La découverte de Blankets fut aussi celle d’une collection qui ne cesse d’étonner. Casterman Ecritures regroupe le meilleur des bandes dessinées longues. Ces romans illustrés en quelque sorte. Après l’école américaine de Craig Thompson, Jirô Taniguchi incarne la facette japonaise, mais à des années lumières des mangas qui font la joie des adolescents.
En noir et blanc, avec un graphisme entre école nippone et inspiration hopperienne (néologisme bien mérité pour le grand Edward Hopper, un exemple ici), Taniguchi conte l’histoire d’un quarantenaire japonais désabusé, hyperactif et alcoolique. L’archétype du cadre de l’archipel se retrouve un soir de beuverie dans le village de son enfance et dans la peau qui était la sienne lorsqu’il avait quatorze ans. Sauf qu’il conserve l’expérience, les souvenirs et le cynisme de l’homme qu’il était.
Reproduira-t-il les mêmes actions ? Saura-t-il changer le cours de sa vie ? En deux tomes, l’auteur joue magnifiquement avec ce personnage d’adolescent dans lequel il est difficile de ne pas se retrouver. Fort de ses certitudes d’adultes, de sa maturité intellectuelle, il peut s’attacher à ce qui n’était qu’accessoire dans son enfance. Laisser de côté l’école et redécouvrir tout ce qu’il avait délaissé.
Un retour vers le futur qui prend à contre-pied les archétypes du genre. Le héros, Hiroshi, ne cherche pas à manipuler le temps, à contrôler l’incontrôlable. Le sablier est là, omniprésent, il peut juste tenter autre chose. Pas gagner au loto, pronostiquer tout ce qui peut l’être. Mais comprendre l’infime essence du bonheur, et essayer de le faire partager.
Cette plongée dans l’adolescence, ses peurs, ses défaites et ses victoires, et une fascinante expérience littéraire. Les pages respirent, le graphisme est un complément idéal des dialogues. Les deux s’équilibrent, aucun n’empiétant sur l’autre.
On est loin de Titeuf ou Lanfeust mais plus proche de, aller j’ose, Proust. Par moment, la langueur délicieuse des phrases du maître se retrouve dans les silences d’Hiroshi. Par moment, la grâce s’inscrit dans le noir et le blanc de ces pages. Quand la BD sort de son carcan, elle peut s’élever là où on ne l’attend pas.
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