sous-secrétaire d'état pour s'assurer que la règle d'interdiction de port d'arme pour les agents du MI6 reste toujours en vigueur. À l'aéroport de Los Angeles, James Bond fraîchement débarqué de l'avion retrouve Felix Leiter, un agent de la CIA avec lequel il a déjà effectué des missions. Ce dernier lui explique qu'il est là pour lui faciliter la vie en lui remettant des papiers et une arme, un Glock 17.


James Bond est à Los Angeles pour exfiltrer Cadence Birdwhistle, une comptable, qui travaille pour le compte de l'ambassade de la Turquie, sa couverture ayant été compromise. Bond se rend à l'ambassade en voiture, et attend que Birdwhistle sorte pour sa pause déjeuner comme à son habitude. Il la suit pendant quelques dizaines de mètres et l'interpelle. Après qu'il ait montré patte blanche elle accepte de monter dans sa voiture. Bond a repéré qu'ils étaient suivis et il s'engage une course-poursuite très brève, à l'issue de laquelle il sort de la voiture et abat froidement ses adversaires un par un, le dernier à bout portant. Il constate qu'eux aussi utilisent des Glock 17, ce qui laisse supposer qu'ils travaillent pour la CIA. Bond est curieux de savoir comment Leiter expliquera ça.


Il s'agit donc de la deuxième histoire réalisée par Ellis & Masters, et le lecteur sait par avance qu'il va retrouver le savoir-faire du premier tome. Il est donc rassuré, les éléments principaux du mythe sont bien présents. Moneypenny est à son bureau, dans la même version un peu différente de d'habitude, mais sans flirt. M. est bien à son bureau, moins sarcastique sur les exploits et les méthodes très personnelles de l'agent 007, et plus participatif dans l'intrigue. Le lecteur voit passer l'indispensable Q, et même Bill Tanner. Bond se plaint de ne de pas pouvoir travailler avec son pistolet favori, un Walther P99. Il n'y a pas beaucoup de gadgets technologiques, juste les prothèses cybernétiques de Felix Leiter. Il y a bien une femme fatale ou deux, mais les parties de jambes en l'air reste sous-entendues. James Bond est dépeint comme un vrai professionnel, un peu sarcastique, sérieux et efficace. Warren Ellis le présente comme un homme très dur pour qui la fin justifie les moyens, avec des combats brutaux et rapides, et même une séance de torture. Il n'oublie pas le goût du personnage pour le bourbon et lui offre la possibilité de déguster un verre de bourbon whiskey Woodford Reserve double boisé.


Le lecteur retrouve également les dessins assez cliniques de Jason Masters. Il utilise des traits fins pour détourer les formes, induisant une impression de précision technique. Le scénario de Warren Ellis est fortement ancré dans la réalité, à commencer par les lieux. L'artiste les représente avec application et méthode, qu'il s'agisse de la façade d'un bâtiment de Whitehall, des montants d'une fenêtre, des escaliers de l'aéroport de Los Angeles, avec leur rampe, des pavillons le long d'une large rue résidentielle américaine, du hall de réception d'un hôtel, le mobilier impersonnel d'un bureau, les rues de Londres, etc. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut apprécier cette précision très propre, ou trouver qu'il s'agit de dessins se rapprochant trop de ceux réalisés à parti d'un logiciel de modélisation 3D, un peu trop froids. Quoi qu'il en soit, Jason Masters sait composer ses cases de manière à ce qu'elles ne donnent pas l'impression d'être surchargées, tout en contenant des éléments très concrets, tel que le modèle d'une corbeille de rue. Cette approche s'avère très cohérente avec l'esprit du scénario qui insère des références très concrètes, en particulier sur les modèles de voiture. Le lecteur n'éprouve aucune difficulté à reconnaître le modèle Mercedes-Benz Classe S 600.


L'artiste crée des personnages aisément identifiables visuellement. Ils disposent de morphologies normales, sans exagération musculaire, avec des vêtements sobres et réalistes. Lors des scènes de dialogue, il sait concevoir une mise en scène qui évite les enfilades de têtes en train de parler, en montrant les gestes des personnages, ce à quoi ils sont occupés, et il sait également montrer leur environnement en changeant les angles de prise de vue. Les postures et les expressions des visages transmettent une bonne partie de l'état d'esprit des personnages, que ce soit leur concentration totale lors des affrontements physiques, ou la manière dont ils apprécient les petits moments de calme, en souriant. Il sait aussi faire apparaître la tension qui monte entre les personnages. Au début de l'épisode 9, Eve Sharma (une agente du MI5) arrive non annoncée dans le bureau de M, alors que s'y trouvent James Bond de Bill Tanner. L'artiste montre 2 ou 3 personnages dans chaque case, mais leur succession permet au lecteur de comprendre que les phrases prononcées par Sharma font réagir les 2 agents du MI6 qui se déplacent au fur et à mesure pour être prêts à la neutraliser immédiatement si nécessaire, en fonction de la tournure que va prendre la discussion, sans que le scénariste n'ait à l'expliciter dans une cellule de texte.


Comme à son habitude, Warren Ellis écrit des scènes d'action muettes dans chaque épisode, où l'artiste devient le seul artisan de la narration. Cela commence dès le premier épisode, avec la course-poursuite et la confrontation entre James Bond et une équipe de 4 barbouzes souhaitant récupérer Cadence Bridwhistle. Jason Masters se retrouve à dessiner une scène d'action très classique, dans un environnement peu spectaculaire. En s'en tenant à une approche descriptive et réaliste, il s'assure d'être en phase avec les différentes étapes de la séquence, prévues par le scénariste. En intégrant des éléments concrets et factuels et en montrant des impacts réalistes, il parvient à projeter le lecteur aux côtés des personnages. Sa prise de vue s'attache à bien montrer les déplacements des uns par rapports aux autres, ce qui permet au lecteur d'avoir une compréhension du déroulé de l'action. Enfin, il ne cherche pas à esthétiser la violence, la montrant dans toute sa sécheresse, ce qui la rend d'autant plus horrible qu'elle est factuelle et sans concession. Dans l'épisode 9, James Bond procède à une infiltration dans une base ennemie, et à nouveau le lecteur éprouve la sensation de regarder un film, avec toute la tension générée par le rythme de la narration. À l'opposé de scènes d'action artificielles et sans âme, Jason Masters réussit à impliquer le lecteur dans ces affrontements, sans recourir à un spectaculaire hors de proportion, au contraire en restant dans le registre du possible. C'est un double exploit que de se montrer à la hauteur des exigences narratives d'Ellis, et de rendre intéressantes des séquences généralement plus percutantes dans des films d'action.


Warren Ellis met en scène un James Bond très professionnel, évoluant dans un environnement très proche de la réalité. Au fil des dialogues, le lecteur assimile les liens de Bond avec les différentes agences gouvernementales britanniques. Il évite les gadgets technologiques souvent associés aux films de James Bond, pour des armes réelles, comme une carabine Diemaco C8 avec un UGL (Underslung Grenade Launcher), ou une bombe thermobarique. Il évite également les endroits exotiques, préférant des lieux urbains et réels. En évitant les artifices spectaculaires et l'exotisme, il présente James Bond comme un être humain crédible, un professionnel, rapide à réagir, compétent lors des affrontements, capable de réfléchir, et privilégiant l'efficacité, quitte à utiliser des méthodes salissantes comme la torture et l'exécution sommaire. De la même manière, l'enjeu de l'intrigue reste à dimension humaine, reposant sur une guerre interne entre le MI5 et le MI6. Malgré tout, les éléments concrets du scénario permettent d'élever le récit au-dessus des stéréotypes. Ellis convainc le lecteur de la possibilité de cette concurrence entre services (ça s'est déjà vu dans la réalité), en y intégrant une cellule dormante issue de l'organisation criminelle créée par Ernst Stavro Blofeld. Le lecteur se laisse donc emporter dans ces manigances entre espions, rythmées par des affrontements brefs et définitifs, en se demandant quelle tournure va prendre cette enquête sur la cellule dormante.


Ce deuxième tome continue dans la même veine que le premier, avec une version de James Bond humaine et professionnelle. Warren Ellis & Jason Masters maîtrisent leur registre narratif, avec des images et des textes concis et efficients, et une intrigue facile à suivre, tout en utilisant les conventions des récits d'espionnage de manière intelligente et adulte. Le lecteur peut ressentir une forme de manque arrivé à la fin du récit, en se disant qu'il a lu un exercice de style virtuose, mais qui manque d'émotion.

Presence
7
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le 1 août 2019

Critique lue 121 fois

Presence

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