1961 : Hergé a 54 ans, et il vous emmerde pas mal. Avec 20 aventures et 35 années de travail au compteur, le père de Tintin est déjà devenu l’un des plus grands dessinateurs de son siècle. La réédition couleur des premières aventures vient de s’achever, voilà ces nouveaux albums flambants neufs qui s’arrachent à des millions d’exemplaires dans une trentaine de langues et une centaine de pays. Les studios Hergé représentent à présent un véritable empire, une institution qui formera toute une nouvelle génération de BDéistes franco-belges, Jacques Martin et Roger Leloup en tête. Dans quelques années, en 1969, le Général De Gaulle répondra à un André Malraux stupéfait que le seul homme qui pourrait rivaliser avec le grand Charles, ce n’est même pas Victor Hugo, mais bien Tintin.
Bref, Hergé a tout fait, tout réussi : lorsqu’en 1961 il se lance dans la vingt-et-unième aventure de Tintin, il n’a véritablement plus rien à prouver, et aucun éditeur pour lui imposer la moindre contrainte sérieuse. Aussi, Hergé décide de prendre son pied, et atomiser tous les codes d’un Tintin traditionnel.
Parce que Hergé, il vous emmerde pas mal.

Les Bijoux de la Castafiore, c’est une anti-aventure dans laquelle Hergé chamboule tout ce qu’il a construit depuis presque quarante ans : le bouillonnant Haddock passe son temps en fauteuil roulant, le génial Tournesol s’est reconverti dans les fleurs, les Dupondt sont plus souvent par terre que sur leurs pieds, la Castafiore fait marcher Nestor à la schlague, et Tintin est absent près de la moitié du récit.
L’intrigue, elle est inexistante ; le vol, on vous fait marcher, il ne se produit qu’en page 43. Tout le danger vient, tenez-vous bien, d’un pauvre paparazzo italien qui arrive par la grande porte, puis d’un pianiste raté qui deale des coupons PMU sur sa bicyclette au troquet de Moulinsart. De toute façon, Tintin en a tellement ras la soucoupe de se bouger qu’il préfère crécher à l’œil au château Moulinsart durant toute l’aventure ou presque (« aventure » ? haha !), et son seul voyage est un sprint démentiel de 500 mètres à vélo pour aller taper le carton avec le père Vanneau. Mais Hergé n’a même pas envie de nous montrer le déplacement, il fait une ellipse.
Parce que Hergé, il vous emmerde pas mal.

Côté dessins, vous vouliez de la ligne claire ? Hergé nous colle une séquence nocturne complètement incongrue dans l’univers graphique de Tintin, un jeu d’ombres magnifique en forme de pied-de-nez à tout le monde. Sans oublier le Supercolor-Tryphonar (et la vignette brouillée qui en découle !), une espèce de délire psychédélique signé Tournesol, et inséré en plein milieu d’une intrigue policière qui venait de se lancer (... mais de toute façon, l’enquête, on s’en tapote le cocotier).

Le dénouement de l’intrigue, nouvelle arnaque, Hergé avait déjà donné la solution vingt ans plus tôt dans L’Île Noire : la pie voleuse, cela ne vous rappelle pas une certaine séquence avec des pompiers britanniques qui ont perdu leur clé ? Mais promis, au prochain album, Hergé fera mieux : il vous montrera Rastapopoulos en chemise rose et stetson de cinoche, en train de se faire épiler par Allan.

Parce que Hergé, il vous emmerde pas mal.
Wakapou
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le 22 juil. 2013

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