Il est toujours difficile d’appréhender un Terrence Malick et c’est d’ailleurs pour cela que la plupart des films de l’auteur (si ce n’est la totalité) sont loin de faire l’unanimité. Déjà avec The Tree of Life, chef-d’œuvre magistral, palme d’or à Cannes, le cinéaste voyait les critiques tantôt vanter les qualités innombrables de son film, tantôt le sabrer. Et A la Merveille continue sur la lancée, si ce n’est que pour une fois, on doit reconnaître que le film dans son ensemble comporte certains défauts.

Le cinéma de Malick est fait de sensations. Le toucher et surtout l’effleurement, le besoin de ressentir les choses, de trouver sa place dans le Monde, la nature étant elle-même un personnage. Le frisson, grâce à des envolées lyriques et une Bande Originale toujours parfaite, venant souligner les scènes, l’histoire et ce que vivent les personnages. La sensation de ne faire qu’un avec l’œuvre projetée, de pénétrer un monde proche et pourtant rêvée, marque de fabrique du réalisateur. Grâce à une photographie basée sur des règles simples que s’imposent le réalisateur et son directeur de la photographie (en interview dans le numéro de Positif de février), à savoir entre autres une lumière naturelle et une totale exposition de la pellicule, Terrence Malick approche au plus près de la réalité en en retirant ce qu’il y a de plus beau, même dans le drame (la perte d’un être cher dans The Tree of Life), ou au travers d’évènements traumatisants (la découverte de l’Amérique par les colons ou la seconde guerre mondiale de la Ligne Rouge). La forme épouse le fond, vient se coller à lui pour en devenir un prolongement naturel, sans esbroufe, mais avec talent.

C’est ce qui manque cruellement dans A la Merveille. On sait depuis longtemps maintenant qu’on ne sera pas déçu vis-à-vis de la technique et du montage seulement voilà, on ne peut faire un film en se basant sur un exercice de style. Le film a été entrepris en même temps que The Tree of Life, d’où une parenté visible mais il a oublié d’en retirer l’essence même : l’émotion. On n’est pas atteint par cette histoire d’amour et le questionnement sur la définition même du sentiment, dualité entre spiritualité et phénomène biologique n’est finalement pas intéressant. On adore voir les amants se rencontrer et s’éprendre l’un de l’autre, se découvrir et se comprendre, passer outre la barrière des langages – elle parle français, lui est américain – mais on n’arrive pas à s’attacher à l’un ou l’autre lorsque le couple se brise.

Le film fuse, les images aussi. La narration, toujours éclatée fait état du rêve plutôt que de la passion. On ne peut pas croire à cette histoire, ni aux protagonistes (voir cette italienne folle parler pendant une séquence courte et pourtant si longue). C’est le problème de Malick, la religion qu’il questionne dans sa filmographie et qu’il remet en question s’impose comme le propos de son film, sans qu’il s’attarde sur le sujet, oubliant les amoureux, introduisant le mythe de Babel trop grossièrement (cinq langues sont parlées dans le film comme pour surligner l’incompréhension des uns et des autres) par exemple. On veut se laisser emporter par tous ces paysages, on veut pouvoir raccorder cette spiritualité aux sentiments des deux personnages principaux. Mais on n’y arrive tout simplement pas.

Il n’est pas question toutefois de dire que le film est vide de sens, qu’il est creux. Non, simplement, Malick qui avait pour habitude de laisser au spectateur le choix, celui de croire ou non, celui d’interpréter, vient au contraire donner sa vision des choses comme si le questionnement était plutôt rhétorique. On nous oblige à penser que l’amour n’est possible qu’en l’absence de choix, comme pour le prêtre joué par Javier Bardem, qui doit croire pour continuer sa quête, qui voudrait s’effacer devant la misère du monde mais qui, à cause de son contrat signé avec Dieu, doit poursuivre. Les protagonistes s’éprennent et se quittent, reviennent ensembles mais ne sont plus convaincus. Ils ne veulent plus réussir, ils attendent une fin inéluctable pour enfin se libérer de leurs obligations l’un envers l’autre. Le pouvoir des images, l’absence de dialogue pour laisser place à des idées, des pistes à suivre, la narration éclatée, la musique ne retrouvent pas l’alchimie qui sied si bien à la filmographie de Malick, bien au contraire.

Le Cinéma a pour origine ce pouvoir de l’image, la musique n’étant qu’un catalyseur d’émotions et c’était la force entre autres, de The Tree of Life. Ici, la musique est omniprésente, bien trop appuyée pour être convaincante, elle finit comme un bourdonnement dans les oreilles et n’apporte rien au propos si ce n’est un besoin de faire quelque chose de grandiose. C’est raté. Le film aurait pu être une continuité de The Tree of Life, l’occasion de comprendre un peu plus les relations entre les êtres humains, il n’est rien de tout ça, ou presque. Il oublie des personnages intéressants (Rachel McAdams) pour en introduire brièvement des superficiels (l’italienne, l’amant d’Olga Kurylenko).

Pourtant, on a foi en Terrence Malick et on espère que ce n’est qu’un faux pas, si l’on peut dire. A la Merveille est une œuvre mineure bien qu’elle dénote de qualités techniques toujours extraordinaires dans un paysage cinématographique parfois très pauvre. On a foi et on en redemande de toute façon, dans l’attente du prochain volet d’une filmographie qui s’agrandit plus qu’on n’aurait pu l’espérer. Loin d’être un navet, on en veut plus.
Carlit0
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le 11 mars 2013

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Carlit0

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