Le Papyrus de César propose un scénario très intéressant, je dirai même plus: un scénario à faire.
Depuis le temps que le tandem Goscinny-Uderzo jouaient sur le mot "commentaires" en allusion aux célèbres Commentaires sur la Guerre des Gaules de Jules César ! Depuis que Laurent Tirard en 2012 dans Astérix & Obélix au service de Sa Majesté proposait un face à face d'auteurs entre Astérix et César: "Les Aventures d'Astérix?", s'écriait Luchini-César, "Attends mon ptit gars, j'crois qu'tu comprends pas bien! Tu sais ce que c'est, ça? La Guerre des Gaules! L'histoire des guerres de César par César en 12 volumes! Tu vois, ça, c'est de la littérature!".
Il fallait donc faire entrer l'oeuvre de César et un César best-seller dans la célèbre fresque du p)eit gaulois que nous connaissons bien et le tandem héritier, Ferri-Conrad, l'a fait! Non sans panache, non sans une certaine ingéniosité.
Car s'il est une chose que César ne saurait divulgué dans ses écrits, c'est ce que nous n'y trouvons pas: la résistance du petit village d'Armorique dont ne cessons de lire les péripéties. Le Papyrus de César réussit un double coup d'éclat en donnant une légitimité et une authenticité historique - pour rire, bien-sûr - aux Aventures d'Astérix (se faisant pédagogique en passant: la tradition écrite / la tradition orale) et en ralliant le tout à notre actualité, l'ère de l'information, des secrets d'états révélés, de Julian Assange qui apparaît sous le doux nom de Doublepolémix.
Mais si ses idées sont bonnes, si ses jeux de mots sont excellents, il reste un arrière goût de "trop peu" ou de "trop loin".
"Trop peu", car l'album se contente d'une histoire très dénudée, à l'unique fil un peu simpliste. Pour le dire simplement: il manque de péripéties. La folle fin apporte l'unique réelle péripétie.
Et reconnaissons que voir Panoramix coller des baffes aux romains est une première jouissive qu'il s'agirait de ne pas bouder.
Ce qui m'amène au "trop loin".
Lié à la tradition orale, position conservatrice vis à vis de l'écriture, les druides incarnent la tradition. Or, dans un élan sans doute vernien, Ferri et Conrad ont décidé de nous chanter Vade retro de Joe Dassin et faire apparaître, avec justesse, que ce qui semble conservateur est souvent plus novateur que ce qui se dit tenir du progrès. Voyez plutôt: la tradition orale rejoint l'écrit oral voire phonétique des discussions de messageries instantanées. Ce qui fait des druides des êtres paradoxalement vieux sages et chantres de la haute technologie:
L'ami de classe de Panoramix est toujours entouré d'oiseaux jumeaux de celui qui constitue le sigle de Twitter (j'ai moi-même écrit il y a quatre ans un texte non publié qui jouait sur un anachronisme proche sur le même Twitter), par exemple.
Les auteurs continuent dans la veine allusion au numérique, ouverte par eux dans le précédent album, Astérix et les Pictes. Plus légitime ici, cette veine semble néanmoins surexploitée:
Le piratage informatique qui est excellent mais les druides à l'ère du numérique pose problème.
Pour finir, le Papyrus de César fait mention au monde à l'envers dans lequel nous vivons, hélas, en faisant se battre les sages et écrire les militaires. Cette impression carrollienne transparaît surtout dans le détournement: "Les écrits s'envolent, les paroles restent", qui laisse entendre que notre société de l'information se complait dans l'approximatif et l'éphémère pseudo-éternel.
Un excellent album donc mais non exempt de quelques défauts.
C'est le lot commun de plusieurs nouvel opus de série mythique en cette année 2015.