Son nom est Martin, Jacques Martin. Et, non, il n'a pas présenté L'Ecole des fans mais il a donné naissance à Alix, le célèbre gaulois, pendant réaliste aux aventures burlesques d'Astérix.
Né en Alsace, membre de l'école de Bruxelles (certains veulent même qu'il soit l'auteur de cette dénomination du groupe de Hérgé & Cie), il découvre un jour de 1951, se promenant dans un tunnel routier du Col de Bussang dans les Vosges, rien de moins que des V1 allemands datant de la Seconde Guerre mondiale, pointés sur l'Angleterre, gardés par un soldat un peu fatigué, mais heureusement désarmé depuis un certain temps.
Notre alsacien, fou d'aviation, de deux roues et de technologies de pointe, a alors une révélation: narrer le complot d'un fou prêt à réarmer ces V1 pour exiger une somme folle à l'Etat français. Face à ce fou, il lui faut un héros. Pour les huiles du Journal de Tintin, ce héros n'aura qu'une aventure. Et il devra être l'équivalent d'Alix ou ne pas être. Compromis et imagination acceptant de faire collocation le temps d'un album, Jacques Martin met au jour un personnage plutôt sympathique et avant-gardiste.


Son nom est Lefranc, Guy Lefranc.
Et Guy Lefranc, qui est-ce ?
Le lointain descendant d'Alix (d'où son patronyme qui atteste du passage du gallo-romain au français) aux allures de Francis Blake glabre. Le mélange réussi de Tintin et de Sherlock Holmes, et même une sorte de James Bond un an avant la lettre, si l'on s'en tient à la seule création littéraire, manifestant les compétences d'un MacGyver avec quelques trente ans d'avance !
Trop parfait pour les lecteurs de notre époque - beau, athlétique, sans la moindre faille humaine, touche-à-tout génial, sans introspection appuyée mais fort d'une morale rigide à toute épreuve - Guy Lefranc est de la trempe des héros d'hier, plus modèles encourageant au progrès personnel que reflets rassurant banalisant la médiocrité. On l'apprécie ou on le condamne. Il n'aura jamais l'aura intemporelle et contrastée de sa Némésis.


Son nom est Borg, Axel Borg.
Et, non, ce n'est pas un membre de la famille d'Omar Sy-Borg. Je sors.
Criminel d'envergure mondiale, Axel Borg est le Moriarty de Guy Lefranc, le Olrik haut de gamme, le Rastapopulos crédible, l'un des meilleurs méchants de l'histoire de la bande-dessinée.
Alsacien et esthète aux idées un peu folles, il est, de la confession même de Jacques Martin, l'alter-égo de l'auteur d'Alix et Guy Lefranc. Et votre serviteur, tout aussi alsacien, fou de Venise et esthète, se retrouve beaucoup dans ce personnage qui lui plaît ô combien !
Dépourvu de la morale simpliste de Lefranc, Axel Borg, qui n'est pas parfait, se permet d'être ambitieux et jusqu'auboutiste. Un méchant qui en remontre à bien des antagonistes de bande-dessinées, de livres ou de films. A titre d'exemple, c'est le seul méchant qui, cerné par la police et l'armée, menace ses assiégeurs via les médias de tous les envoyer en enfer avec les mitrailleuses de sa forteresse ou reste dans son repaire pour tenter le tout pour le tout au risque d'être attrapé. Un méchant qui prend réellement des risques.


Si des personnages comme Jean-Jean ou l'Inspecteur Renard ne leur tiennent pas la dragée haute, du moins apportent-ils quelques touches de couleur, tout en nuance.


Mais le vrai personnage de cette folle aventure qui passe du simple trafic d'or à une menace nucléaire, sorte de Goldfinger surexplosif, c'est avant tout l'Alsace !
Guy Lefranc traverse en effet toute l'Alsace de Mulhouse à Strasbourg, en passant par Kaysersberg, Riquewihr, Colmar, évoquant Ribeauvillé ! Ne manque que Marlenheim ou Baldersheim, et le tour est fait ! Même la dernière case de l'album célèbre le pays d'Erckmann-Chatrian !
Et, bien au centre, le Haut-Koenigsbourg, château mythique de l'Alsace et du cinéma - Grande Illusion oblige - et ses nombreuses ruines de châteaux parmi lesquelles l'imaginaire Tour Noire d'Axel Borg !


La Grande menace, c'est Blake et Mortimer plus réaliste et Tintin plus fort en tripes.
Une bande-dessinée dans la grande tradition de l'école de Bruxelles, matrice d'une grande collection de Jacques Martin, peut-être un peu longue mais forte en rebondissements, en spectaculaire, en reconstitution et jouissant pour son enquête d'un habile crescendo.
Une note sans doute un peu élevée de ma part, l'album offrant sans doute un plus aux alsaciens, aux inconditionnels de 007 et aux amateurs des fifties-sixties, défauts ou qualités qui me caractérisent.

Frenhofer
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le 6 oct. 2018

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Frenhofer

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