Un grand film, ce n’est pas forcément un film long ni étonnant. Quoique la longueur joue un rôle dans l’étendue du Betty Blue, ce n’est pas ce qui le rend grand, pas plus que son tournage sudiste ne le rend spontanément chaleureux.


On entre très vite dans l’intimité du couple formé par Jean-Hugues Anglade et Béatrice Dalle (et c’est un euphémisme), comme s’ils n’étaient pas importants. On les connaît mieux qu’ils ne se connaissent initialement, et l’on part de rien pour aller apparemment nulle part, dans un style qui rappelle fortement Blier. Mais la désinvolture s’effrite vite quand on s’aperçoit que la plage où ils avaient élus un domicile presque paradisiaque a pris une telle place dans notre esprit qu’on s’attendait à y passer tout le film. Alors que pas du tout.


Leur histoire signifiera bien plus que la molle satisfaction de les voir repeindre des bungalows au rouleau ou les rires provoqués par l’espèce de Maesmaker en DS qui leur sert de propriétaire. Les personnages peuvent passer pour trop campés dans leur style, toutefois on leur fait jouer une vie entière, et c’est un hasard si on n’en voit que des bouts. On découvrira leur relation par les caprices du montage, bien sûr, pourtant le fait de considérer qu’ils se découvrent devant nous démontre notre familiarité déjà enclenchée – non pour le décor, comme on peut d’abord le croire, mais bien pour eux.


Le scénario est un peu trop basé sur le conflit – ils vont bien ensemble, pourtant ce sont des piques qui font invariablement bouger l’histoire, de sorte qu’on se demandera s’ils ne sont pas accordés sur le diapason un peu simple cinématographiquement de la complémentarité, surtout quand ils font le plein d’énergie par l’injection de compassion & de poésie forcée par la voix off.


Entre une progression idéalisée d’une vie à deux quand même soumise à ses drames et les décors qui passent d’un extrême à un autre sans jamais monopoliser la scène, Betty Blue crée une Nikita romantique qui n’a sûrement de valeur que dans le director’s cut de 178 minutes. Elle et lui ne cesseront de surprendre sans jamais appuyer sur les leviers de la narration. Narration ? C’est presque déplacé : une vie ne se narre pas, elle se vit ou elle se perd. Et Beineix ne nous en laisse rien perdre.


Quantième Art

EowynCwper
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le 21 oct. 2019

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Eowyn Cwper

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