Les fins ne sont jamais faciles pour de grandes sagas, aussi bien au cinéma qu'en littérature, sur le petit écran comme en bande dessinée. Et alors quand l'histoire s'attache à philosopher sur les fins elles-mêmes en y rajoutant un brin d'univers alternatifs l'exercice devient carrément impossible.


Black Science, c'est mon comics préféré. Voilà c'est comme ça, je l'ai dans la peau (littéralement), et tant en termes de narration que de réflexion ou d'illustration le trio Calera, Dinisio et Remender m'aura marqué à vie. Une épopée (enfin une Odyssée d'après la VF qui s'est donné un super leitmotiv pour les titres qu'on ne peut que saluer !) à travers des mondes fous, souvent mélange de deux univers distincts et la psyché tout aussi folle d'un héros nihiliste, quand bien même il affirme ne pas l'être. Une histoire qui ne pardonne rien tant à ses personnages qu'au lecteur et surement même à l'auteur qui a du laissé un peu de lui dans la destinée du clan McKay.


Meurtres, tromperies, duperies, les 9 tomes ne sont pas avares en retournements de situations, ménageant bien des fins de chapitres spectaculaires, en particulier pour les trois premiers tomes où l'action ne se repose jamais. Viens ensuite pour le second tiers un rythme plus posé avec la tentative de recomposition de l'équipe qui nous fait revenir dans des univers bien plus proches du notre et où le drama a une place plus importante. Le dernier tiers quand à lui donnait plus d’envergure aux personnages secondaires que ce soit via les enfants devenus carrément super-héros ou à Sara qui apparaît enfin comme autre chose qu'une simple mère courage dont on parle tout le temps sans la voir.


SPOILER ALERT


Ironiquement, en même temps que s'installait le chaos ambiant (genre, faire venir tout les antagonistes dans la même ville), des arcs narratifs très doux surgissaient, notamment pour faire renaître l'idylle entre Grant et Sara. Je commençais déjà à tiquer un peu à l'époque car même si on rêve de les voir se remettre ensemble et qu'on comprend le positivisme dont veut faire part monsieur Remender, on se dit que la rapidité du pardon est incroyable comparé aux années de souffrances endurés par chacun. A l'échelle des comics, tout va très vite et on commence donc ce 9ème tome sur la famille enfin réunie. Voilà, rideau vous pouvez circuler il n'y a rien à voir. Des retrouvailles certes émouvantes mais qui arrivent un tome trop tôt et laisse donc penser que tout ne vas pas se finir comme prévu.


Mnestérophonie reprend globalement la mission du Banquet des Lotophages à savoir que le clan McKay est complètement aveuglé par son envie de rester une famille qu'il en oublie le sort de l'infinivers. Les mauvais choix et les encore plus mauvaises conséquences on a l'habitude dans Black Science mais ici étonnamment le chemin choisi par les McKay semble devenir le seul et juste. Kadir et Chandra deviennent de purs méchants, sans même une voix off pour leur donner encore un semblant d'humanité. On sort quand même d'un tome où le couple principal a défoncé à deux reprises l'infinivers pour retrouver leurs enfants (et donc en tuant une infinité). Le petit passage dans les nuages fait peut-être oublié la gravité du problème mais le chapitre d'ouverture de ce dernier tome essaie pourtant de remettre les choses en place. Kadir qui fait un retour surprise expose bien à tout le monde la folie de Sara et Grant et tout ceci finit par.. son exil.


Il y a bien Pia pour comprendre ou Nate pour un peu s'opposer mais globalement ça passe. On vire les créateurs de l'abri dans lequel tout le monde est pour les livrer à la merci de la sorcière la plus dangereuse de toute l'histoire. Nate qui avait l'air vexé ne dira plus rien, on évoquera vite faite Kadir et puis ensuite la ligue des anarchistes part joyeusement au combat. Le soufflet continue de retomber un peu pour le grand affrontement puisqu'on sent très peu la menace. Un petit garde qui attend patiemment, une porte magique à casser et nous y voilà. Le sentiment d'empressement est fort quand on compare à la situation cataclysmique du Silence d'Aède qui réunissait les Draylyns, le feu follet virus, Doxa et HAR'LOGH LE SOUILLEUR (dont je ne peux pas citer une seule phrase sans me faire bannir du site).
On passe d'un battle royal gigantesque à Grant face à la sorcière. Une sorcière qui est revenu dans les critères de beauté en vigueur (et je me fiche un peu de la justification je vous avoue) quand elle savait être véritablement effrayante lors du Pacte de Circé.


Malgré tout, Black Science reprend un peu du poil de la bête à ce moment, quand il s'éloigne le plus possible d'une solution classique et revient encore une fois au principe du multivers. Le dernier vrai élément d'intrigue pure reste probablement le plus WTF puisque Chandra et Kadir ayant survécus (déjà, O.K mais on va dire que les sauvetages express ne choquent plus) ce sont eux qui s'occupent de la sorcière... sans qu'on ne le voit jamais. il est vite fait évoqué un ultime pacte avec elle et un suicide mais tout se fera en ellipse. Et même si l'effet de style d'une rupture nette de narration est toujours jolie, on est quand même sur la fin du personnage le plus dangereux sans aucune image.
Enfin libéré de ses chaînes, Rick Remender peut donc s'attaquer à de la pure dystopie, surement avec celle qu'il attendait le plus depuis 6 ans avec un monde parfait en apparence mais où plus aucun libre arbitre n'existe.


Vous la voyez venir la fin ? En scindant en deux, le choix de Grant, le scénariste nous offre alors donc deux fins possibles : une où le héros se rebelle et remet en danger toute sa famille pour ne juste pas s'avouer vaincu, et une autre où il abdique pour finir en photo de famille parfaite. Il y a là une sacrée amertume qui rattrape grandement toute l'écriture planplan du tome et nous laisse avec d'un côté le couple aperçu dans La Boîte de Pandore qui a tout perdu, ne s'aime même plus et ne croît tellement plus en rien qu'il vole des enfants à leurs alter-ego et de l'autre un Grant McKay qui a abandonné ses idéaux de jeunesse, rentre dans les rangs (il appelle ça la maturité) mais n'aime toujours pas Kadir et sait que tout est factice.


En fond existe aussi la réflexion autour des créateurs et de la théorie de la simulation dont il est encore question mais qui sera quand même à un moment rangé de côté car de toute façon il n'y a pas grand chose à en faire (et la narration se complexifie trop autour de la destruction du noyau et du nullivers). Des éléments sympathiques, parfois un peu pompeux pour pas grand chose mais qui offre un style de fin assez inédit, qui n'est pas une fin à choix multiple puisque les deux coexistent véritablement mais qui permet d'alterner des pages infernales avec un style bien plus terre à terre ou tout roule comme sur des roulettes.


Bien évidemment cette magie ne fonctionnerait pas sans le duo incroyable de Matteo Scalera et Moreno Dinisio. Le premier même s'il partait déjà de très haut a affiné son trait, affirmé sa patte toujours au bord de la caricature avec des visages anguleux et de plus en plus expressifs. Le second a modernisé si c'était encore plus possible sa palette, multipliant les tons vifs, les contrastes qui accrochent l’œil et créant des ambiances parfaites. Mais la résultante de l'histoire sans grands enjeux est un cruel manque de double page fortes comme seul Matteo sait en faire, des visuels complètements fous à chaque nouvel univers comme dans les premiers tomes, les personnages perdus face au désespoir d'une situation qui les dépasse. L'affrontement avec Doxa en plus d'être torché se fait en catimini, le train train quotidien de la seconde moitié empêche toute effusion de grandes illustrations et la course poursuite à travers la cité utopique ne vaut pas toute celles qu'on a pu voir avant.


Bref, le jugement est dur, mais c'est bien parce que le matériau de base était incroyable voir parfait. Heureusement on est loin de la catastrophe industrielle de fin de parcours et le trio d'artistes restent en assez grande forme pour offrir une conclusion qui se paye en plus le luxe de reboucler avec l'histoire. Quelques pistes de réflexion intéressantes sur la réalité, les choix qu'on fait et un peu moins de misanthropie pour plus de familles. A force de nous rabâcher que l'être humain est fondamentalement mauvais et maudit dès la naissance on aurait presque voulu un bain de sang pour le chapitre final mais il faut bien reconnaître que les personnages ne pouvait qu'évoluer vers un sort heureux. Car après tout voici le principal et plus important message de cette série : On peut toujours aller de l'avant, changer de monde, devenir quelqu'un d'autre, nous porterons toujours nos blessures, nos regrets et nos fautes avec nous. Ce qui fait de nous quelqu'un de bien ou non c'est ce qu'on décide d'en faire maintenant. Se laisse t-on ronger par le poids du passé ou peut-on en faire complètement table rase et vivre dans un monde parfait.
Et si après tout il existait une solution intermédiaire ? Si l'on apprenait à vivre avec la somme de toute nos peines, qu'on en faisait une force autant qu'une faiblesse, et qu'on devenait l'addition de toute les personnes et des lieux qui nous ont fait devenir qui l'on est aujourd'hui ?

Kaptain-Kharma
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le 14 sept. 2021

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Kaptain-Kharma

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