La violence.
Ce film est un film sur la violence. Une violence qui ne se cache pas, qui n'est pas esthétisée. Une violence qui débarque, comme ça, brutalement, sans prévenir. Un fusil, un couteau qui jaillit, un coup de pistolet dans le dos, le sang qui gicle, éclabousse, coule, envahit l'écran, envahit les yeux. Le rouge qui éclate d'autant plus qu'il arrive dans un monde terne, rendu gris, aussi bien physiquement que moralement, par des activités humaines dégradantes et avilissantes.
Car la violence physique employées par les différents personnages de ce film, et ce dès les premières minutes, n'est qu'une réponse à une autre forme de violence. Violence plus insidieuse, mais non moins brutale. Une violence contre les hommes et les femmes. Une violence contre toute forme de société organisée. Une violence contre la culture, l'histoire, les civilisations millénaires avec leurs codes, etc.
Quel meilleur endroit que la Chine actuelle pour lancer un des films les plus cinglants/sanglants contre l'ultra-libéralisme économique ? Ce pays exemplaire dans son modèle, qui a su tirer profit à la fois de sa position de dictature et d'une ouverture économique savamment dosée et orchestrée.
Et que nous montre ce film ? Un pays vendu au plus offrant, où l'argent est la seule et unique valeur, et la justification de tous les débordements. On donne tout, on pardonne tout à ceux qui ont beaucoup. "je te tue avec mon fric", dira le client d'un bordel qui voulait coucher avec une femme qui n'est pas une prostituée. L'argent permet toutes les injustices, toutes les corruptions.
Mais les horreurs économiques ne s'arrêtent pas là. Destruction des liens familiaux, atomisation des familles, isolement des personnes obligées de partir loin de chez elles pour trouver un travail ingrat et sous-payé.
Destruction des anciennes structures socialistes, dont on ne garde, finalement, que l'apparat dictatorial, mais que l'on a dépouillé de tout pouvoir politique, à part quand il s'agit de réprimer le peuple.
Destruction des symboles nationaux et culturels, détournés à la seule fin d'amuser les plus riches, comme ces prostituées qui se déguisent en héros de l'armée.
Destruction de la nature même, symbolisée par cet homme qui fouette à mort son cheval, mais aussi par ces paysages dévastés, gris, boueux, ces immeubles ou ces ponts qui barrent les horizons.
Alors, quel espoir reste-t-il à ces hommes et ces femmes qui voient leur monde s'écrouler ? Quelles actions peuvent encore faire ces personnages qui n'ont aucun espoir de se faire entendre ni même respecter ?
Les personnages de ce film ont choisi la violence, sûrement parce qu'ils ont l'impression que c'est la seule parole encore écoutable, ou alors parce qu'il en ont tant d'exemples sous les yeux qu'ils en sont abreuvés.

Ce film possède les qualités habituelles du cinéma de Jia Zhang-ke. Qualités visuelles pour commencer : le film est lent mais esthétiquement maîtrisé. Qualités intellectuelles. Et même si le film paraît moins poétique que d'autres, même si Still Life me paraît toujours être le chef d’œuvre du cinéaste à ce jour, ce film, A Touch of Sin, est un grand film, beau, sensible, émouvant, révoltant. Il prouve qu'il est un des cinéastes qui comptent le plus actuellement.

[véritable note : 8,5/10]
SanFelice
8
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le 22 mai 2014

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SanFelice

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