Jia Zhangke, connu des cinéphiles pour son cinéma contemplatif des plus stylisés (Still life), savant mélange de documentaire et de fiction dans lequel vrais et faux témoignages se succèdent sans discernement visible (24 city, I Wish I Knew), est le représentant d’un cinéma chinois en état de grâce.

Le cinéaste surprend avec A Touch of Sin, nouvel opus au seuil d’un renouvellement cinématographique. Si l’obsession du rapport au réel perdure, ce n’est plus sous la forme d’interviews en plan-séquence – figure déterminante dans la signature du cinéaste –, mais dans une construction purement narrative en 4 chapitres.

Le moment où les personnages s’excluent d’une existence banale marque également pour le réalisateur le début d’un questionnement sur le vivant. Si autrefois le documentaire, par sa forme même, lui permettait de capter « l’histoire vécue », de fixer une authenticité pour mieux la questionner ensuite par la reconstitution, c’est en revenant à la fiction qu’il poursuit son œuvre. Mais après deux films aussi aboutis et personnels que 24 city et I Wish I Knew, quel besoin anime Jia Zhangke de se détourner d’une telle beauté ?

C’est au goût de l’inattendu que le film nous nourrit. Le caractère très social des quatre personnages principaux nous attire d’abord comme les visages apitoyés d’une injustice juridique, monétaire ou morale, mais c’est ne pas voir le pouvoir de réincarnation de ceux-ci par le scénario. Le thème de la violence est représentatif de la nécessité du réalisateur à faire, montrer, assumer une ligne de conduite qu’on ne pouvait lui soupçonner. Nul doute possible, la logique du film est celle d’une transformation. Agir plus que regarder, faire plus qu’écouter, A Touch of Sin relance l’audace comme philosophie, profite du potentiel fictionnel pour créer de véritables « événements » dans le plan. Des surgissements constants sur les côtés du cadre, attendant de pouvoir attaquer le champ de la caméra et ainsi redynamiser l’espace. Balle dans la tête, serpent fantastique, agression à l’arme blanche : on mystifie la vie, on ose être le magicien qui tire le lapin du chapeau jusqu’à l’absurde.

Si ces partis pris filmiques accrochent, ils délaissent les incontournables rendez-vous que l’on attendait d’un Jia Zhangke. Que deviennent les visages noircis et ridés qui crevaient l’écran de leur vérité ? Où sont passées les architectures fantomatiques que sa caméra savait dépoussiérer, sublimer ? A Touch of Sin, sans les abandonner, leur accorde quelques instants furtifs, souvent simples transitions. Ce travail sur les visages dans les lieux – et sur le visage des lieux – aurait-il fait son temps dans l’esthétique du cinéaste ? Si on l’encourage dans sa soif de changement, on espère toutefois qu’il n’en oubliera pas ses fondamentaux, qui ont séduit et séduiront, assurément, encore longtemps.
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le 18 mai 2013

Modifiée

le 11 déc. 2013

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