Préambule sur Gengoroh Tagame



Avant de parler du manga, je vais parler du mangaka. Gengoroh Tagame n’est pas novice dans le milieu du manga. C’est néanmoins sa première grande incursion dans le manga mainstream. Il est surtout connu pour ses histoires et illustrations beaucoup plus osées. Spécialisé dans le manga érotique et pornographique gay depuis le début des années 80, il est publié dans les revues gays japonaises. On ne parle pas de manga Yaoi ici, mais bien de Men’s love (on croise le terme bara en occident pour décrire le Men's love). Les personnages de Tagame sont excessivement virils et les situations souvent assez violentes avec des rapports de domination-soumission.


En lisant les oeuvres de ces auteurs spécialisés, on se dit parfois, que ce serait bien qu’ils mettent leur talent au service d’histoires qui ne soient pas interdites au mineurs. Et c’est Tagame qui relève le défi depuis 2015 avec « Le mari de mon frère ».


Pour en savoir plus, voici une interview de l’auteur réalisée en 2013 lors du Toronto Comic Arts Festival, ainsi qu’une petite video présentant Tagame et d’autres auteurs de Men’s love réalisée à l'occasion de la sortie d'une anthologie d'illustrations érotiques gays japonaises rassemblées par Tagame. J'y ajoute une interview réalisée pour le festival d'Angoulême 2017 et publiée sur NextLiberation.



L’histoire



Revenons au manga objet de cette critique. Cette fois, Tagame s’est donc lancé dans une histoire grand public. Yaichi élève seule sa fille, Kana, mais son quotidien est un jour perturbé par l’arrivée de Mike Flanagan, un canadien, époux de son frère jumeau récemment décédé.


Nous suivrons ainsi la vie de la petite famille bouleversée par cette irruption. Yaichi ne sais pas trop comment gérer cette situation imprévue. Kana, elle, est ravie de découvrir ce tonton canadien.



Avoir un tonton canadien, bah franchement, c’est trop cool !!




Le graphisme, ou la sensualité discrète de Tagame



Côté dessin, Tagame réalise un manga très classique. Le dessin est simple et clair, les décors basiques. On retrouve quand même avec plaisir quelques scènes légèrement vêtues ou Tagame montre son aisance à dessiner les corps masculins, avec ou sans poils (mais de préférence avec).
Il réussi à nous transmettre la tristesse de Mike juste en dessinant un regard.



Un manga militant mais pas que...



Avec ce manga, Tagame fait oeuvre d’éducation auprès du grand public japonais. Il nous présente un Yaichi avec l’esprit rempli de préjugés sur l’homosexualité (comme le grand classique "Qui fait le mari, qui fait la femme" ?. Peu à peu, au contact de Mike, il comprend que beaucoup de ses réflexions et réactions sont basées sur sa méconnaissance de ce sujet. C’est Kana qui l’aide à prendre conscience de ses erreurs. Elle n’a aucune idée préconçue sur la question, n’ayant jamais été confrontée au sujet de l'homosexualité.



Kana a raison, s’il avait été l’épouse de mon frère… j’aurais sûrement trouvé ça naturel de l’inviter à rester à la maison…c’est parce que le conjoint de mon frère est un homme que je suis mal à l’aise.



Mais l’histoire n’est pas qu’un prétexte, Tagame trouve le délicat équilibre entre message à transmettre et émotion. Ses personnages sont touchants. Yaichi se remet en question, cherche à comprendre pourquoi il s’est autant éloigné de son défunt frère. Kana, elle, découvre une vision du monde qui ne l’avait jamais effleurée : un homme peut être amoureux d’un autre homme, et pareil pour les femmes. Mike, quand à lui, est esquissé à travers ses regards, ses émotions. Profondément endeuillé, il est bien plus à fleur de peau que Yaichi.


Le manga est complété par des petites fiches dispersées entre les chapitres : Les petites cours de culture gay par Mike. Ainsi sont présentés quelques informations, par exemple le nombre de pays où le mariage entre personnes de même sexe est autorisé.



Une réussite méritée



Ce manga est donc un premier pas très réussi dans le domaine du manga grand public. Non seulement Gengoroh Tagame franchit le pas du mainstream avec brio, mais en plus il en profite pour faire passer avec douceur et simplicité un message de tolérance.


La critique a très bien reçu ce manga, il a notamment été sélectionné au festival d’Angoulême 2017 et a reçu un des Animé Grand Prix 2017 décerné par les lecteurs du magazine Animeland. il également reçu le prix d'excellence au 19e Japan Media Arts Festival en 2015.


Petit clin d’oeil au passage sur Arte Creative


Et sinon, pour découvrir les autre oeuvres de Gengoroh Tagame (celles avec de la sueur, des poils, des cordes, de la souffrance...), voici une anthologie publiée par Picturebox aux États-Unis.

JulienFlorent
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Créée

le 16 févr. 2017

Critique lue 399 fois

Julien Florent

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