L’album de BD Super Mario Bros prenait le parti de petites aventures humoristiques et farfelues dans le monde de Nintendo. L’oeuvre est une curiosité vaguement amusante, évidemment anecdotique. Avec Game Boy, déclinaison de papier où Mario s’invite dans notre monde, l’adaptation est plus audacieuse, franchement surprenante.


Bien avant le fameux film Super Mario Bros de 1993, la série de comics Game Boy établissait la distinction entre le monde réel et celui de Mario, mais aussi qu’il était possible d’aller d’un univers à l’autre. Dans cette œuvre, la passerelle est une Game Boy (ou un Game Boy selon les épisodes, pas de jaloux), permettant de faire jaillir l’ennemi de Super Mario Land, le dictateur militaire Tatanga accompagné de ses sbires et de la princesse Daisy, kidnappée et qu’il veut forcer à l’aimer. Tatanga manipule dans le monde réel Herman Smirch, employé de magasin, qui a volé une Game Boy et qui est d’abord présenté comme un sale type, puisqu’il emmène le Mario de pixels de Super Mario Land jusqu’au boss final pour qu’il se fasse tuer. Le parcours n’étant pas une promenade de santé, c’est dire à quel point il craint. Il est aussi un adulte intolérant et radin, voleur, mais ce n’est qu’un détail. Le deuxième épisode va l’adoucir un peu, le montrant dépassé par les événements.


Si Herman semble être le fil rouge, responsable de l’arrivée de Tatanga, c’est parce que le salut dépend d’adolescents dans chaque épisode, qui vont arriver à faire venir Mario depuis la console jusqu’au monde réel. Rick et Josh d’abord, l’un en blouson de cuir et lunettes de soleil so 90’s est plus intéressé par les filles, contrairement au deuxième qui est un joueur. Dans le deuxième épisode la petite Tannis est avant tout une passionnée d’astronautique, mais qui devra se mettre à la Game Boy pour faire venir le plombier à salopette.


Le comics américain dura quatre épisodes, mais cet album français n’en contient que deux, difficile de dire si la formule évolue dans les deux derniers.


Ce qui surprend est le ton employé, surtout pour un produit dérivé validé par Nintendo autour de l’innocent Super Mario Land, peut-être pas si inoffensif que ça. La BD fait un appel du pied appuyé à l’ado des années 1990, avec ces adolescents aux préoccupations de leur temps, comme Rick, ainsi que quelques références à la culture populaire de ces années.


« - Il n’y a qu’un homme pour arrêter Tatanga !
- Qui ? Terminator ? Chuck Norris ?
- Non… Super Mario ! »


Mais il y a aussi ces dialogues, nombreux pour étoffer l’univers et les motivations des personnages, mais aussi son ton général. Tatanga est un conquérant, lâchant ses troupes qui tirent sur les personnes ou font exploser le décor. La menace est explicitement présentée comme mortelle, d’ailleurs les personnages n’arrêtent pas de dire qu’ils vont tuer tout le monde. Tatanga est déterminée à tuer Mario, puisqu’il n’a qu’une vie dans le monde réel. Une telle dureté dans le propos étonne avec un tel univers qui ne s'est que rarement allé à de tels écarts (et cette oeuvre en est peut-être la seule tentative).


Cependant, si la Terre ne finit pas à feu et à sang (ouf), c’est parce qu’il y a d’abord la détermination de Mario, qui n’est pas là pour s’amuser, mais aussi la princesse Daisy qui va tenter de faire changer les plans de Tatanga dans chaque épisode. Ce dernier est intelligent, il reconnaît qu’elle le manipule, mais accepte. C’est beau l’amour incompris entre un ravisseur et une femme capturée.


Malheureusement, cela veut dire aussi que chaque épisode range vite ses jouets, ou plutôt ses créatures de pixel. De manière générale, la construction de chaque histoire est toujours décevante. Dans le premier épisode l’introduction de Tatanga et de ses sbires fait monter la tension, avant qu’elle ne s’essouffle quand lui et la princesse Daisy délaissent leurs plans pour aller manger dans un restaurant des Twin Towers, puis dans le deuxième épisode qu’ils aillent à Disneyland. La conclusion finit toujours en eau de boudin, Tatanga trouvant toujours une raison pour revenir dans son royaume, toujours avec la princesse Daisy, sans que finalement Mario ne lui règle son compte, cela n’avance rien. On ressort de la lecture finalement un peu frustré, le ton un peu plus adulte de la série et ses quelques idées tournent en rond, il faut s’arrêter sans avoir rien fait avancer pour mieux revenir dans le prochain épisode.


D’un point de vue visuel, l’album n’est guère épatant. Pour le monde réaliste, l’ensemble est assez correct, notamment dans les expressions du visage. L’encrage du premier épisode est un peu hâtif, trop léger, mais c’est amélioré dans le second. C’est tout de même moins jojo pour l’inclusion du bestiaire du monde rond et coloré de Super Mario Land, aux proportions pas toujours respectées d’une case à l’autre, et Mario en fait les frais. La Princesse Daisy est représentée comme une andouille à choucroute, alors qu’elle participe activement à l’histoire. Tatanga s’en sort bien, il a une vraie stature, mais il manque tout de même de charisme, on comprend qu’il se fasse éternellement voler la vedette par Bowser dans les jeux vidéo.


Quelques scans de la version anglaise


Game Boy est donc un titre assez atypique, assurément différent des quelques titres Mario qui sont arrivés jusque chez nous. Ambitieux malgré tout, toutes proportions gardées, mais aussi un peu maladroit, dans sa violence verbale, dans sa représentation ou les conclusions décevantes de chaque épisode.


Il n’en reste pas moins un des premiers représentants d’un produit dérivé de l’univers vidéoludique à évoquer et à distinguer le monde du jeu vidéo et notre monde réel, et à en proposer le passage. Ce qui constitue l’un des fantasmes premiers du geek et le rend vraiment intéressant. Avec ses personnages qui s’incrustent dans le monde réel, qui cherchent à conquérir et détruire New York, et même des passages de jeu vidéo qui s’invitent dedans, la BD préfigure le court-métrage Pixels de Patrick Jean (2010) ou le film du même nom de Chris Colombus (2015).

SimplySmackkk
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le 16 mars 2022

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