Terrence Malick, portraitiste des tourments intimes ou la mélancolie nostalgique flirte avec la solitude la plus profonde, continue avec A la merveille de s’interroger sur ce qui oppose et relie le microcosme et le macrocosme – comprendre surtout l’homme et Dieu, l’individu et les autres ou tout simplement le monde intérieur (le Soi) et le monde extérieur (le réel). Esthétiquement, l’image et le son s’animent et s’harmonisent autour de ces divergences, si bien qu’il en a fait une signature atypique et reconnaissable *, style que certains cinéastes utiliseront pour leur propre film (les récents Detachment et Spring Breakers pour ne citer qu’eux).


A mi chemin entre la foi religieuse et la philosophie, ses oeuvres sont construites autour de ce dualisme qu’il ne cesse d’exploiter autour des thèmes décrit précédemment. Cette fois, le cinéaste se focalise essentiellement sur les relations humaines sans plonger ses protagonistes dans les méandres de l’histoire (film de guerre pour La ligne rouge, film historique pour Les moissons du ciel et Le nouveau monde).


Moins métaphysique que Tree of Life – dont la filiation est évidente par sa thématique sur la famille, l’amour et son histoire ancrée dans un décor contemporain – sa caméra tente de saisir une fois encore les sentiments au plus près des corps, des visages et des regards, avec cette fois-ci l’outil numérique qui lui sied à mes yeux beaucoup mieux pour capter ses instants furtifs dans les rues, les parcs, le métro, le train, la maison, entrecoupés par les éléments comme les rivières, les cieux ou les paysages pour mieux illustrer l’incapacité de l’homme à se figer dans le présent.


Avec A la merveille, il fait délibérément abstraction du narratif pour ne capter que les sentiments et l’intimité profonde des êtres qui lui sont si chères. Quand woody allen se sert lui exclusivement des mots, du verbe pour s’exorciser, proposant un cinéma aussi cérébrale que jubilatoire, Malick utilise quant à lui tout le potentiel de l’image et du son pour sonder nos coeurs et nos âmes en peine. Il vise une certaine absolution en s’indignant de l’injustice de souffrir, s’attristant du constat que l’homme est bien faible et impuissant face à la dureté et complexité de la vie et insignifiant face aux forces de l’univers.


Alors qu’il possède un talent incroyable pour justement saisir l’insaisissable, Malick se perd (j’ai envie de dire ‘encore une fois’) dans ses obsessions pseudo-spirituel sans jamais explorer la part humaine de ses personnages …. mais le veut-il vraiment ? S’enivrer de belles images sensitives et poétiques, pourquoi pas, mais à quel prix au juste ? A ne pas vouloir inscrire les ressentis de ses personnages à travers un problème précis, une histoire concrète et spécifique, on se demande quel est le fond de toute cette démarche !


Le problème fondamental que j’ai avec Malick, c’est qu’il idéalise justement tellement la ‘sensation’ que ses personnages ne peuvent prendre conscience de leur propre finitude ou mortalité et se perd dans son propos, dans une symphonie des sens – et du non-sens – qui ne vise, au fond, qu’à aborder les problèmes de la vie afin de béatifier les angoisses et frustrations de ses personnages par le truchement et la magie du matériau cinématographique.


Le ressenti est de l’ordre de l’instant, soit un fragment sibyllin du temps condamner à mourir pour renaître. Une sensation est de toute façon toujours de courte durée (le cinéma de Malick oppose d’ailleurs très souvent l’instant présent avec un passé nostalgique et rassurant ou un futur impalpable et incertain), et à vouloir nous promener dans un récit complètement éclaté, il se perd dans son art à vouloir à tout prix faire une éloge de la frustration et de l’impuissance, ou même une apologie de la solitude et de la souffrance.


La communication étant la clé indispensable pour résoudre les problèmes, les personnages ne font qu’exprimer ce qu’ils ressentent – le plus souvent en voix off – sans jamais tenter de résoudre un quelconque conflit. Le spectateur connait donc les pensées, les frustrations des personnages mais jamais eux ne tentent de s’abroger de leur solitude, comme si la nature humaine ne pouvait trouver une réponse qu’à travers Dieu …. ou l’art.


Terrence Malick désire donc s’affranchir de tout les maux (mots ?) à travers le cinéma, comme si c’était finalement le seul moyen d’approcher la vérité … ou encore une fois Dieu. Pourquoi pas après tout ! C’est assurément son point de vue (et je le respecte) car sa démarche artistique ne vise pas à trouver une ‘réponse’ aux doutes et aux afflictions qui nous rongent, puisque ses personnages ne communiquent pas et ne sont pas capables de communiquer, mais bel et bien à évoquer ce présent intime liquide et intangible qui nous délit, selon lui, du monde sociale, de l’autre.


Le relationnel étant inexistant à l’écran, personne ne s’affranchit de sa solitude, de ses angoisses, il ne nous reste plus qu’à croire en Dieu pour nous (ré)unir sous un même idéal, une même foi.


S’il y a un autre cinéaste contemporain qui lui ressemble beaucoup c’est bien Wong Kar Wai. Comme lui, l’image et le son tente de se dégager du récit pour ne garder que l’émotion de l’instant, la répétition inexorable du quotidien : Chungking Express et Happy Together en sont les exemples les plus représentatifs. Mais là ou Malick recherche l’abstraction totale, Wong Kar Wai ancre toujours ces personnages dans une histoire concrète vécu par l’ensemble des protagonistes.


Malick, lui, veut fondamentalement échapper à l’histoire pour ne saisir que les tourments humains et s’abroger du facteur narratif. Mais peut on réellement produire gratuitement du sensitif, soit une réalité intime sans l’inscrire dans un contexte, un paradigme en quelque sorte ? On dit souvent “la beauté est dans l’oeil de celui qui regarde”. Son oeil à lui (comprendre sa caméra, son cinéma) la recherche ardemment mais à mes yeux, il ne la trouve jamais. Alors il l’invente et nous fait partager sa vision du Beau. Ainsi, Malick tente désespérément d’approcher la grâce en occultant sciemment le charnel et la matière.


Sa peinture de l’âme humaine n’a à mes yeux rien de spirituelle puisque jamais sa démarche artistique – pourtant très original – ne prend place dans un ‘corps’ malgré le fait qu’il les filme très souvent. Et même si son récit tourne autour du personnage de Ben Affleck, cette absence de substance ne rend pas justice à la composition picturale du métrage.


Malick se contente simplement de capter une manifestation de la beauté – chez la femme ou dans la nature, soit une beauté idéalisée, éphémère et complètement fantasmée, une réalité émotionnelle et sensationnelle insaisissable contraint de mourir pour renaître l’instant d’après, encore et toujours, inlassablement …


Pour toutes ces raison, je considère Malick davantage comme un brillant formaliste mais pas comme un grand cinéaste ; seul La ligne rouge et surtout Le nouveau monde trouvent un équilibre aboutit entre le fond et la forme. Avec A la merveille, jamais les deux n’ont autant été éloigné l’un de l’autre. S’il affine clairement sa grammaire visuelle avec ce film – les fans seront je pense ravi – les autres n’y verront qu’une oeuvre factice mais sincère ou s’incarne les obsessions mystico-religieuse d’un artiste créatif, certes, mais qui se complaît un peu trop dans son style.


A la merveille n’est que le prolongement de ses interrogations, ses tourments, et comme lui, on guette et s’impatiente d’une épiphanie salvatrice qui n’aura hélas jamais lieu. Au lieu de s’incarner physiquement à travers ses oeuvres, comme ont pu le faire les géniaux Antonionni, Kubrick, Tarkovski ou encore Wong Kar Wai, Terrence Malick propose, en tout cas avec ce film, une enivrante mais facile éloge de la fuite …

Mathieu_Babhop
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le 18 août 2016

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