Au sein d’une production pléthorique, à la fois sur la seconde guerre mondiale d’une part, et au sein de la bande-dessinée franco-belge d’autre part, Jacques Tardi a toujours été à part. Cette spécificité se confirme avec son récit (encore incomplet) « Moi, René Tardi, prisonnier au Stalag IIB » par le format quasi intégralement noir et blanc, le trait si caractéristique, et puis surtout le ton les dialogues.


Le fantasme du dialogue entre le père prisonnier et son fils enfant, dialogue impossible et surréaliste puisque fait à 70 ans d’écart, entre un fils devenu plus âgé que son père, lui-même décédé et ayant écrit une grande partie de ses carnets pendant la guerre donne une couleur curieuse au récit.


On sent l’énervement de Tardi-fils devant les imprécisions de son père, la frustration de ne pouvoir aller plus avant dans la discussion avec lui, sa révolte devant les actions parfois barbares de son père ou de ses camarades de détention, des militaires allemands également. Mais on a aussi accès à la rage sourde du père, à son détachement face à l’horreur parfois, aux priorités tellement différentes quand on a les pieds dans la merde et que les idéaux deviennent des concepts abscons.


Surtout, le jugement moral est absent du récit. Et c’est reposant. Le père réagit dans l’instant, le fils apporte une touche de cadre plus général, replaçant dans le contexte de la guerre le parcours de son père. Le jugement est absent, mais la révolte est là. On la sent profonde, et la filiation intellectuelle est évidente. Le rejet du pouvoir politique envoyant à la mort la population, la désillusion permanente sur l’engagement, le constat terrifiant sur les civils…


On sent déjà dans le deuxième tome que la réinsertion dans la société civile va être compliquée, que ce soit dans la relation avec les anciens de la guerre de 14-18, les civils restés en France, les familles…
Tout ça pour dire que l’approche est différente et que la BD est excellente. On pourra lui reprocher peut-être d’être parfois un peu bavarde, mais dans l’ensemble elle retranscrit au lecteur les émotions et l’ambiance détestable dans laquelle se déroule l’action. A lire.

CorwinD
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le 12 déc. 2014

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